Jésus guérit dix lépreux

Chaque jour, 50 enfants dans le monde contractent la lèpre. Pourtant ce n’est pas une maladie très contagieuse. Elle se transmet par les voies respiratoires. Elle se soigne avec une polychimiothérapie. Mais c’est une maladie de la pauvreté et de la promiscuité. L’OMS pensait l’éradiquer avant 2020. On parle aujourd’hui de 2035. Plus de 3 millions de personnes en sont encore atteintes.

Elle était présente à l’époque du Christ et bien avant. L’histoire de Naaman, le lépreux, en est un exemple. Dans le Lévitique (13-14) elle est répertoriée dans les maladies de la peau et signe d’impureté elle exige la mise en retrait, à distance, de la vie de la communauté. Pourtant, avec optimisme, le Lévitique en envisage la guérison possible, la disparition visible, qui autorise le lépreux guéri à venir en faire faire le constat par le prêtre qui lui permet alors de réintégrer la communauté, non sans avoir offert les sacrifices d’usage, importants pour les riches, plus légers pour les pauvres… quand même un mouton, de la farine et de l’huile, deux tourterelles et deux pigeons.

Tel est l’arrière-plan de notre texte, aujourd’hui : Dix lépreux qui, voyant passer Jésus, l’interpellent, tout en respectant les règles c’est à dire en tenant leurs distances. Il semble qu’ils connaissent Jésus pour l’appeler, fait rare dans l’évangile, par son nom, Jésus. Ils l’ont probablement déjà vu passer entre Galilée et Samarie. Jésus n’hésitait pas à traverser la Samarie pour se rendre à Jérusalem, même si les samaritains n’aimaient pas les juifs. Quelques chapitres plus haut, Luc mentionne un village qui a refusé de recevoir  Jésus avec ses disciples qui, du coup, lui proposaient de faire descendre sur ce village le feu du ciel… Mais revenons aux lépreux.

Pourquoi Jésus ne les guérit-il pas, immédiatement. Il « sait faire » si vous me permettez cette expression. Ainsi, toujours dans ce même évangile, mais aussi chez Matthieu et Marc (alors que le texte des 10 lépreux est propre à Luc) on peut lire, au chapitre 5:

Et il arriva, comme il était dans une des villes, que survint un homme plein de lèpre. Et voyant Jésus, il tomba sur sa face et le pria, en disant : « Seigneur, si tu veux, tu peux me purifier. »

Et étendant la main, il le toucha, en disant : « Je le veux, sois purifié ! » Et aussitôt la lèpre se retira de lui.

 Puis il lui commanda de ne le dire à personne. « Mais, [dit-il,] va te montrer au sacrificateur et offre pour ta purification ce que Moïse a ordonné, en témoignage pour eux. »

On parlait de lui de plus en plus ; de grandes foules de gens se rassemblaient pour l’entendre et être guéris de leurs maladies.

Visiblement, Luc en nous rapportant la guérison des 10 lépreux veut nous faire entendre autre chose. Pas la capacité de Jésus à apporter la guérison, ni la manière dont il est reçu par les foules, mais ce qui concerne notre rapport avec lui, notre foi, et disons-le d’emblée « la foi qui sauve ».

 

Revenons donc à notre question : Pourquoi Jésus ne guérit-il pas tout de suite les 10 lépreux alors que c’est son intention, comme le montre la suite du récit ? On le voit bien, il teste la foi de ces 10 lépreux. Ils se sont approchés en disant leur attente mais en même temps leur confiance dans ce maître qui peut avoir compassion pour eux. Comme nous d’ailleurs en venant au culte ce matin, avec nos souffrances, nos interrogations, nos lèpres, qu’elles soient personnelles ou collectives. Nous nous sommes approchés de celui à qui nous reconnaissons une autorité sur nos vies et dont nous attendons compassion.

Et Jésus va tester leur foi. « Allez vous montrer aux prêtres ! » Et ils y vont. C’est-à-dire qu’ils font confiance à la parole du Maître. Ils ne posent pas de questions comme souvent le font les disciples de Jésus : Comment saurons-nous ? Comment irons-nous ? Dis-nous… Non, ils y vont et sur le chemin sont purifiés. Et nous devrions avoir la même confiance. Je ne devrais pas vous dire cela, mais vous n’avez pas besoin de venir au culte pour savoir que le Christ offre la purification à ceux qui la lui demandent ; vous n’avez pas besoin de venir en ce lieu pour écouter sa parole et vous en nourrir. Vous pouvez aller directement « vous montrer aux prêtres ». Comprenons cette symbolique.

Le rôle des prêtres tel qu’il est défini par la Loi de Moïse quant à la lèpre était de réintégrer le malade dans la communauté. Et c’est bien tout le sens des paroles du Christ dans notre vie ; nous donner de construire, avec bien d’autres, une communauté purifiée par sa parole, un monde où sa justice donne un cadre aux relations humaines, où son amour lui donne un sens, ou sa paix lui donne une espérance. Comme nous l’avons lu dans l’épitre à Timothée :

Si nous sommes morts avec lui… nous vivrons avec lui

Si nous persévérons… nous règnerons avec lui

Si nous le renions… lui aussi nous reniera

Si nous manquons de foi… lui demeure digne de foi

Non, nous n’avions pas besoin de venir au culte ce matin pour cela ? Bien au contraire, c’est dans le monde qu’il ait besoin de nous pour que notre « purification », entendez notre relation au Christ, notre attention à sa parole, servent de témoignage.

 

Et pourtant, vous l’avez bien noté, celui des dix lépreux qui est mis en valeur par le récit de Luc c’est celui qui revient sur ses pas dès qu’il constate sa purification. Il revient en rendant gloire à Dieu. Et à celui-ci, lui seul, Jésus dira « Ta foi t’a sauvé. »

Comment entendre cela ? Peut-être en donnant un sens aux trois questions que Jésus pose, à ses disciples ou aux lecteurs de l’évangile que nous sommes.

Première question : N’ont-ils pas été purifiés tous les dix ?  Vous l’entendez c’est une question purement rhétorique, qui contient en elle-même sa réponse. Oui, ils ont tous été purifiés car telle est l’œuvre de Dieu, telle est sa volonté pour l’humanité. Il n’y a pas un seul texte de la Bible qui envisage une volonté de Dieu restreinte à une petite portion de l’humanité, un « happy few » qu’il se réserverait. L’offre de salut est universelle. Le Christ a rétabli par sa mort et sa résurrection le lien entre Dieu et sa création. C’est pourquoi l’accueil de nos Églises sans limites, sans conditions préalables est tellement important pour tenter de rendre compte de l’amour de Dieu. Mais pas seulement l’accueil de nos Églises mais plus encore notre participation à la construction de nos sociétés humaines. Chacun pourra faire ce qu’il souhaite de notre témoignage concernant l’œuvre de Dieu, l’ignorer, le renier, mais nous sommes appelés à être témoins de cet amour infini.

Dans une certaine mesure, nul ne peut douter que les 9 lépreux quand ils se sont présentés aux prêtres ont témoigné à leur manière de cet amour de Dieu. Comme l’aveugle guéri de sa cécité dans l’Évangile de Jean qui disait partout, au grand agacement des pharisiens qui ne voulaient pas le croire, : « j’étais aveugle, et je vois », eux, tous les neufs vont continuer à dire : « nous étions exclus par la lèpre, et nous voici réintégrés ». C’est déjà énorme. C’est déjà approcher de la vérité de Dieu… mais c’est une guérison, c’est un miracle, et ce n’est pas le salut.

Vient en effet la deuxième question de Jésus : « Et les neufs autres où sont-ils ? » C’est-à-dire pourquoi 90% qui ne se retrouvent pas pour « rendre gloire à Dieu » ? Aujourd’hui, chez nous, nous serions à 10% pour célébrer Dieu, nos temples seraient pleins. Mais évitons de dire à ceux qui sont présents qu’ils ne sont pas assez nombreux. Ils sont là et tentons de comprendre à quoi Jésus nous rend attentifs.

Qu’a-t-il de plus que les autres ce dixième lépreux ? Il vient rendre grâce, face contre terre, aux pieds de Jésus. Il vient constituer avec Jésus une relation personnelle. Certes, il peut parler de sa purification, comme les neufs autres, mais lui seul aura dit et continuera de dire sa gratitude au Christ. Notre foi peut être intelligente ; intelligence de la parole reçue ; intelligence du monde dans lequel nous vivons et qui aspire à la paix et à la justice ; mais cette foi aussi intelligente soit-elle, aussi confiante soit-elle dans la parole du Christ, doit pouvoir témoigner d’une présence, d’une relation vivante, d’un temps pendant lequel nous sommes aux pieds du Christ pour qu’il nous dise « lève-toi et va ; ta foi t’a sauvé ».

Bien sûr nous pouvons tout faire en « télétravail ». Chez nous ! Lire la Bible et prier ; et nous devons même le faire pour nourrir notre réflexion et notre témoignage quotidien. Mais ici, ou dans les lieux comme celui-ci, nous pouvons éprouver la force d’une présence, la joie de rendre grâce ensemble, l’encouragement d’un engagement commun, le don d’une bénédiction. Par la force des choses, le Covid nous a contraint à suivre bien des cultes à distance. Et cela a été une véritable chance de pouvoir bénéficier de ce soutien. Mais n’avez-vous pas ressenti la différence entre être seul devant son écran de télévision pour assister à un culte qui se déroule au loin, et la force et la joie que nous nous donnons les uns aux autres en étant ensemble en un même lieu devant Dieu. Ici, nous nous offrons les uns aux autres, la présence du Christ.

 

Jésus pose alors une troisième question : « Ne s’est-il trouvé que cet étranger, ce samaritain, pour revenir donner gloire à Dieu ? » Au-delà de la polémique de l’époque du Christ entre juifs et samaritains, la question demeure. Ne faut-il pas être étranger, c’est-à-dire ne pas être parmi ceux qui se croient choisis ou élus ou fidèles ou habitués, pour redécouvrir la joie de se trouver ensemble dans la présence de Dieu et lui rendre gloire ? Ne devons-nous pas réapprendre à arriver ici comme des étrangers et à goûter ce que nous offre le Christ en ce lieu. Des frères et des sœurs venus comme nous rendre grâce, écouter, chanter et prier, reconnaitre ensemble que « Le Seigneur, c’est Jésus-Christ, pour la gloire de Dieu le Père ».

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