L’Evangile est une invitation

Lectures Bibliques

Esaïe 54, 1-10 – Matthieu 22, 1-14

Prédication

Vous êtes donc venus… C’est pour moi un sujet d’étonnement et de gratitude. La parabole que Jésus nous raconte ce matin m’a donné à réfléchir et me pose une question : qu’est-ce qui a fait que ce matin vous ayez décidé de venir au culte ? Quelle fut votre motivation, votre moteur intérieur ? Je pense aussi à ceux qui nous regardent en direct sur Facebook en ce moment. A contrario, qu’est-ce qui fait que certains ne sont pas venus, n’ont pas eu l’envie, la force, le courage de s’extirper du lit pour répondre à l’invitation ?

Aujourd’hui est un jour festif, important pour nous puisqu’il donne le départ pour la rentrée de notre Eglise. Beaucoup de choses ont été préparées, beaucoup de travail, de mobilisation, d’énergie (l’équipe communication a préparé un nouveau livret, deux études bibliques ont été préparées, une équipe d’accueil est en cours de création, le scoutisme unioniste renaît ici après 50 ans d’absence, le cercle du mardi repart renforcé, Per Cantum a répété, une équipe cuisine s’est activée pour notre buffet, nettoyage, installation des tables… etc.) Le Royaume des Cieux ressemble à quelqu’un qui a beaucoup travaillé pour préparer une belle fête et parce qu’on ne fait jamais la fête tout seul (il faut que la salle des noces soit pleine, sinon ce n’est plus une fête), il lance l’invitation. Le Royaume des Cieux ressemble donc à une invitation à faire la fête.

C’est une remarque qui me semble essentielle à garder parce que, si l’Eglise veut essayer de refléter quelque chose du Royaume des Cieux, alors la parabole nous donne 3 indications très précieuses sur ce que doit être notre Eglise.

1ère indication : le Royaume des cieux ressemble à une invitation. Ce n’est donc ni une convocation (à laquelle on ne saurait se soustraire) ni une obligation, ni une contrainte, ni un devoir qu’on s’impose, ni une pression sous forme de chantage, ni une manipulation qui fonctionnerait en sous-main. Le fait que ce soit une invitation implique de facto la possibilité légitime d’un refus. L’Evangile que nous prêchons ici a quelque chose à voir avec la liberté. Pas d’invitation sans liberté. La liberté d’entrer d’abord : faut-il rappeler que le temple se doit d’être un lieu public et non un club privé ? Cela signifie qu’il est nécessaire pour notre Eglise de tout mettre en œuvre pour que les gens se sentent libres d’entrer. Et pour ce faire, ne serait-il pas utile que ce lieu soit indiqué, visible depuis la rue, qu’on sache qu’il y a de la vie à l’intérieur en plus d’être accueillant, lumineux, chaleureux ? Un certain nombre de chantiers très concrets se dessinent donc devant nos pas pour cette année.

Et dans le même temps, si l’on se sent libre d’entrer, il doit être tout aussi clair qu’on doit se sentir libre de sortir. C’est ce qui distingue une église d’une secte. Nous ne sommes pas une secte : invités, certes, mais certainement pas contraints de rester ! C’est structurel, consubstantiel à l’être-même de notre Eglise : la liberté réside dans la possibilité de dire non. Chez nous, puisque nous essayons de refléter quelque chose du Royaume des Cieux, on ne force pas quelqu’un à croire, à venir à l’Eglise, à assister au catéchisme, à accepter un engagement ou à payer une cotisation financière. On ne transmet pas l’Evangile, on en témoigne : le refus du prosélytisme est une question de principe basée sur la liberté de conscience comme conviction fondamentale. C’est là toute la fragilité de notre Eglise. On ne sait pas de quoi demain sera fait. Notre Eglise ne vit que de la Grâce, elle ne se construit que de ce que Dieu lui donne : cela nous rend vulnérables parce que nous ne pouvons pas prétendre maîtriser quoi que ce soit et c’est très bien ainsi. Voilà qui explique mon étonnement initial : je m’émerveille de ce que vous ayez entendu et accepté l’invitation du Seigneur à venir le célébrer ce matin, à répondre à son appel pour appartenir à son Eglise. Parce que ce n’est pas du tout une évidence. Votre venue est un cadeau, une grâce, une bénédiction de Dieu pour nous. Rien ne vous oblige à venir. Notre Eglise n’est composée que de volontaires, de gens qui en ont envie ! C’est ce que démontre l’historien Guillaume Cuchet, dans son livre Comment notre monde a cessé d’être chrétien[1]: la pratique dans l’Eglise catholique en France s’est complètement effondrée à partir du moment où elle n’était plus obligatoire (et il situe cet effondrement juste avant le Concile Vatican II). Je crois qu’il est possible d’étendre une part de son analyse au protestantisme et qu’il n’y a pas lieu de s’en plaindre : vous êtes là par Grâce et non par obligation et c’est une bonne nouvelle. En tout cas, voilà l’Evangile à l’état brut : accueillir les gens comme des invités importants. Je suis tellement heureux de vous voir, que vous soyez venus, que vous ayez répondu à l’invitation que nous étions chargés de vous transmettre.

La parabole nous ouvre donc une vision de ce qui constitue le propre de l’Eglise : nous voulons être porteurs d’une invitation qui s’exprime par tous les moyens possibles et imaginables : prédication, catéchèse, études bibliques, cercle du mardi, Per Cantum… A sa manière le scoutisme y prend sa part aussi. En ce qui me concerne, c’est dans le scoutisme unioniste qu’est née ma vocation pastorale. Nous croyons que cette source n’est pas tarie, loin s’en faut ! Parce qu’il faut rappeler ici un point essentiel concernant cette invitation : nous sommes toutes et tous invités à participer à une fête : Allez dire aux invités : j’ai préparé mon déjeuner, mes bœufs et mes bêtes grasses ont été abattues, tout est prêt, venez aux noces ! Et c’est la seconde indication que je souhaite garder pour nous ce matin. C’est à un mariage auquel nous sommes conviés. Il s’agit donc de porter un visage festif de l’Evangile, à distance de l’image d’austérité ou de moralisme que nous portons parfois bien malgré nous. Il faut que nous puissions comparer la vie de l’Eglise avec une fête de mariage et tout ce que cela comporte de communion, d’amour, d’engagement réciproque, de bénédiction et de moments festifs partagés ! C’est ce que nous voulons faire : voyages de paroisses au musée du désert, à Londres, à Copenhague… Noël, Pâques, les confirmations, les baptêmes d’adultes… autant d’occasions de faire la fête ensemble. Et ça commence tout de suite après le culte : invitation à partager le repas ensemble.

Mais la parabole racontée par Jésus va plus loin. Il y a, vous vous en souvenez, une seconde partie à la parabole qu’on aimerait souvent ne pas lire. D’ailleurs, quand on compare cette même parabole rapportée par l’Evangile de Luc, cette seconde partie semble avoir été rajoutée dans un second temps pour apporter une nouvelle dimension à la parabole. La question est : Que se passe-t-il une fois entrés ? La tentation est grande de se dire : « Ouf ! C’est bon, je suis dedans, j’ai accepté l’invitation, je suis venu, je suis entré… Affaire réglée ! » Il arrive que certains en viennent alors à regarder « ceux du dehors » en se pensant eux-mêmes à l’abri, bien au chaud à l’intérieur. Un mur se dresse alors entre « eux » et « nous ». Le monde se sépare alors entre ceux du dedans et ceux du dehors, les sauvés et les damnés. Selon le rabbin anglais Jonathan Sacks dans son livre Dieu n’a jamais voulu ça[2], la source de la violence religieuse naît très précisément de ce dualisme pathologique qui produit des effets terribles qui se conjuguent : 1) « il déshumanise et diabolise nos ennemis » (Le roi ne dit-il pas lui-même dans la parabole : « Les noces sont prêtes, mais les invités n’en étaient pas dignes ! » ?), 2) « il fait que nous nous percevons comme des victimes » (n’ont-ils pas outragés et tués les serviteurs envoyés pour porter l’invitation ?), 3) « il nous offre un blanc-seing pour nous livrer au Mal altruiste » (le roi envoya son armée pour faire disparaître ces meurtriers et brûler leur ville). « L’opposition binaire est l’une des catégories fondamentales de notre appréhension du monde ; mais si l’on divise l’humanité en deux camps absolus, celui du bien et celui du mal, alors on en vient forcément à voir son propre camp comme celui du bien et l’autre comme celui du mal.[3] » Et c’est ainsi qu’ici et là, un peu partout de par le monde, on en vient à massacrer au nom de la religion, du Dieu miséricordieux et du Prince de la Paix. Toute cette année nous allons travailler ce phénomène de la violence religieuse au cours de l’étude biblique du mercredi soir (une fois par mois) sur le thème « Dieu est-il violent ? »

Aujourd’hui, la seconde partie de la parabole racontée par Jésus vient dynamiter, exploser, contester cette vision dualiste binaire qui oppose un dedans et un dehors. Jésus nous arrache à une vision simpliste et paresseuse qui pourrait laisser penser que de répondre à son invitation nous placerait du bon côté. Le roi entra pour voir les convives, et il aperçut là un homme qui n’avait pas revêtu d’habit de noces… Comment as-tu pu entrer ici sans avoir un habit de noces ? … Liez-lui les pieds et les mains, et chassez-le dans les ténèbres du dehors, c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents… Cette seconde partie de la parabole nous bouscule, elle nous dérange, elle nous scandalise. Ici nous découvrons sans doute un second aspect non moins important de la vie de l’Eglise, sans doute un peu plus inconfortable. En fait, la parabole ne cherche pas à « décrire » le Royaume, elle veut provoquer sa venue : Il en va du Royaume des cieux… Et c’est justement quand elle porte une parole qui nous dérange et nous scandalise qu’Il en va du Royaume des cieux. Ce n’est certes pas quand elle nous laisse bien tranquilles en nous caressant dans le sens du narcissisme, nous délivrant des messages courts (pas plus de 15mn M. le pasteur !) et simples comme nous en raffolons, faciles à retenir, faciles à recracher sans avoir été soi-même bousculé. Si la venue du Royaume ne bouscule rien dans le monde, alors cela signifie que le monde tel qu’il est se confond avec le Royaume. Si la parole de l’Evangile qui est proclamé ne nous dérange pas, c’est qu’elle ne nous apporte rien et vous l’oublierez aussi vite que vous l’aurez entendue. Bien au contraire, Jésus nous pousse à réfléchir et à nous questionner : il y en a un qui s’est fait mettre à la porte ! Comment réagir ? Par la peur ? (et moi, est-ce que j’ai les habits qui conviennent ? et si c’était moi la prochaine fois ?) Par l’indignation ? (mais c’est injuste ! pourquoi lui ? peut-être qu’il n’a pas la possibilité d’en acheter ?) Par l’inquiétude ? (mais de quels habits de noce s’agit-il ? où et comment s’en procurer ?) Par sa parabole Jésus laisse en suspens, il provoque sans donner d’explication, il met en route. Nous n’avons pas d’autre choix que d’essayer de comprendre, d’interpréter, aller chercher ailleurs, nous remettre en route. Voilà la 3ème indication très précieuse que je retiens pour nous cette année :

1) après avoir reçu l’invitation à la liberté

2) après avoir entendu l’invitation à participer à un Evangile festif

3) il faut entendre l’invitation à changer, à nous laisser bousculer, déranger

Autrement dit, ceux qui viennent dans notre Eglise doivent s’attendre à se sentir bousculés, dérangés, provoqués par la Parole que nous recevons, par la prédication que nous proclamons, par les réflexions que nous provoquons. Comme le dit le Psaume 85 : Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent. Ce qui signifie qu’il n’y a pas d’amour véritable pour celui qui n’ose pas dire ce qui dérange.

Invitation à la liberté, invitation à participer à la fête, invitation à se laisser bousculer… Alors, et alors seulement, s’accomplira pour nous ce que promet le prophète Esaïe dont nous avons lu le chapitre 54 : préparez-vous, dit-il, agrandis l’espace de ta tente ; qu’on déploie les toiles… allonges tes cordages, affermis tes piquets, parce qu’il va y avoir du monde qui va venir dans cette maison, parce que tu vas déborder, dit le prophète. Vienne ce jour où cette prophétie se réalisera. Que ce temple déborde de liberté, de joie, de gens que nous ne connaissons pas encore ! Amen.

 

[1] Guillaume Cuchet, Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Anatomie d’un effondrement, Paris, Seuil, 2018.

[2] Jonathan Sacks, Dieu n’a jamais voulu ça. La violence religieuse décryptée, Paris, Albin Michel, 2018, p.79.

[3] Ibid., p.92.

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