Eloge de la douceur

Lectures Bibliques : Matthieu 5, 1-16 et Matthieu 11,25-30

Prédication :

« Heureux les doux, ils recevront la terre en partage » Heureux les doux…En vérité, en vérité je vous le dis… les pasteurs devraient être les 1ers à écouter ce qu’ils prêchent ! Parce que vous me connaissez un peu et vous savez que je suis tout sauf un doux : nerveux, passionné, bouillonnant, inquiet, angoissé, avec une dose de violence en moi… mais certainement pas un doux.

Et pourtant ! Un homme doux, un homme de paix… Quel plus beau témoignage que celui-là ? Quelle plus belle trace laisser de sa vie que celle de la douceur et de la tendresse ? Quel plus beau témoignage que celui d’un homme qui montre toute la puissance de douceur de l’Évangile par la douceur de son être-même, par la douceur de sa manière d’agir, par son rayonnement personnel qui n’écrase et ne violente personne ? Et quand nous sommes invités par l’Évangile de Matthieu à entrer dans l’intimité de Jésus avec son Père, c’est ce qui apparaît en premier : « Je te suis reconnaissant, Père, maître du ciel et de la terre. Aux savants, aux grands esprits, tu as caché ces choses pour mieux les dévoiler aux tout-petits. »  Pour moi, depuis que je suis papa, c’est une évidence : ce sont les tout-petits qui nous apprennent ces choses, avant même qu’ils ne sachent parler, par la simple douceur de leur peau qui appelle la tendresse. Les bébés nous offrent leur douceur comme une source de vie où il est possible de s’abreuver. C’est un cadeau de Dieu, une révélation qui ne leur est dévoilée qu’à eux : C’est la voix des tout petits que tu opposes à tes adversaires. Elle est comme un rempart que tu dresses pour réduire au silence tes ennemis les plus acharnés, dit le Psaume 8. La douceur des bébés pour rempart et pour défense face aux ennemis de Dieu.

Le problème, c’est qu’en grandissant, on oublie cette révélation réservée aux tout-petits. Et c’est tout un long apprentissage parsemé d’embûches que de le redécouvrir. Le trajet de toute une vie. C’est ce que dit Jésus à ses disciples : Je vous le déclare, c’est la vérité, si vous ne changez pas pour devenir comme des enfants, vous n’avez aucune chance d’entrer dans le Royaume des cieux. Le plus grand dans le Royaume des cieux est celui qui s’abaisse et devient comme cet enfant… (Mt 18,3-4) Aujourd’hui j’aimerais vous aider à retrouver ce trésor qui est en vous.

Parce que c’est vrai, il y a là une voie à nulle autre pareille vers le bonheur : Heureux les doux, ils recevront la terre en partage. 

Un Père de l’Église du VIIème siècle, Saint Jean Climaque, déclare fort justement : « La douceur est un roc qui domine la mer de la colère et sur lequel se brisent toutes les vagues qui y déferlent sans jamais l’ébranler » La douceur est un roc… Heureux celui qui a bâti sa maison sur ce roc ! Parce qu’il ne faut pas se tromper…

Le doux n’est pas un mou. On confond souvent les deux. Pour reprendre l’image de Jean Climaque, le mou est un bloc de terre qui domine la mer et qui, battu par les vagues, s’effrite et disparaît dans les flots. On confond souvent les deux, et apparaît très vite un vague soupçon de lâcheté ou de couardise de celui qui fuit devant les difficultés. Dans la douceur qui vient de l’Évangile, il n’est pas question de passivité, ni de baisser les bras dans une désolante résignation devant les coups du sort ou la violence subie. Non, il s’agit là de non-violence active, autrement un acte de résistance au mal, un rempart, une arme de défense pour réduire au silence tes ennemis les plus acharnés (pour reprendre les mots du psaume 8). J’ai de la peine à appeler ces paroles des « béatitudes » parce que ce nom peut donner une vague impression de niaiserie béate que je refuse obstinément – de la manière suivante. On devrait pouvoir traduire par : « Joie pour vous, les non-violents, Dieu vous confie sa terre » Et Chouraqui, lui, traduit en disant : « En marche les doux… » Aucune passivité là-dedans ! Quand Jésus dit : Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tend-lui aussi l’autre.  Il ne dit pas : laisse-toi frapper sur l’autre mais bien « tend-lui aussi l’autre » Et quand il dit : Bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous détestent, priez pour ceux qui vous maltraitent et vous persécutent, il ne dit pas : ne maudissez pas, ne dites pas du mal mais bien « bénissez, faites du bien, priez »… Le doux, c’est celui qui a compris que le mal nourrit le mal comme dans le film « Independance Day » où l’étoile noire qui menace la terre se nourrit de toutes les bombes qu’on lui envoie pour grossir encore et précipiter le moment de la destruction de la terre. Le doux, c’est celui qui est rentré dans une démarche active qui refuse de répondre au mal par le mal. C’est celui qui a compris que le seul moyen de lutter contre le mal c’est de ne pas utiliser le même langage en brisant la violence de l’intérieur. Comme les Danois qui, pour lutter contre la loi nazi qui imposait le port de l’étoile de David aux juifs, ont décidé dans leur immense majorité, et le roi du Danemark y compris, de tous porter l’étoile en signe de protestation… La douceur c’est la seule arme réellement efficace contre le mal.

Mais le doux n’est pas non plus celui qui résiste à la colère qui gronde en lui et le ronge de l’intérieur. Là non plus, il ne faut pas confondre ! De toute façon, c’est sans espoir. La sagesse populaire le dit bien : « Chassez le naturel, il revient au galop » ou encore « Chassez le par la porte, il revient par la fenêtre »… Parce qu’il y a des faux-doux comme il y a des faux-calmes. Et Jésus ne dit pas : « Heureux ceux qui savent rester maîtres d’eux-mêmes » Ce n’est pas un maître en yoga qui dirait quelque chose du genre « Restons zen » ! Il y a là une erreur qui est souvent faite où l’on trouverait beaucoup de points communs entre l’enseignement du Christ et celui de Bouddha… Je n’en suis pas si sûr. Jugez-en vous-mêmes. Pour le bouddhisme, la réalité n’est qu’illusion parce qu’en perpétuelle évolution et changement. Il faut donc apprendre à se détacher de la réalité parce qu’ultimement rien n’a d’importance. La souffrance ne vient que de notre attachement à nos illusions. Et pour ne plus souffrir, il suffit d’apprendre à se détacher de la réalité et du monde tel que nous le voyons pour tenter d’atteindre le nirvana, où toutes les sensations sont abolies… Je ne lis rien de tel dans la Bible. Quand j’ouvre le NT, je découvre en Jésus un homme comme moi, vivant, révolté, ému, bousculé par tout ce qui blesse et abîme l’être humain. Jamais il n’appelle à s’échapper du monde, à fuir la réalité, à se détacher de nos ressentis et de nos émotions : au contraire, sans cesse il nous appelle à plus d’humanité, à plus d’implication, plus d’engagement pour construire un monde un peu moins moche, un peu plus beau. Et quand il dit Heureux les doux, il finit sa phrase en disant car ils hériteront la terre et non en disant :  « car je leur réserve une place au ciel en leur permettant de s’échapper de la terre, cette vallée de larmes où tout n’est que violence, haine et souffrance » Et quand Dieu crée le ciel et la terre tels que nous les connaissons, la Genèse ponctue chaque jour en disant « Dieu vit que cela était bon »  Non, le doux n’est ni celui qui maîtrise sa colère ou ses blessures en les gardant au fond de son cœur ni l’indifférent qui se croit au-dessus de la mêlée et qui cherche à fuir la réalité et les difficultés… Le doux, c’est celui qui, même blessé par la vie et ses difficultés, a été guéri et relevé. C’est un homme qui apaisé, pacifié, guéri de ses colères et de ses blessures. Guéri certes, mais pas par ses propres efforts : guéri par quelqu’un d’autre…

Le prophète Zacharie (9,9) annonce sa venue déjà : Éclate de joie, Jérusalem ! Crie de bonheur ! Regarde ton roi vient à toi, il est juste et victorieux, il est doux et monté sur un âne…

Alors quand Jésus dit : Venez à moi vous tous qui êtes fatigués de porter un lourd fardeau et je vous donnerai le repos. On comprend qu’il est là, celui que nous attendions pour apaiser notre monde et notre vie. Prenez sur vous mon joug et laissez-moi vous instruire, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez du repos pour tout votre être.

Il est, lui, le médecin de notre cœur. Lui, le doux par excellence. Il est, lui, celui qui peut apaiser nos déchirures intérieures et nos blessures secrètes. Il est, lui, celui qui peut porter le poids de ce fardeau qui te fait courber l’échine. Alors, si tu es doux, suis le Maître : il aime la compagnie des doux. Comme dit le Psaume 25 : Il fait cheminer les doux vers la justice. Il enseigne aux doux son chemin. Si tu ne l’es pas, si aujourd’hui il y a quelque chose ou quelqu’un qui te rend triste, blessé, honteux, inquiet, angoissé, empli d’amertume, de ressentiment ou de colère, laisse-moi te conduire et marcher avec toi vers Celui qui peut nous guérir et nous apporter la paix intérieure. « La Paix soit avec vous ! »  dit, par trois fois, le Christ ressuscité à ceux qui l’écoutent. Marchons ensemble et remettons-lui le poids de ce qui nous fait mal. Chemin vers un bonheur retrouvé, une paix intérieure, une douceur de vie : c’est ce que Dieu veut pour nous. Alors, à notre tour, nous serons des doux, des artisans de paix pour tous ceux que nous croisons, de ce cadeau immense que Dieu nous a fait. A notre tour, nous aurons la terre en partage. C’est un cadeau de Dieu pour notre bonheur. Oui, vraiment, Heureux les doux, car ils hériteront la terre. Amen.

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