A la suite du Christ, continuer l’Evangile

 

“Quand ils le virent, ils l’adorèrent. Mais quelques-uns eurent des doutes”. Mt 28, 17

Voici une très belle façon de parler du Christ et des disciples ! Une façon réaliste, un style sans détour.

Depuis que Judas s’est pendu, ils ne sont plus que onze, même pas unanimes, pas très brillants non plus en présence du Christ. La foi et le doute se trouvent chez eux comme irrémédiablement mêlés. Et il en va de même dans la vie, dans ma vie, comme peut-être dans la vôtre.
Je cherche et je doute, je trouve et je crois, je questionne ou je suis questionné, et je doute à nouveau, et puis j’avance, encore, dans la confiance et avec certitude. La foi n’est-elle pas l’autre face du doute ? Inséparable l’une de l’autre ! Je crois, Seigneur, mais vite, viens au secours de mon incrédulité et de toutes mes incertitudes. Oui, c’est dans cette tension, plus ou moins forte heureusement, selon les circonstances et les événements, entre la foi et le doute, que le Seigneur pourtant m’accompagne. Et plus que cela, il s’approche et parle, aux moments même où je doute et où je crois. Et que dit-il ? Il dit cette phrase étonnante : “Allez, allez donc auprès des hommes de toutes les nations et faites d’eux mes disciples, baptisez-les au nom du Père du Fils et du Saint-Esprit !”.

Alors qu’on dirait presque une directive ecclésiastique réservée au clergé, aux cadres, aux spécialistes, alors qu’on dirait une phrase liturgique à lire en chaire seulement le dimanche à l’Eglise, et encore, le jour où un baptême est célébré, en réalité c’est une parole qui concerne et peut toucher tout le monde !
Le Christ s’adresse à tous et toutes et donc à chacun en particulier. Il s’adresse tout simplement à celles et ceux qui peuvent l’écouter, aux onze disciples, ce jour-là, mais aussi à nous ce matin.  “Allez !”, dit le Christ, ne restons pas figés, paralysés, ne nous laissons pas enfermer dans le doute, ni non plus d’ailleurs dans une attitude d’adoration, mais “allez” et vivons pleinement, essayons d’expérimenter, joyeusement pourquoi pas, cette tension vive entre le doute et la foi. Et surtout, faisons circuler la parole que nous avons reçue. Ne la gardons pas pour nous et ne la ruminons pas, lorsque nous sommes rongés par le doute ; cela nous ferait mal pour rien, et ne restons pas non plus muets, bouche bée, prostrés ou prosternés dans l’adoration, mais “allez !”.
Le Christ a besoin de gens qui marchent avec lui et aussi qui parlent librement de lui. Car si nous ne parlons pas librement de lui, si nous ne partageons avec personne ni nos doutes ni notre foi, qui le fera à notre place ?

Le Christ a bien dit : “Faites de toutes les nations des disciples”. Il ne s’agit pas ici de partir en croisade, de planifier je ne sais quelle campagne d’évangélisation ni de partir en mission au loin. Il s’agit tout simplement de “parler de lui” ici et maintenant. De parler de lui et de nous, de parler de notre relation avec lui, d’oser enfin parler de ça, oui, de religion, de spiritualité, à la maison, à table, avec notre conjoint ou notre propre fils, avec notre ami dont nous ne savons peut-être rien, en réalité, quant à ses propres doutes, avec notre voisin, avec notre filleule dont nous ne savons pas grand-chose non plus, sinon sa date de naissance. Il s’agit seulement d’oser un mot, quelques mots, lorsque l’occasion s’en présente bien évidemment, quelques mots sur ce qui nous constitue de façon décisive comme humain, comme unique, comme être irremplaçable, comme créature de Dieu. Dire, en privé comme en public, ce qui nous tient à cœur et aussi ce qui nous fait souffrir ou rire et espérer dans la vie. Oser dire l’importance de la spiritualité pour nos vies et nos cultures, comme le font si bien de nombreux théologiens et d’autres avec eux. Oser dire : Ecoutez, il y a eu un jour une parole pour moi, une parole qui a eu une grande importance, qui peut aussi être une parole pour vous ! Ecoutez, cette parole, j’en vis, à vrai dire, et j’aimerais tant partager pour mieux comprendre et mieux entendre. Car, voyez-vous, je crois et je doute, je doute mais aussi je crois.
Il s’agit d’être avec d’autres, avec d’autres disciples de Jésus-Christ. Non pas devenir pour eux “maîtres ès sciences religieuses”, non pas spécialistes ou donneurs de leçons, mais disciples avec eux pour écouter, pourquoi pas chez d’autres que nous, l’écho d’une même parole, l’écho de la parole du Christ. Il y a un mot curieux qui vient du mot « écho » et que les chrétiens se sont forgés, c’est le mot de « catéchumène ».

C’est un peu comme le mot de disciple : il désigne celui qui prend le temps, qui prend sur son temps pour se mettre à l’écoute du Christ et de sa parole, pour comprendre les textes, les goûter, et les savoir, pour connaître l’enseignement du Christ, pour grandir spirituellement.
Faire de toutes les nations des “disciples”, c’est donc d’une certaine manière “réserver du temps” pour partager avec d’autres sur ce qui est essentiel à nos vies. Et si l’on a parfois compris à tort cet appel du Christ comme l’ordre donné à telle ou telle Eglise de conquérir ou de subjuguer des populations, il nous faut redécouvrir sans cesse que le seul maître qui est le Christ nous demande d’êtres ainsi, simplement ses disciples, et de prendre avec d’autres du temps pour lui, et de se tenir à son écoute !

Prendre du temps pour le Christ, être son disciple avec d’autres, nous pourrions dire que c’est deux choses : tout d’abord découvrir et puis avancer.
Découvrir tranquillement, joyeusement, qu’il nous accepte tels que nous sommes, c’est-à-dire comme des personnes vraiment prêtes à croire et en même temps sérieusement pleines de doutes.
Découvrir cet accueil, ce véritable accueil de la part de Dieu, c’est-à-dire en Eglise, découvrir sa grâce. Cette grâce de Dieu qu’on ne peut ni vraiment représenter ni toucher, mais qu’on peut signifier au moins par un geste simple, celui du sacrement du baptême, dont parle justement notre récit, où Dieu nous dit comme il l’a dit à Jésus, lors de son propre baptême : “Tu es mon fils bien aimé en qui j’ai mis toute mon affection”. Découvrir la grâce de Dieu donc, c’est découvrir que nous sommes aimés par Dieu qui nous aime comme ses enfants, et cette découverte c’est la première joie des disciples.

Et deuxièmement avancer.

Avancer dans la vie, librement, grandir spirituellement, ne pas ressasser les mêmes questions mais en débusquer d’autres, évoluer, changer, bouger, vivre. Avancer, c’est-à-dire inventer les mots de la foi avec d’autres que nous. Car la foi chrétienne n’est pas une sorte de monument fait de blocs de certitudes, édictées une fois pour toutes et qu’il faudrait contempler. Elle ne peut pas être confinée dans une doctrine au carré, une “doctrine à croire” comme il y a “un prêt-à-porter”, même lorsque paraissent des textes d’Eglise, des décisions, des documents bien souvent lourds à digérer, et même difficiles à admettre.
La foi est sans cesse en mouvement, sans cesse bousculée par le doute et le questionnement, sans cesse à reformuler et à redire avec des mots nouveaux, des mots pertinents et des mots impertinents, des mots de chaque jour, nos propres mots. Sinon, elle devient périmée. La foi est un chemin.

C’est pourquoi, dès la résurrection du Christ, des questions se posent : “Qui est-il vraiment ? En quoi cette histoire nous regarde-t-elle ? Est-ce que c’est vrai ? Est-ce que c’est faux ? Et qu’est-ce que cela signifie ?”
Dès la résurrection du Christ, certains croient et puis ont des doutes, comme le raconte notre récit de Matthieu.

Cela dit, dès la résurrection, certains se mettent en chemin. Et c’est là l’essentiel ; parce que le Christ les y invite et qu’ils ont entendu son appel, certains osent. Certains marchent. Ils étaient comme vous et moi, à douter et à croire eux aussi, et ils ont marché, et ils ont parlé librement de ce Dieu qui les mettait en marche. Une marche que d’innombrables chrétiens de par le monde ont entreprise avec eux depuis longtemps, des hommes et des femmes connus ou inconnus, et de tous les pays du monde. Une marche qui avait un sens. Une marche faite non de consentement à l’ordre des choses lorsqu’elles sont injustes mais de résistance, non d’acceptation du mal et de la violence mais d’indignation. Une marche tout entière orientée vers la justice, non pas celle des hommes mais celle de Dieu qui est un Dieu de grâce. Une marche d’hommes et de femmes “debout en eux-mêmes”, d’hommes et de femmes en quelque sorte déjà ressuscités, ayant la mort non pas devant eux mais derrière eux, et devant eux la vie que Dieu leur offre, son accueil et sa grâce.

Il nous faut conclure : “Allez, faites de toutes les nations des disciples”, dit le Christ.

C’est aussi de cela qu’il s’agit, malgré la foi qui hésite et qui doute. Il s’agit de partager le plus possible avec d’autres, avec un grand nombre, la vision d’un Dieu qui ouvre la marche, un Dieu qui ne manque pas de souffle.
Les versets que nous lisons ce matin clôturent l’évangile de Matthieu. C’est ainsi. Il y a la promesse que Jésus est avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde.

Après la fin du texte, après la fin de la lecture, après la fin de la méditation, voici venir notre temps, le temps de l’improvisation que nous inspire Dieu, le temps de la mise en route, de la  marche, de la marche comme celle d’un enfant qui lâche enfin la main de son père et se lance, le temps du témoignage et de la parole libre, notre temps à nous, celui de notre propre histoire, bien singulière et unique mais tout entière appelée, convoquée par ce Dieu merveilleux qui nous aime tous, le Dieu de Jésus-Christ qui, lui, ne nous abandonne pas.

“Je ne sais si je crois, mais je sais en qui je crois”.

Amen.

 

 

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