La force des gestes symboliques

Lecture Biblique : Ézéchiel 37, 15-28

Prédication :

Quels sont les gestes symboliques qui ont marqué votre vie à tel point que vous vous en souveniez encore 20, 40 ou 60 ans après ? Moi j’en ai trois en tête : Mettre de la terre sur le cercueil de ma grand-mère dans sa tombe – Voir couper le cordon ombilical de mes enfants lors de leur naissance – Mettre pour la première fois ma robe pastorale pour monter dans la chaire pour prêcher.

La mémoire est étonnante. On ne se souvient guère des paroles prononcées. Par contre, le geste fait à ce moment très précis reste gravé de manière indéfectible. Ce fonctionnement de la mémoire se retrouve aussi devant les histoires de la Bible, les paroles s’envolent, les gestes et leur portée symbolique restent. Adam et Eve qui mangent le fruit défendu. Noé qui construit son arche. Jacob qui trompe son frère Ésaü pour un plat de lentille. Qui se souvient des 10 commandements par cœur ? Par contre, tout le monde se souvient de Moïse qui brise les tables de la Loi quand il descend du Sinaï. Voilà un fait certain et indiscutable : les gestes symboliques marquent notre vie beaucoup plus sûrement que tous les discours aussi intelligents soient-ils. Voilà une réalité que connaissent tous les responsables marketing de toutes les entreprises et voilà, à mon avis, qui devrait retenir l’attention de tous les prédicateurs !

Les prophètes le savaient parfaitement : Le SEIGNEUR m’a adressé sa parole. Il m’a dit : « Toi, l’homme, prends un morceau de bois et écris dessus ces mots : « Juda et les Israélites de ce royaume. » Ensuite, prends un autre morceau de bois et écris dessus : « Joseph, ou Éphraïm, et les Israélites de ce royaume. » Mets les deux morceaux bout à bout, pour qu’ils forment un seul morceau dans ta main. Vous ne connaissez peut-être pas cette histoire ? Mille ans avant notre ère, le règne du roi David passe pour être l’âge d’or d’un bonheur définitivement perdu : la seule période de bonheur de toute l’histoire de ce peuple. Après la mort du roi Salomon, le peuple se déchire en 2. Querelle de succession dit la Bible. Au nord, le riche Royaume d’Israël et au sud, autour de Jérusalem, c’est le royaume de Juda, qui restera malingre et sous développé face aux frères ennemis du Nord. Et puis l’impensable était arrivé. En 722, le royaume du Nord a été complètement dévasté par les Assyriens. Sous le règne du roi Josias, le royaume du Sud se croit victorieux. L’échéance n’est est que retardée. En 587 avant notre ère, les Babyloniens victorieux des Assyriens ravagent le royaume de Juda. Cette fois, après près de 4 siècles de déchirure et de querelles, il semble bien que ce soit la fin des deux. C’est justement dans ce contexte que le prophète Ézéchiel pose ce geste symbolique stupéfiant : prendre 2 morceaux de bois symbolisant les 2 royaumes frères-ennemis maintenant anéantis pour les tenir ensemble dans sa main. L’objectif clairement affiché consiste à marquer les esprits et provoquer les questions : Les gens de ton peuple vont te demander : « Explique-nous ce que cela veut dire. »

Le Seigneur dévoile sa stratégie : il ne s’agit pas de parler, d’enseigner, de faire la morale, de donner des leçons sur ce qu’il faudrait faire, ou pire, sur ce qu’il aurait fallu faire. Dieu veut réaliser la réconciliation que le geste symbolise. En tenant les 2 bouts de bois, le prophète Ézéquiel agit pour Dieu. Il ne fait pas que parler pour Dieu. Il agit à sa place. Il fait et il explique ce qu’il fait. Voilà, dit le Seigneur, tout ce qui te déchire, tout ce qui est déchiré et brisé en toi, je le tiens caché dans ma main. Je prends dans le creux de ma main ce qui est le plus fragile en toi, ce qui est blessé, ce qui est brisé, ce qui est abîmé.

Dans cette histoire des bouts de bois tenus dans la main du prophète, se donne à mon avis la plus belle définition de l’amour : confier à l’autre ce qu’on a en soi de plus fragile pour qu’il s’en occupe et qu’il en prenne soin. En général, on ne confie à personne ses fragilités et ses blessures. En général, on les cache pour que personne n’en profite pour nous blesser plus encore. A personne sauf par amour, dans un couple. Et bien par son geste symbolique, le prophète invite le peuple d’Israël à confier dans la main de Dieu la déchirure qui a séparé les 2 royaumes depuis bientôt 4 siècles. Voilà ce que j’aimerais dire à la lumière de cette histoire à chacun d’entre nous ici présent aujourd’hui : confie à Dieu ce que tu as de plus faible en toi, de plus fragile. Tiens, Seigneur, je te confie ma fragilité et mes blessures : prends en soin, protège-les, je t’en supplie. Je te les confie parce que je sais que tu n’en profiteras pas pour m’humilier, pour me rabaisser ou pour me détruire. Peut-être est-ce cela le service du monde qui est demandé à l’Eglise : Poser la main de Dieu sur quelqu’un, sur un couple qui vient de se marier, sur une personne qui souffre, sur un bébé qui vient de naître, sur un jeune qui confesse sa foi pour la première fois, sur un pays déchiré, sur des haines qui se déversent, sur des désespoirs qui se révèlent. Geste symbolique d’une force à nulle autre pareille. Oui vraiment, les gestes symboliques ont une puissance efficace bien plus grande que les discours.

Tous les prophètes ont utilisé cette manière de communiquer. Elie jette son manteau sur Élisée pour lui signifier sa vocation et le désigner pour successeur (1 Rois 19, 19). Osée se marie ostensiblement avec une prostituée pour parler de la douleur de Dieu devant l’infidélité de son peuple (Osée 1, 2). Esaïe se promène dans les rues de Jérusalem complètement nu et déchaussé pendant 3 ans en signe de la future défaite des égyptiens et des nubiens face à l’Assyrie (Esaïe 20, 3). Jérémie va briser une cruche pour annoncer la déportation à Babylone (Jérémie 19, 1-15-. Le prophète Ézéchiel, lui, va se promener avec un baluchon sur le dos en guise d’annonce de l’Exil qui s’annonce. Il ira jusqu’à manger un livre : Le Seigneur me dit : Fils d’homme, nourris ton ventre et remplis tes entrailles de ce rouleau que je te donne (Ézéchiel 3, 1-3).

Tout le ministère de Jésus est parsemé de ces gestes symboliques. Je vous en propose 4 qui sont pour moi parmi les plus marquants, les plus significatifs de qui il était et de ce qu’il voulait faire et dire. Je suis certain que vous les connaissez bien plus sûrement que tous les discours de Jésus.

Le premier marque le tout début de son ministère. Que fait-il en tout premier avant même de prendre la parole ou de guérir qui que ce soit ? Il décide de recevoir le baptême des mains de Jean-Baptiste. Une manière symbolique de dire : tout ce que je vais faire et dire, je veux le placer sous l’autorité du Père (Marc 1, 9-11).

Tout le monde connaît ce passage de Jésus en colère qui chasse violemment les marchands du Temple. Ce geste n’a rien à voir avec une quelconque révolte de Jésus contre le matérialisme de son époque. Il signifie que sa présence rend inutile les sacrifices du temple de Jérusalem parce qu’il est lui-même Dieu présent parmi son peuple. Le Temple peut être détruit : il le reconstruira en 3 jours. Ce geste symbolique est tellement fort qu’il va provoquer sa condamnation à mort (Jean 2, 13-22 et Matthieu 21, 11ss). Autre geste symbolique marquant : quand Jésus se met à genoux pour laver les pieds de ses disciples, il signifie plus que de l’humilité. Il vient montrer qu’il n’est pas qu’un parleur, un prêcheur simplement venu délivrer son message. Il n’est pas venu parler, il est venu agir, faire quelque chose pour nous, pour nous servir, symbolisé par le fait de laver les pieds de ses disciples (Jean 13, 1-20).  Dernier geste symbolique que je retiens parce que nous allons le revivre ensemble tout à l’heure : le dernier repas. Prendre du pain et du vin – la nourriture la plus banale et la plus essentielle de l’époque – comme signe d’une vie donnée pour nous (Marc 14, 22-25)

Bref. Il y a là une manière de communiquer extrêmement efficace. Beaucoup plus qu’un message, le geste symbolique manifeste une manière d’être. Vous savez qu’il existe 2 sortes de communication. Une communication qu’on appelle digitale parce qu’elle donne un contenu d’information. Elle apporte un savoir objectif, un message indépendant du messager. Quand vous regardez les infos par exemple, les résultats de la bourse vous sont donnés comme des informations brutes sans analyse. C’est de la communication digitale. Les messages reçus sont intégrés et analysés intellectuellement. Et puis les spécialistes de la communication ont analysé une autre forme de communication qu’ils ont appelée « communication analogique » ou « communication non verbale ». La posture, les gestes de celui qui parle, les mimiques, les inflexions de la voix, le rythme des mots. Tout ce qui fait qu’on sent parfaitement bien si les mots sont habités et sincères ou si on nous raconte des bobards. A la différence du langage digital qui envoie un message au cerveau, le langage analogique parle avec les émotions ressenties. C’est ce qu’on appelle le feeling. Et bien, il faut le savoir, le langage symbolique, le geste du prophète Ézéchiel par exemple, mais aussi le baptême, la Sainte Cène, la bénédiction des mariages, l’imposition des mains, tous ces gestes ne relèvent pas de la communication intellectuelle et cérébrale mais de la communication non verbale. Autrement dit, cela ne se passe pas dans notre tête mais dans notre cœur et dans nos émotions. Et c’est exactement pour cette raison que les gestes symboliques marquent notre mémoire beaucoup plus fortement que ne peuvent le faire tous les discours du monde. Notre corps se souvient de ce que notre cerveau a oublié depuis longtemps. Autrement dit, vous vous souviendrez beaucoup plus longtemps et beaucoup plus sûrement de ce que vous avez eu mal aux fesses et au dos sur les bancs de ce temple que du contenu de ma prédication d’aujourd’hui.

Au fond, en disant cela, je me demande si notre protestantisme réformé n’est pas devenu inadapté au monde dans lequel nous vivons. Notre manière de vivre notre foi et d’en rendre compte reste, de fait, beaucoup trop cérébrale. Notre protestantisme est en déficit de gestes, de signes, d’expressions corporelles et de symbolique forte. Trop centrée sur la dimension intellectuelle, notre manière de communiquer perd aujourd’hui une grande part de son crédit et de son efficacité dans un monde influencé, souvent façonné, par l’image et le geste symbolique. Aujourd’hui les hommes politiques les plus populistes en abusent jusqu’à la nausée de cette efficacité du geste symbolique et de l’image : et ça marche ! Je pense également à la croissance exponentielle des églises évangéliques et pentecôtistes quand nos églises historiques stagnent ou régressent. Je le regrette mais il faut se rendre à l’évidence : leur manière de vivre l’Eglise apparaît en osmose avec notre monde alors que nous sommes vraiment réellement décalés pour ne pas dire inadaptés…

Attention, je ne veux absolument pas dire qu’il nous faudrait essayer de les imiter. Je ne dis pas non plus qu’il faudrait sacrifier le fond à la forme, abandonner l’intelligence au profit de l’émotion ! Non, ce que je crois fondamentalement, c’est qu’il nous faut apprendre à réarticuler les deux… Si nous sommes convaincus de la pertinence de notre manière de comprendre l’Évangile, alors nous devons nous donner les moyens de le communiquer avec les outils d’aujourd’hui sans avoir peur ! Ça sert à quoi de parler si personne ne reçoit ce que nous avons à dire ?

D’ailleurs, je pense que la distinction entre le fond et la forme n’existe pas dans la réalité. Le lien qui les unit est le même que celui qui existe entre les paroles et les actes. « La forme, c’est le fond qui remonte à la surface » disait Victor Hugo. Et Jésus de renchérir : Pour entrer dans le Royaume des cieux, il ne suffit pas de me dire : « Seigneur, Seigneur ! » Il faut aussi faire la volonté de mon Père qui est dans les cieux (Matthieu 7,21-23).

Tout ce que nous allons faire en ces temps de Noël est pétri de ces symboles qui portent le fond de l’Evangile avec une grande efficacité. Ces moments de fête avec les enfants, les repas partagés, les messages envoyés, les cadeaux échangés, les pardons donnés, ces retrouvailles vécues, ces personnes consolées, ces familles recréées. Mais aussi ces personnes oubliées, ces enfants mal-aimés, ces cadeaux dénigrés et revendus sur le net, ce gaspillage effréné. Aujourd’hui nous avons reçu par la main des scouts la lumière de la paix venue de Bethléem. Qu’allons-nous faire de ce geste symbolique ? La semaine prochaine, notre Eglise va vivre sa fête de Noël avec les enfants qui ont été glissé des messages dans les chaussettes rouges. Ils espèrent et ils attendent notre réponse à leur geste symbolique.

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