Changeons le monde, tant que nous sommes là !

Lecture Biblique : Esaïe 11, 1-9

Prédication

Qu’attendons-nous pour changer le monde ? J’aimerais tellement que nous quittions tous ce temple (petits et grands) en nous disant : moi, à mon petit niveau, je peux faire quelque chose pour changer le monde et Noël va m’aider. Et pour changer le monde, 3 stratégies s’affrontent : la soustraction, l’abstention, l’addition.

La stratégie de la soustraction cherche à éliminer le mal, la souffrance et la mort. Et c’est ainsi que Noël devient (pour certains) une période de culpabilisation de ceux qui ont trop et qui sont soupçonnés de manière plus ou moins explicite de causer le malheur de ceux qui ont moins. La stratégie de la soustraction est une stratégie de combat qui veut moins de guerre, moins de violence, moins d’injustices, moins de consommation. Comme le dit Esaïe, Sa parole, comme un bâton frappera le pays, sa sentence fera mourir le méchant.

La stratégie de l’abstention, elle, pense qu’on ne peut rien faire. Désabusée ou pétrifiée par la peur, elle estime faire partie des victimes et elle pense qu’il n’est pas possible de changer quoi que ce soit à l’ordre du monde. Alors, pour échapper un court moment aux difficultés, on s’autorise à fermer les yeux. Le temps de Noël est vécu comme un temps à part, hors du temps et hors du monde pendant lequel on s’autorise à rêver au Royaume de Dieu comme d’un monde merveilleux où le loup séjourne avec l’agneau et le petit garçon pourra mettre la main dans la cachette de la vipère, un monde où on ne commet ni mal ni destruction, comme le dit Esaïe.

La stratégie de l’addition, quant à elle, va chercher à apporter un PLUS au monde. Certes, il est possible et même vraisemblable que nous n’ayons pas les moyens d’extirper le malheur du monde… Alors pourquoi ne pas choisir délibérément de voir la bouteille à moitié pleine ? La stratégie de l’addition décide de miser sur ce qui est bon. Elle choisit d’investir sur la vie, la fête, le bonheur et la joie. Noël devient pour elle une manière de diffuser ce qui fait du bien au monde, de propager une onde de bonheur et de joie, de rendre la vie belle et bonne en essayant de rayonner le plus possible.

3 stratégies donc. 3 manières de penser et de vivre. L’une cherche à combattre et à déraciner le mal, l’autre décide de faire confiance à Dieu et à son Royaume qui vient, tandis que la 3ème choisit s’engager à bâtir et à planter.

Prenez la pensée scientifique, comme, par exemple, la physique atomique. Elle s’attache à remonter aussi loin que possible la chaîne des causalités, recherchant l’origine des phénomènes dans l’infiniment petit. Pour éliminer le mal, il faut, dit la science, en trouver la racine, la cause première, le premier moteur comme disait Aristote. Et une fois qu’on a trouvé le coupable, il ne reste qu’à trouver le moyen de l’affronter et de tout faire pour l’extirper. Sus à l’ennemi en quelque sorte… La pensée scientifique fonctionne principalement selon une stratégie de la soustraction.

La pensée magique, elle, est caractéristique de la stratégie de l’abstention. Il n’y a rien à faire puisque tout nous échappe et que nous nous sentons impuissants. C’est ainsi que nombre de chrétiens se disent : Fermons les yeux, prions et laissons Dieu agir ! Il est si fort et nous si faibles… Et souvent ils se contentent de regarder le monde comme s’ils étaient au spectacle et juges de l’action de Dieu. Ils applaudissent ou ils sifflent selon les succès ou les échecs. À la fin les uns et les autres tirent les conclusions péremptoires : Dieu n’existe pas ou il est impuissant ou il est absent ou il est indifférent… Ou alors à l’inverse, Dieu va tout arranger, parce qu’il est tout puissant. Il va arracher et détruire pour rebâtir et replanter. Au jugement dernier, les méchants vont périr et ils l’auront bien cherché ! Pensée magique de l’abstention. Chez les non-croyants, on appelle ça la stratégie de la chaise vide ou du vote blanc, une sorte de politique de l’autruche qui se met la tête dans le sable pour échapper au danger.

La pensée laïque, quant à elle, inverse les rôles. Dieu nous a laissé tomber, pense-t-elle. Il est absent ou c’est lui qui est au spectacle, assis sur le rebord du monde (comme chantait Cabrel) et il juge nos actions à distance, sans vraiment répondre à nos prières. Bref, il nous laisse nous débrouiller sans lui. Pensez à la citation attribuée à JFK : « Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous mais ce que vous pouvez faire pour votre pays » Ne dit-on pas : « Aide-toi et le ciel t’aidera » ? Pour eux, le ciel est vide et la terre à l’abandon et nous sommes seuls dans la barque. Cette manière de penser provoque 2 attitudes opposées en miroir : d’un côté une hyper-responsabilité écrasante de culpabilité (avec comme égérie une jeune suédoise qui panique le monde) et de l’autre un hédonisme inconséquent et égoïste (avec comme champion toutes catégories, un président qui vient de perdre les élections).

Prenons un exemple concret : la question ô combien actuelle de l’écologie ! La pensée par soustraction voulut arrêter le nucléaire (dangerosité, gestion des déchets, etc.) jusqu’à ce que l’on découvre que c’est sans doute la seule source d’énergie disponible, peu coûteuse et non polluante dont nous disposions… D’autres, à l’inverse, choisissent de ne rien faire à l’instar des climato-sceptiques qui croient que la catastrophe écologique engagée ne les concerne pas directement. Pensée magique. Enfin, il serait possible de décider de planter un arbre. 67 millions de Français = 67 millions d’arbres. 7,8 milliards d’habitants sur la planète : à chacun son arbre… dont on doit prendre soin. Pensée par addition. Cette manière de penser a été théorisée par un mathématicien qui s’appelait René Thom qui a expliqué que la multiplicité des changements infimes et des petits pas accumulés permettent un changement de plan radical, ce qu’il appelle une catastrophe au sens grec du terme : un changement radical.

Mais, au fond, quelle est la stratégie de Dieu en venant dans le monde à Bethléem chez ce bébé dont nous fêtons la naissance ? Est-ce lui le rameau qui sort du vieux tronc d’Isaïe comme dit le prophète qui porte le même nom ?

La première chose que nous dit cette prophétie, c’est qu’il ne sert à rien d’attendre que la solution nous tombe tout cuit dans le bec. La solution à vos problèmes dit Esaïe ne viendra pas des stratégies d’alliance avec les grandes puissances de ce monde (la politique, la puissance militaire, l’économie, le numérique, la science… que sais-je encore) mais elle viendra du vieux tronc dont vous êtes issus, elle viendra comme un rameau, une nouvelle pousse de rien du tout qui naît au milieu de vous. Et c’est bien au cœur de l’humanité que Dieu décide de venir à Noël. Vous n’êtes pas le problème, dit le Seigneur, vous êtes la solution au problème.

Mais l’espoir qui naît du milieu de l’humanité ne peut survivre que si l’Esprit du Seigneur reste sans cesse avec lui. L’Esprit qui donne la sagesse et le discernement, l’aptitude à décider et la vaillance, l’Esprit qui fait connaître le Seigneur et enseigne à l’honorer.  A ne compter que sur ses propres forces, comment voulez-vous réfléchir avec sagesse et discernement ? La crise écologique oppose un démenti cinglant à celles et ceux qui s’illusionnent sur ce point : des décisions sont prises mais personne ne les met en œuvre et chaque minute qui passe aggrave la situation. Cela demande de la vaillance dit Esaïe. Du courage et de la liberté. L’esprit de Dieu, dit le prophète, équipe l’intelligence de l’homme sans pour autant faire à sa place. N’avons-nous pas terriblement besoin de cet Esprit de liberté vis à vis des modes, des pressions, des oppositions, des freins, des idéologies, des puissances, des nécessités, des manipulations, des séductions ?

Encore faut-il honorer Dieu, c’est-à-dire lui réserver l’espace nécessaire dans notre existence. La foi est une source inépuisable d’inspiration, de libération et d’action dit le prophète. Et la connaissance du Seigneur devrait remplir la terre tout comme les eaux recouvrent le fond des mers. Sans elle, aucune de nos stratégies, aucune de nos décisions, aucune de nos actions ne sera en mesure de changer le monde, qu’elles essaient de combattre le mal ou qu’elles investissent sur le bien. Notre Dieu ne fonctionne pas comme un mathématicien pourrait le supposer. Dieu fonctionne par subversion, par transformation, par transfiguration. Il ne rejette pas ce que nous faisons comme une soustraction. Et il n’agit pas non plus tout seul, dans notre dos, comme par magie ou par addition. Par son Esprit et par notre foi, il transforme ce que nous faisons pour en faire son Royaume et pour que l’amour triomphe. Liberté, justice, paix, lumière, espérance, douceur, joie, connaissance, pardon, engagement, estime de soi et des autres… toutes ces valeurs humaines, toutes ces actions que nous pouvons mener pour changer le monde (et nous pourrions en ajouter des dizaines) seront transformées par notre foi, fruit de l’Esprit de Dieu… si et seulement si nous lui laissons la place qui lui revient.

Alors et alors seulement le monde changera. Alors et alors seulement l’amour viendra. Alors, et alors seulement seront transformés l’antagonisme et l’instinct naturel de prédation qui fait que c’est dans la nature même du loup de manger l’agneau, que c’est l’ordre du monde qu’un lionceau apprenne dès son enfance à tuer le veau et que le serpent soit toujours un danger pour le nourrisson. C’est la nature même du monde qui peut être subvertie et transformée par notre action enracinée dans la foi. Oui nous pouvons changer le monde. C’est possible. Alors se réalisera la prophétie d’Esaïe : Ce jour-là le descendant de Jessé sera comme un signal dressé pour les peuples du monde. (…) Et du lieu où il s’établira rayonnera la gloire de Dieu. Amen.

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