Les protestants et Marie ou « quand la foi n’est pas un choix »

Lecture Biblique : Luc 1, 26-56

Prédication

Qui se souvient de Brigitte Bardot qui chantait : « Tu veux ou tu veux pas ? Si tu veux, tant mieux, si tu veux pas tant pis, j’en f’rai pas une maladie… » N’est-ce pas un peu de cette manière qu’on se pose aujourd’hui la question de Dieu dans notre vie, de venir au culte le dimanche matin ou de faire un don à l’Église en fin d’année ? « Tu veux ou tu veux pas ? Si tu veux, tant mieux, si tu veux pas tant pis, j’en f’rai pas une maladie… » N’est-ce pas ainsi que l’on présente le catéchisme aux enfants, avec pour les plus persévérants, la confirmation et le baptême comme récompense finale ? « Vas-y ! Tu vas apprendre plein de trucs passionnants sur Dieu et sur la Bible et en fin de parcours, si tu veux, tu choisiras de croire ou de ne pas croire. Nous, on aura fait notre travail, et tu seras libre de choisir… »

Est-ce vraiment ainsi que naît la relation avec Dieu ? Et si on se trompait ? S’il s’agit de faire un choix, pourquoi ne pas comparer toutes les religions pour que nos enfants soient bien informés et libres de choisir ? Et même à l’intérieur du christianisme, pourquoi ne pas présenter de manière objective le catholicisme, l’orthodoxie et le protestantisme réformé, évangélique ou pentecôtiste ?  Quand on dit aux enfants qu’ils seront libres de choisir à la fin de leur catéchèse, on leur présente la foi comme un choix. On leur laisse penser que croire en Dieu, c’est choisir de croire en lui. Et soit on choisit ce qui nous paraît le plus vraisemblable intellectuellement parlant, le plus cohérent, le plus satisfaisant pour répondre aux questions que l’on se pose et dans ce cas, nous faisons de Dieu une idée, un concept intellectuel. Soit, après avoir testé plusieurs ambiances, on choisit l’église où l’on se sent le mieux, où on a été le mieux accueilli, où c’est le plus vivant, où la musique est bonne, où l’on ressent le plus d’amour, de spiritualité et de sincérité et, cette fois, on réduit la foi à un choix émotionnel et affectif. Dans un cas comme dans l’autre, c’est nous qui décidons si Dieu existe ou pas… Ne serait-ce pas quelque peu prétentieux ? N’y a-t-il pas là une petite erreur de raisonnement ?

En fait, heureusement que Dieu n’a pas attendu que nous lui en donnions l’autorisation pour venir dans notre monde. Heureusement qu’il n’a pas attendu que nous le choisissions pour venir nous rencontrer et nous prouver qu’il nous aime… Sinon il pourrait toujours attendre ! C’est, je crois, ce que raconte cette histoire de l’annonce faite à Marie…

On tombe ici sur un cliché qui veut que la plus grande différence entre catholiques et protestants réside dans le fait que les protestants ne « croient pas » à Marie… Il est vrai que nous ne lui adressons ni prière, ni statue, ni vénération particulière. Sans doute que la place des femmes dans le protestantisme, à stricte égalité avec celle des hommes, ne nécessite pas qu’on réserve à Marie un piédestal particulier qui masquerait (mal) l’invisibilité des autres femmes. Mais il n’empêche que la plupart des protestants voient en elle un modèle de foi que nous admirons à défaut d’être capables d’imiter sa soumission à la Parole de Dieu : « Je suis la servante du Seigneur, que tout se passe pour moi comme tu l’as dit ». Bien piètres imitateurs que nous sommes… Nos frères catholiques n’ont-ils pas raison de lui rendre un culte ? N’est-elle pas hors norme dans son obéissance, comme Abraham le fut quand il a accepté de sacrifier son fils unique sur le mont Moriah (cf. Gn 22, 1-19) ? Lequel parmi nous accepterait sans sourcilier de se retrouver enceinte à l’adolescence sans jamais avoir eu de relations sexuelles ? Et ne pensez pas que cela ne concerne que les femmes ! Si Dieu est capable de mettre son fils dans le ventre d’une jeune fille vierge, il est bien capable de le mettre aussi dans le ventre d’un homme ! « Car rien n’est impossible à Dieu » dit Luc. Honnêtement, n’y a-t-il pas là matière à perdre la raison ? Comment assumer pareille expérience ?

On pourrait assez facilement botter en touche en affirmant que ce que vit Marie est une expérience unique. Mais ce serait oublier le rire de Sarah quand on lui annonce qu’elle aura un fils. Ce serait oublier Rachel seconde épouse chérie mais stérile de Jacob, Anne la mère du prophète Samuel, ou Elizabeth épouse de Zacharie et cousine de Marie. La Bible regorge de ces histoires de femmes stériles ou âgées qui ont donné naissance alors que c’était biologiquement impossible. N’allez surtout pas faire de la Bible un précis de gynécologie. C’est un livre de théologie et de spiritualité. Elle affirme que Dieu intervient dans nos vies empêchées pour rendre possible ce qui est impossible, pour ouvrir les matrices stériles, pour rendre fécond ce qui est sec et donner naissance à ce qui n’existe pas. En affirmant la virginité de Marie, l’Évangile de Luc nous raconte comment Dieu prend corps. Il devient homme parce qu’il est né d’une femme. C’est aussi simple que cela. Dieu est un vrai homme. Il ne fait pas semblant.

Mais si nous acceptons cette intention de Luc de nous expliquer comment Dieu devient homme, alors peut-être faudrait vénérer Marie ? N’est-elle pas véritablement la Mère de Dieu ? Si Marie devait être un modèle de foi, ne serait-elle pas du même coup trop grande, son aventure serait bien trop extraordinaire pour nous concerner ?

Soyons clairs : je suis convaincu qu’il ne peut pas y avoir de modèle de foi. Personne ne peut être « modèle de foi », parce que la foi ne consiste jamais à choisir d’imiter quelqu’un, ni même de le suivre. Il ne peut pas y avoir de modèle de foi, pas plus Marie que qui que ce soit d’autre, parce que la foi n’est pas un choix. On ne choisit pas de croire. Ni vous, ni moi. Et c’est l’histoire même de cette annonce faite à Marie qui nous le raconte. Mais pour s’en rendre compte, il nous faut revenir à l’Évangile de Luc.

D’abord, Marie est bien jeune. Elle a entre 12 ans, l’âge normal des fiançailles, et 16 ans l’âge du mariage. Et lorsqu’elle entend l’ange Gabriel lui parler, on comprend qu’elle soit « troublée »… Crise mystique de l’adolescence ? « N’aie pas peur Marie… s’empresse de dire l’ange. Par certain que cela suffise ! Bientôt tu seras enceinte… L’ange a beau essayer de la rassurer en lui faisant miroiter la brillante carrière qui attend son fils (fils du très-haut, roi, saint, etc.), l’incrédulité s’ajoute à la peur : « Comment est-ce possible ? Je ne connais pas d’homme ? » Troublée, morte de peur, incrédule… Finalement, elle me paraît plutôt équilibrée cette ado. Elle ne commence pas par se mettre en adoration et en prière ! Alors l’ange continue d’essayer de la rassurer : « Ne t’inquiète pas, regarde Élisabeth ta cousine, il lui est arrivé la même chose… » Et très vite, dit Luc, elle ira se cacher trois mois chez Élisabeth pour essayer de faire taire les ragots de village. A-t-elle seulement eu le choix de ce qui lui arrivait ? L’ange n’est pas venu la voir pour lui demander son avis : « Tu veux ou tu veux pas ? Si tu veux, tant mieux, si tu veux pas tant pis, j’en f’rai pas une maladie… » Il lui a dit : « Voilà, c’est comme ça que cela va se passer pour toi parce que tu as été choisie par Dieu. » Et Marie se réjouira d’avoir été choisie : « De tout mon être je veux dire la grandeur du Seigneur, mon cœur déborde de joie à cause de Dieu mon Sauveur, parce qu’il a porté son regard sur l’abaissement de sa servante… »

Voilà, je crois, la vérité de cette histoire : la foi n’est jamais un choix que nous faisons mais toujours un choix que Dieu fait. Et ceci est vrai pour chacun d’entre nous. Peut-être sans que nous le sachions encore, comme Marie. Ce que vit Marie n’est en rien exceptionnel. Son expérience de Dieu rejoint la nôtre. Pour que la foi puisse naître en nous, il faut que Dieu le décide et vienne nous visiter, comme Marie. J’allais dire, il faut presque que Dieu s’impose à nous, contre notre gré, contre notre peur, contre nos résistances et nos réticences. Voilà pourquoi le prosélytisme est une imposture : personne ne peut prendre la place de Dieu et forcer le passage sans manipulation. On ne transmet pas la foi. On ne fabrique pas la foi. On la reçoit comme Marie. Je suis convaincu que Dieu m’a choisi, comme Marie, dès avant ma naissance un peu difficile, pour m’amener là où je suis aujourd’hui pour porter devant vous sa Parole. J’ai longtemps résisté et tergiversé. Mais Dieu a fait de moi ce qu’il voulait que je devienne. Et aujourd’hui, avec le recul, je peux dire comme Marie : « Je suis le serviteur du Seigneur, tout s’est passé pour moi selon ses dires ». Et ne croyez pas que je sois quelqu’un d’exceptionnel pour autant. Nous sommes tous des Marie que Dieu a choisi ! Et peut-être après un temps de trouble, de peur et d’incrédulité, en tout cas de réflexion, nous nous laissons faire, pas toujours conscients d’ailleurs que cet appel vient de Dieu lui-même. Paul Ricœur parlait de son appartenance à la confession protestante comme d’« un hasard transformé en destin par un choix continu » (La critique et la conviction, Calmann-Levy, 1995, p.219). Voilà sans doute une belle manière de rendre compte de l’expérience de Marie : une intervention de Dieu transformée en destin par un choix continu. Ce qui lui arrivait, elle ne l’a pas choisi, elle ne l’a pas sollicité et pour tout dire, cela aurait pu la détruire, au moins psychologiquement et socialement. Mais elle l’a transformé par la foi en un chemin de vie.

Si j’osais, je dirais que, tous autant que vous êtes, grands ou petits, jeunes ou vieux, malades ou bien-portants, tous vous êtes « enceinte » de Dieu. Comme Marie. Vous avez son Fils dans votre ventre parce que, aujourd’hui, j’ai été l’ange Gabriel pour vous. Et si je dis que, désormais, vous avez son Fils dans votre ventre, c’est pour bien vous montrer une fois encore que ce n’est pas dans votre tête que ça se passe (la foi n’est ni un concept ni une décision rationnelle), que ce n’est pas non plus dans votre cœur que tout se joue (la foi n’est pas le fruit d’un sentiment ou d’une émotion volatile) – mais dans vos tripes, comme une certitude intérieure indéracinable qui donne un centre de gravité à votre vie.

Et si je dis aussi que, désormais, vous avez son Fils dans votre ventre, c’est aussi pour vous signifier, qu’un jour ou l’autre, il vous faudra bien accoucher, mettre au monde ce trésor que Dieu a déposé en vous aujourd’hui. Certes un temps de gestation sera peut être nécessaire, comme Marie qui s’est réfugiée chez Élisabeth pour fuir les ragots et réfléchir à tout cela tranquillement, pour relire toute votre vie à la lumière de ce que vous avez reçu aujourd’hui. Mais tôt ou tard, il vous faudra accoucher, mettre au monde le Fils, le donner au monde qui en a tant besoin. Et ça, rien ne pourra le retenir. Vous ne pourrez pas le garder dans votre ventre sans le faire mourir. Ce que vous avez reçu aujourd’hui, il vous faudra le rendre. Et ce sera un jour de délivrance.

En attendant, sachez que « rien n’est impossible à Dieu » et que son ombre repose sur vos têtes pour vous donner la force dont vous aurez besoin. Sur vous repose sa bénédiction : « Oui, toutes les générations vous proclameront bienheureux, parce que le Tout Puissant a fait pour vous de grandes choses ! » Amen !

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