« Est-ce moi ? »

Les disciples en ce soir du repas de la Pâque s’interrogent.  Est-ce moi le traître, celui qui va livrer le maître ? Terrible doute qui les saisit tous, eux dont la foi chancelle.  D’ailleurs qui de nous pourrait assurer ne jamais trahir, et certifier qu’il aura toujours cette foi ferme permettant de surmonter toutes les épreuves, tous les doutes, toutes les angoisses ?

Vous l’avez entendu dans ce récit du dernier repas de Jésus à la veille de sa mort, Jésus ne nomme jamais celui qui va le livrer, au contraire l’évangéliste Marc laisse planer le doute, c’est l’un des douze, celui qui mange avec son maître, un parmi les autres, comme s’il voulait se garder de trop vite désigner le coupable pour innocenter tous les autres, comme si au fond chacun de nous pouvait être à cette place, et même plus était à cette place. « Est-ce moi ! »

D’ailleurs, si effectivement un seul Judas trahit son maître, tous les autres l’abandonneront et Pierre le reniera. Aucun disciple ne peut se présenter comme fidèle et parfait.
De la même manière chaque lecteur de l’évangile reçoit en plein cœur cette question « Est-ce moi ? » Il ne peut que constater que Oui, en effet, il fait bien partie du lot de ceux qui trahissent, abandonnent, oublient, renient le Christ.
Oui, notre foi est peu affermie et l’adversité la fait flancher, l’habitude et l’indifférence la rongent. C’est un amer constat que nous sommes amenés à faire en ce dimanche matin à l’écoute de cette parole.
Devenons-nous comme Judas tenaillé par le remord, désespérant de nous-même, nous en allant loin du Christ ? Où est la bonne nouvelle, l’Évangile pour nos vies ? Oui, comment accueillir à travers ces paroles le message d’amour du Christ ?

Je ferai plusieurs remarques. Ce sont ces hommes tels qu’ils sont, dont Jésus connaît le cœur tourmenté, qui partagent ce dernier repas de Jésus, ce repas qui deviendra celui de la Cène, celui qui signe la présence de Jésus au milieu des siens jusqu’à la fin des temps.
Jésus tel que le présente Marc est tout à fait conscient de ce qui se passe, il connaît ses disciples, il ne se fait pas d’illusion sur eux, ce n’est pas par ignorance qu’il partage ce repas avec eux. Il sait et pourtant il vit et partage avec eux tous ces instants. Ce ne sont pas des hommes parfaits qui sont invités à communier avec le Christ, mais bien ces compagnons-là qui reçoivent le pain, corps du Christ, la coupe de vin, signe de la nouvelle alliance scellée dans le sang du Christ. Jésus ne trie pas ses invités, il ne pose pas de condition de pureté ou de fidélité pour communier à son corps et à son sang. Il a appelé, il a invité et les disciples ont répondu présents, tels qu’ils sont avec leurs incompréhensions, leurs infidélités, ils sont là et reçoivent ce don merveilleux.

Aujourd’hui encore quand nous célébrons la Cène, n’oublions pas, ce n’est pas parce que nous serions des chrétiens fidèles que nous sommes invités, mais uniquement parce que le Christ nous a choisis, nous a appelés à être avec lui tels que nous sommes, que nous pouvons partager le pain et le vin.
Oui, ce repas est bien pour les douteurs, les faibles, bref les pécheurs que nous sommes. Il est cette nourriture qui nous permet d’accueillir la présence du Christ au cœur de nos infidélités. Aussi la participation à la Cène n’est pas une question de dignité, dans le sens où seul celui qui n’aurait rien à se reprocher pourrait communier, mais bien dans la reconnaissance de notre indignité et de la grâce immense qui nous est faite. C’est accepter d’être accueilli totalement, tel que nous sommes. Accepter cette invitation, accueillir ce pardon pour pouvoir toujours à nouveau se mettre en route à la suite du Christ.
Oui, par ce repas traditionnel qui se célébrait en famille, Jésus nous accueille comme des frères et des sœurs, nous sommes sa famille et nous devenons frères et sœurs les uns des autres.
Ce repas n’est pas magique ! Le pain et le vin partagés, la communion au corps et au sang de Jésus n’a pas empêché les disciples de trahir, ni de renier ou d’abandonner. Ce n’est pas une potion magique qui permettrait d’échapper à ses propres choix, à son humanité, au mystère du mal. Rien ne sera changé, Jésus prendra le chemin du Golgotha, l’un trahira, l’autre reniera, tous abandonneront, mais pourtant une porte est ouverte dans le cercle du malheur, une main est tendue pour revenir et recommencer, Pierre a pu la saisir, Judas a estimé qu’il devait se punir lui-même.

C’est l’attestation que la mort, la peur, le reniement n’ont pas le dernier mot, que la présence du Christ est pour toujours offerte à ceux qui se savent faibles et pécheurs mais toujours au bénéfice de l’amour de Dieu, toujours au bénéfice du pardon qui fait toutes choses nouvelles.

Aussi, lorsque nous entendons son invitation, n’endurcissons pas notre cœur. Acceptons de venir, même mal préparé et indigne, car c’est à ce moment-là plus qu’à tout autre que nous avons besoin de cette présence qui nous sauve de nous-même et de toute condamnation.

A travers les âges l’Église, en tout lieu et en toute circonstance, a célébré ce repas pour que nous puissions aujourd’hui encore prendre notre place avec le Christ ressuscité, entrer dans sa famille et attendre son retour dans l’espérance.

Amen !

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