« Entre Ciel et terre »

Frères et sœurs en 2024 il faut se lever tôt pour assister à un culte protestant de l’ascension.

Il semblerait que cette fête soit tombée en désuétude, pour nous il est vrai certains de nos pasteurs sont au synode national pour la gouvernance de notre Église mais autrement cette fête est négligée, certains la trouvent inutile, d’autres préfèrent partir en week-end prolongé, pourquoi pas. Voilà ce qu’il en est. Il apparaît à l’étude que cette fête peut être autre chose qu’une fête mineure. Les orthodoxes et les églises orientales font de cette fête une fête centrale, et regarder un peu de leur côté ne nous ferait pas de mal. Cette fête nous pouvons la comprendre de bien des manières et si on la prend au sérieux, en l’incluant dans l’année liturgique nous pouvons l’articuler de bien des manières profitables pour notre foi. Je profite de ce moment pour penser au professeur, théologien et pasteur Laurent Gagnebin qui a beaucoup fait pour réhabiliter cette fête et qui a ouvert des questions à son sujet que nous ne devrions pas refermer.

Lançons quelques pistes. Articulons par exemple l’Ascension avec la fête de noël, à Noël Dieu descend et devient homme, à ce pas si nous nous incluions dans ce mouvement et dans cette dynamique ? Pensons un instant qu’ici nous avons l’opportunité de pouvoir équilibrer l’autre versant de notre anthropologie ancienne et très protestante de l’homme écrasé sous sa responsabilité et son péché, l’homme dans certaines pages de Calvin les plus sombres, complètement corrompu par le péché.

Ici, à l’ascension, nous avons ce même homme déchargé, ce même homme relevé et tiré au ciel avec Jésus, libéré, justifié, envoyé librement en témoignage. Je vais même aller plus loin, en risquant de frôler l’hérésie j’ose, âmes théologiquement sensibles vous pouvez boucher vos oreilles. Si à Noël Dieu se fait homme, du moins si nous croyons à la doctrine de l’incarnation, pourquoi ne croirions nous pas qu’à l’ascension, l’espace d’une fête l’homme est fait Dieu ? ah. Je vois ici des dents grincer. Je tempère, comprenons notre fête à la lumière de ce verset chez Jean : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera, lui aussi, les œuvres que je fais ; et il en fera même de plus grandes parce que je vais au Père1 ».

Frères et sœurs, fort de cet exorde, prenons la peine juste un moment, comme les disciples du texte de notre fête, de pouvoir nous tenir droit et lever nos yeux au ciel suivant des yeux celui qui est remonté, rentrons enfin dans notre texte.
Nous sommes ici au commencement du livre des actes des apôtres. Ce qu’on pourrait appeler la première histoire de l’Église, et ici, c’est émouvant, nous avons les premiers pas des chrétiens seuls, des chrétiens séparés de leur maître, Jésus, livrés à eux mêmes. Et que se passe-t-il ?

Rendons nous compte de ce que cette situation a d’abrupte.

Les disciples, tout comme nous au fond, ont, depuis le début des récits évangéliques des attentes propres et fondées sur ce que devrait être un messie. Et la dure carrière de disciple consiste, nous le lisons, à voir ses attentes et désirs frustrés et corrigés, se faire montrer des miracles différents de ceux qui étaient rêvés. Je vous le dit mais vous le savez déjà, disciple, dans les évangiles ce n’est pas une vie. Ça passe son temps à essuyer les plâtres de la révélation pour que nous nous la recevions toute prête.

Ce que Dieu nous apporte d’une part, c’est une attente et un espoir différent de celui que nous avions originellement. Il change notre foi, il nous éduque à croire. À notre foi de petits enfants qui désirons un Dieu surpuissant qui est le plus fort et qui gagne sur les méchants : voici que Jésus meurt sur la croix. A nous qui désirons fréquenter un Dieu d’une sainteté irréprochable : le voici qui mange avec les collecteurs d’impôts et qui côtoie les lépreux.
A nous qui désirions un Dieu d’un autre monde, un autre monde où nous pourrions nous échapper de notre condition un instant et ne plus avoir à nous frotter aux problèmes de cette terre, voici un Dieu qui nettoie les pieds des humbles.

Christ qui est revenu d’entre les morts, les disciples incorrigibles, et nous avec eux lui demandons si c’est bien maintenant la vraie fin, pas l’autre fausse, celle de la croix, et pas non plus la fausse, celle de la résurrection, si quelqu’un a ici des connaissances musicales on pourrait appeler ça des cadences évités, ça frustre l’auditeur qui attends la cadence parfaite avec plus d’envie. Non le vrai accomplissement, l’« happy ending » tant attendu. La victoire éclatante du messie sur les puissants de ce monde : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le Royaume pour Israël ? » l’air de dire, Seigneur ton message éthique et le rapport au Père que tu nous enseignes depuis que nous te connaissons ça va bien mais est- ce qu’on ne pourrai pas plutôt enfin en venir au fait ? Pourrais- tu enfin faire ton travail de Messie et accomplir les temps ?
Et à cette vraie fin attendu par la première communauté, qu’est- ce que réponds Jésus ? « Vous n’avez pas à connaître le temps. » Donc ce n’est pas de notre ressort et ce n’est pas ce qui est attendu de nous. Et Jésus de rajouter que nous recevrons l’Esprit pour être ses témoins jusqu’aux extrémités de la terre.
Sur ce, il disparaît, enlevé aux cieux. Dialogue de sourd semblerait-il.

Avouez que nous pouvons facilement imaginer la frustration et la déception des disciples qui à ce moment là voient leur attente leur échapper définitivement. Et à cette attente, ce désir frustré parce qu’il n’avait rien à voir avec la mission de jésus- Christ dans le monde, c’est la poursuite du chemin qui commence, sur un malentendu c’est la vie de l’Eglise qui commence. Jésus les laisse seuls, avec comme mandat le témoignage pour le monde, jusqu’aux extrémités de la terre.

Et à ce moment ça y est, nous y sommes, la présence corporelle du Christ n’est désormais plus parmi eux.

Qu’elle réaction ? Que ferions nous ? La stupéfaction probablement. Le devoir de mémoire peut-être. Nous pourrions nous figer ici et entretenir le lieu de l’ascension, comme sanctuaire touristique et raconter à qui voudrait bien l’entendre ce qui se passa à cet emplacement. Les disciples ont perdu leur maître. Celui derrière qui ils marchaient sillonnant les chemins, les places, les bords de la mer le voyant guérir, le voyant prêcher, le voyant vivre. Celui ci n’est plus désormais et les disciples n’ont plus de guide qui marche devant eux.
Et les voilà arrêtés fixant le ciel là où est parti leur maître. A la perte ils pourraient proposer l’immobilité, à la fin de la présence de Jésus, tout figer. Non ça ne devait pas se passer comme ça.

A ce moment là c’est la deuxième apparition de deux hommes en tenue d’une blancheur éclatante.
Souvenons nous, Où était la première apparition ? Au tombeau vide bien sûr, sur le témoignage de Marie de Magdala (Lc 20, 11-12) qui en pleurs déplorait la mort de son Seigneur, Et qu’est-ce qu’ils dirent au tombeau ? « Femme, lui dirent-ils, pourquoi pleures- tu ? » Et de cette absence au tombeau nous fîmes la fête de Pâques, fêtant la résurrection de Notre Seigneur et sa victoire définitive sur la mort.

Et là pourquoi ne fêterions nous pas Notre Seigneur enlevé du milieu de nous, son retour auprès du père et son exhortation par les deux hommes en blanc de témoigner libres de celui qui nous enseigna la nouvelle de la vie et de la réconciliation en Dieu ?
Deux nouvelles d’importance considérable, deux nouveaux départ à des moments où tout aurait pu s’arrêter et mourir. Pâques, la résurrection, celle du Christ et la notre par le baptême, que nous célébrons et que nous avons déjà bien médité et aujourd’hui qui en fait le pendant : l’Ascension, la fête de la liberté en Christ et l’exhortation à continuer notre chemin sur son chemin avec l’assurance de son Esprit constamment avec nous. Nous arrivons à ce que cette fête pourrait enfin nous dire à nous, maintenant : c’est notre majorité spirituelle et notre responsabilité chrétienne qui sont inaugurées en cette fête. Ainsi le Christ parti c’est notre chemin en propre qui commence : « Gens de Galilée ? Pourquoi restez- vous là à regarder le ciel ? » .

Oui cela surprend, nous qui avons été habitués à aimer les schémas, à aimer les cadres de toutes sortes et les références à une autorité, ici c’est maintenant à nous, poussés par l’esprit à prendre la route sans personne qui ouvre le chemin.

Avouez que ça fait un peut peur quand on y pense. Ici dans ce livre des actes des apôtres qui s’ouvre il n’y a pas de jurisprudence, pas de notice à suivre pour que ça se passe bien. D’une certaine manière il en est sera de même pour nos vies.
Qui sait vraiment ce qui nous attend ? Nous ne savons pas et pourtant nous y allons, et ce n’est plus christ qui est au devant de nous mais c’est l’Esprit qui nous pousse.
Cette liberté et cette responsabilité chrétienne il faut vraiment la prendre au sérieux. Inutile de nous dire dès à présent : « Dans cette situation qu’aurait fait Jésus ? » Parce que Jésus il est monté aux cieux et il a voulu que ce soit toi qui t’affrontes à la vie. Les chemins dès à présent seront aussi nombreux qu’il y aura de chrétiens à cheminer. Et il est là aussi le miracle.
Combien de chemins pourront ainsi parvenir aux extrémités de la terre ?
Nous n’avons plus de maître spirituel, nous n’avons plus de tuteur légal, nous avons bien d’autres choses, l’assistance de l’Esprit et la mémoire active de l’enseignement de Jésus. Pour ainsi dire nous avons l’Esprit et l’amour, et ce sont deux outils qui sont bien puissants et accompagneront nos vies. Ces deux outils ne supportent pas la procuration, ils en meurent. Ainsi si Jésus monte aux cieux ce n’est pas pour laisser la place à quelqu’un qui deviendrait son vicaire. Nous ne sommes pas des plans de tomates qui avons besoin de tuteurs, je ne dis pas ça parce que c’est la saison du travail dans les potagers, ni parce que c’est la saison d’une campagne électorale qui atteint des niveaux médiatiques d’une qualité affligeante. Mais ce que je veux dire c’est que cette fête doit nous rappeler de ne surtout pas penser par procuration, aimer ou haïr par procuration, en un mot vivre par procuration.

Cette fête c’est le don de la vie libre pour toi, sous la garantie de Jésus avec la dimension du royaume des cieux. Ce n’est pas rien et il faut s’en saisir.

Cette responsabilité et cette liberté elle est aussi difficile qu’elle est précieuse. Désormais mon frère ma sœur, dans notre vie de foi notre seul maître sera notre Seigneur Jésus Christ et personne d’autre. Tu sauras au fond de toi, par le commandement d’amour qui émane de son Évangile ce qui sera bon de suivre ou d’éviter, et tu sauras que dans tes chemins les plus sombres comme les plus lumineux c’est son Esprit saint qui te pousse. Tu sauras aussi que si en ressuscitant, Jésus nous ressuscite aussi en nous faisant apercevoir un horizon différent que celui de la mort, alors en montant au ciel il redresse notre tête, redresse notre dos parfois bien courbé par les soucis du monde et nous montre que la haut une part de nous est appelée et un ami nous est favorable.

Mon frère, ma sœur, en cette fête de l’ascension c’est une nouvelle dimension de notre vie croyante qui débute. Nous sommes désormais, du fait du départ de notre Seigneur appelés à marcher en responsabilité libéré par Dieu qui a voulu faire la place pour notre réponse libre et responsable à sa suite. À notre vie de foi et de disciple, il ajoute la dimension d’une nécessaire liberté.
A quoi voulez vous que nous serve une vie ressuscitée si elle n’est pas vécue vers le ciel, les deux pieds sur terre et la tête dans les étoiles ?
A quoi voulez vous que nous serve le don de la vie si nous n’y ajoutons la dignité et la liberté ?

En décidant de monter au ciel, Jésus revêt désormais notre vie d’une dimension qui nous libère d’une horizontalité subie. Dieu s’est un jour incarné pour venir vers nous, ici c’est la fin provisoire de sa pérégrination sur terre, et il nous entraîne avec lui dans son retour vers les hauteurs. Nous sommes d’une certaine manière participants de son ascension car sur terre il s’est lié à nous par le testament de la nouvelle alliance. Il ne nous laisse pas simplement en plan mais nous ouvre, encore et toujours un chemin nouveau dans la grâce, la confiance et sa liberté,

Amen.

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