Proclamation de la Bonne Nouvelle

 

Frères et sœurs l’adage populaire dit « Traduire c’est trahir », malgré l’astuce de la formule je ne connais rien d’aussi faux. Si ce proverbe disait vrai nous serions en train d’adorer un Dieu très inconnu qu’il nous serait donné d’apercevoir parfois à travers des textes traitres que seraient nos Bibles, nous serions alors une religion d’un livre malhonnête ou bien la foi d’un écrit foncièrement incompréhensible car composé de textes écrit dans des langues et des cultures d’au moins 2000 ans. Si étrangers à nos vies modernes.

Alors comment peut-on faire ? Et bien on tente de traduire. Et qu’est-ce que cela veut dire traduire ? Traduire ce n’est pas qu’une dimension archéologique d’un moderne redécouvrant des vestiges des temps anciens. Ce n’est pas un travail d’exhumation de textes considérés comme morts, notre langage le dit le dit trop souvent et il faudrait s’en défaire, nous disons des langues mortes alors que ces langues anciennes sont les mots qui servent à véhiculer des textes de sagesses anciennes donnant vie à notre chemin d’aujourd’hui.

Alors serions-nous condamnés à rester dans un rapport de personnes vivantes essayant d’avancer sur notre chemin spirituel en tentant de comprendre des textes morts ? Il n’en est rien. L’Ecriture sainte vit par et pour la traduction, elle témoigne de cette explication et n’en fait aucun tabou, elle en fait d’ailleurs un ingrédient essentiel d’une vie de foi et d’une vie  communautaire cheminant avec le Seigneur. Et c’est assez troublant de constater que nos trois textes lus et médités ce matin en témoignent à leur manière, et à partir d’endroits différents de l’histoire du salut convergent tous vers le même horizon : la proclamation de l’Evangile, l’assurance indéfectible du salut de Dieu pour notre vie.

Alors comment se passe-t-elle cette traduction de la grâce ? Comment se déroule-t-elle cette grande pédagogie Divine ?

Rentrons tranquillement dans nos textes avec attention et humilité. Nous lisons d’abord dans l’Ancien Testament au livre de Néhémie la grande proclamation de la loi, la grande proclamation de la Torah qui fut lue publiquement, lue par une équipe de prêtres se relayant pour ne pas faiblir. Cela aurait pu suffire pour faire de ce moment un évènement saint et majestueux dans l’histoire d’Israël mais non, si la loi avait été lue telle quelle pas le centième du peuple rassemblé aurait pu la comprendre. Ce peuple revenait d’exil pour la plupart de Babylone et l’hébreu, la langue de ce peuple avait déjà commencé à disparaitre, paradoxalement le peuple de la Bible commençait déjà à être étranger à lui-même.

La loi, la Torah, était écrite et l’est encore, dans le grand hébreu ancien, langue sacrée des premiers textes du judaïsme, ce que le peuple manifestement ne parlait déjà plus car il nous est dit dans ce même livre de Néhémie « Ils lisaient dans le livre la loi de Dieu, de manière distincte, en en donnant le sens, et ils faisaient comprendre ce qui était lu ». Déjà dans notre ancien testament les textes sont commentés, ils sont expliqués, en sommes ils sont traduits. Une médiation nécessaire avait déjà lieu, un dialogue devait être pour que la cérémonie puisse se tenir, rien d’immédiat, rien d’unilatéral, rien d’individuel déjà.

Regardons ce que dit Paul, dans l’épitre l’apôtre nous enseigne ce qu’est l’Eglise, le  peuple de Dieu dans sa diversité comme un corps. Uni comme un corps est un et divers comme un corps possède plusieurs membres pour pouvoir fonctionner correctement, nous le savons. Et dans cette grande et belle analogie nous avons les ministères de l’Eglise qui sont évoqués mais nous avons aussi le don des langues et le don de ceux qui interprètent, de ceux qui traduisent et expliquent ce que d’autres ne comprennent pas. Oui l’apôtre nous affirme que tout cela est nécessaire pour ce corps qu’est l’Eglise, que cette mosaïque de dons doit être pour que le corps puisse vivre et se mouvoir sainement.

Et au centre de ces deux textes nous avons l’Evangile. Que nous dit-il cet évangile ? Et bien c’est d’abord le projet de l’évangéliste Luc qui nous narre qu’il a voulu recenser du mieux qu’il pouvait ce qu’il a entendu du ministère de Jésus-Christ sur cette terre. Ainsi était sa mission, ainsi était son objectif et son rôle dans cette histoire du salut. Il l’a fait scrupuleusement, dans sa culture avec sa langue, avec ses codes et son vocabulaire. Et à partir de ce qu’il était, sa culture méditerranéenne d’homme du premier siècle, à l’écoute de la Bonne nouvelle il a écrit un évangile qui nous nourrit toujours aujourd’hui. Ce qu’il a entendu il l’a traduit, l’annonce de Jésus a travaillé en lui par l’Esprit dans sa propre culture. L’Esprit en lui fit naitre son témoignage et fleurir un évangile.

Et dans ce même évangile, plus loin il nous est raconté que Jésus arriva dans une synagogue et fit l’explication, la traduction pour nous, d’un passage du rouleau d’Esaïe et dans cette explication attendue de toute l’assemblée les yeux rivés sur lui, comme il est écrit : « Aujourd’hui cette Ecriture est accomplie pour vous qui l’entendez. » Jésus dit que cette vaticination était accomplie en lui.

Voici que l’explication était devenue la personne même de Jésus, l’interprétation du mystère de Dieu, l’interprétation, le sens, l’horizon, l’accomplissement de l’Ecriture Sainte était devenue la personne même de Jésus-Christ. Et à quel passage Jésus donnait-il cette explication, rappelons-nous : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté, proclamer une année d’accueil par le Seigneur. »

C’est Jésus qui nous montrait que l’Ecriture le désignait lui. C’est Jésus qui nous fait comprendre ainsi que la traduction ultime de Dieu était l’incarnation de son Fils, ce Dieu qui a essayé de parler le langage des hommes depuis la création du monde en nous donnant sa loi n’avait pas réussi totalement, rien n’avait pu se faire d’aussi parfait que le don de lui-même et son incarnation en direction de l’objet de son amour, l’humanité.

C’est Dieu qui en venant ainsi sur cette terre se fit lui-même traduction de sa parole pour l’humanité, ces passages de l’Ecriture, ces trois passages concordent et témoigne pour nous de ce que Dieu avait toujours voulu faire depuis le début, se faire comprendre. Parler et que nous l’entendions. Dire et que nous comprenions. De la première parole adressée, cette Parole qui sépara les eaux du ciel et qui proclama que soit la lumière, jusqu’à cette parole du début de l’Evangile de Jean, « au commencement était le verbe ». Et ces mots de Jésus qui en guise d’explication des livres saints annonce l’accomplissement de l’attente et du mystère, l’accomplissement de l’errance et des ténèbres.

Dieu avait voulu se faire comprendre dans sa volonté de vie et d’amour pour le monde, mais c’est parfois difficile de se faire comprendre et nous n’y sommes pas encore arrivé. Nous n’y sommes pas encore arrivés et c’est peut-être pour ça que l’Evangile continue d’être proclamé. Nous n’y sommes pas encore arrivés et c’est aussi peut-être pour ça que nous continuons d’étudier la théologie, d’approfondir l’Ecriture Sainte, d’envoyer nos enfants au catéchisme, de s’engager dans des associations, de servir l’Eglise, de servir notre prochain et tout ça humblement pour que le monde un jour entende et comprenne ce que le Seigneur tente de nous faire comprendre et cela depuis bien longtemps déjà.

Pourquoi ne comprenons-nous pas toujours, pourquoi nous échouons souvent dans nos tentatives d’explications, pourquoi parfois dans nos tentatives de traductions nous faisons comprendre l’inverse de ce que nous avions voulu signifier, de la même manière que sous couvert du Bien absolu l’Eglise a parfois fait le mal absolu. Pourquoi sous couvert de proclamer l’unité de la foi nous en sommes aujourd’hui à prier pour l’unité des chrétiens, confessions éclatées au grès de fractures et qui ont bien plus de mal à se réparer qu’elles n’en ont eu pour se déchirer.

Oui, cette entreprise est longue, le chemin est sinueux mais cela vaut la peine de le suivre et de ne pas baisser les bras, la vérité évangélique est bien de savoir que le message ne peut pas se dire dans une seule langue et dans une seule et même culture. La réforme l’avait bien compris. Mais qu’il se dira dans d’autant de langues et de cultures que cette terre pourra contenir. Une vérité qui ne peut irrémédiablement pas se dire en un discours, une vérité qui ne doit et ne pourra pas se transposer d’une culture à une autre passivement à la manière d’un calque. Mais cette vérité évangélique, elle s’épanouira et se révèlera dans le monde par l’explication, par l’apprentissage, par les dialogues et les amitiés, elle s’élaborera dans la prière et l’amour du prochain. Et ce sont ces cultures qui feront aux yeux de Dieu le corps de son peuple, c’est l’Esprit dans la culture et une culture mue par l’Esprit qui sera l’incarnation sincère de son Evangile.

Que Dieu fasse que nous puissions recevoir sa Parole et son Esprit dans notre vie afin qu’à l’écoute de l’enseignement de son fils et notre constance dans l’engagement envers notre prochain nous puissions être porteur de sa lumière dans notre monde, en traducteurs et pédagogues fidèles de son Evangile, Amen.

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