Comment naît l’espérance ?

Lectures Bibliques : Romains 8, 18-30

Prédication :

Je vous propose de réfléchir à ce qui fait naître l’espérance dans le cœur de l’homme. Quelle est sa source ? Je ne parle pas ici des optimistes qui voient toujours le verre à moitié plein. Je ne parle pas non plus de celles et ceux qui affrontent un burn out ou une dépression. A votre avis qu’est-ce qui donne naissance – ou pas – à l’espérance ? Vous-mêmes, avez-vous de l’espérance ? Vous souvenez-vous comment elle est née ? Je ne vous demande pas quels sont vos espoirs ou vos attentes mais bien de réfléchir à ce moteur intérieur qui permet de traverser les plus grandes difficultés.

Parce qu’en lisant ce passage de l’épître aux Romains, je pensais justement à mon ami le pasteur Jumel qui vit à Rabat, migrant parmi les migrants depuis presque 20 ans maintenant. Pour avoir vécu avec lui, au milieu d’eux pendant près de 6 ans, je peux témoigner avoir rencontré de l’espérance à l’état brut dans le coeur de tous ces jeunes qui traversent l’Afrique dans des conditions inhumaines et qui se retrouvent coincés au Maroc tentant de mille manières l’aventure vers l’Europe. Quel est donc ce moteur incroyablement puissant qui permet à ces être humains de subir ce qu’ils subissent pour atteindre, comme le chantait Jacques Brel, l’inaccessible étoile. J’ai vécu avec ces femmes qui sont toutes violées pendant leur trajet, avec ces enfants de 7 à 14 ans qui traversent le Sahara à pied sans être accompagnés d’adultes, avec ces jeunes gens qui attaquent par milliers et en même temps les 3 barrières hautes de 7 mètres avec des lames de rasoir en haut et des soldats et des chiens en bas en espérant entrer dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Mellila, avec ces migrants noyés de force dans la Méditerranée par les soldats espagnols et marocains unis dans la même volonté de les empêcher de traverser… Quelle est donc cette puissance de vie incroyable qui les pousse en avant tout en sachant que personne ne veut d’eux ici ? Et quand, dans cette Europe que je sillonnais à la recherche de fonds pour les soigner, les nourrir, les vêtir ou leur donner une formation, on me conseillait sagement de les dissuader de passer, je répondais invariablement : “Qui suis-je pour voler l’espérance de ces gens ?

Est-ce la souffrance et la difficulté qui créent en nous une aspiration à l’apaisement et à la disparition des obstacles – du genre : “quel bonheur quand j’arrête de me donner des coups de marteau sur les doigts” ou pire, comme le titre d’un film : “courage, fuyons ” ? Ou est-ce la connaissance des choses dernières – l’adoption filiale promise et la rédemption de notre corps dont parle l’apôtre Paul – qui oriente notre regard sur l’avenir et nous ouvre des possibilités insoupçonnées quand on se croit au fond du trou ? Est-ce que l’espérance est fondée sur une colère, une protestation ou une indignation contre les événements et la réalité qui nous menacent et nous agressent ? Ou est-elle fondée sur la certitude d’un monde meilleur, d’une vie nouvelle, d’une liberté vécue ? Pour reprendre l’exemple des migrants, on peut se demander : est-ce qu’ils fuient la misère ou est-ce qu’il rêvent d’un monde meilleur ? Vous allez me répondre : les deux mon capitaine ! Et vous, comment vivez-vous cette question personnellement ? Est-ce un refus des souffrances du temps présent ou est-ce l’attente d’une nouvelle naissance ? On pourrait penser que les deux chemins se valent et se complètent. Je l’ai longtemps pensé. Mais en écoutant l’apôtre Paul, je dois dire que j’ai changé d’avis. Je ne crois plus du tout que les deux chemins se valent et se complètent. A la lumière de l’épître aux Romains, je pense maintenant que l’un se base sur le refus de la souffrance tandis que l’autre aide à traverser la souffrance. L’un fonctionne sur la pensée magique qui imagine un monde sans l’existence du mal, tandis que l’autre se base sur la puissance d’être et la capacité à prendre sa vie en main. L’un part du monde et se débat contre la réalité quand l’autre prend appui hors du monde pour regarder la réalité et la dominer. Jacques Ellul disait que “l’espérance c’est la réponse de l’homme au silence de Dieu” (L’Espérance oubliée, 1972). Quelle est notre réponse de croyants face aux grandes problématiques qui mettent en jeu l’avenir de l’humanité (crise écologique, racisme…):

  • Le premier chemin se cherche un adversaire pour ne pas dire un ennemi. Il veut punir le coupable qui a fait de notre monde une vallée de larmes
  • L’autre prend sa force dans la fin de l’histoire quand enfin on trouve la glorieuse liberté des enfants de Dieu et que l’on devient inattaquable

Comment a-t-il réussi à me convaincre ? De manière surprenante l’apôtre Paul affirme que c’est au fond une question de liberté, liant espérance et liberté. Pour Paul, ce n’est pas parce que j’espère que je suis libre. C’est exactement l’inverse : pour être en mesure d’espérer, dit-il, il faut être libre. L’espérance qui est fille de la liberté. Libre, c’est-à-dire non prisonnier, non enfermé dans une situation sans issue… Et pour cela, Paul nous invite à distinguer nettement l’idée de création de l’idée de nature. Il y a, dit-il, une différence incommensurable, radicale, fondamentale entre les deux : « Il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire qui va être révélée en nous » On ne joue pas dans la même cour, on ne vit pas sur le même plan… Bref : apprenons à distinguer les deux.

La nature est une donnée physique biologique et environnementale. On parle de milieu naturel à propos de ce qui nous environne et dans lequel on vit. La nature ce n’est ni bien ni mal, ni moral ni immoral, ni gentil ni méchant : il n’y a aucune intentionnalité, aucune volonté cachée, aucun projet, aucun dessein secret dans la nature. La nature, c’est un fait réel, c’est ce que nous sommes en réalité. La nature, c’est ce qui est de l’ordre du nécessaire, de l’inévitable, de l’incontournable, du Destin. C’est ce qui nous fait dire avec un soupçon de fatalité dans la voix : “Je n’y peux rien, c’est ma nature” ou alors “C’est comme ça, c’est la vie”… Et ce n’est pas un choix : « La création est soumise à la futilité – non pas de son propre gré, mais à cause de celui qui lui a soumise ». Cela signifie que nous ne pouvons pas décider de quitter ce monde qui est notre milieu naturel, de nous en échapper, ni même de faire comme s’il n’existait pas comme le suggère le bouddhisme : nous y sommes soumis, c’est la réalité. Et pourtant, Paul dit que ce temps et cet espace dans lesquels que nous vivons sont soumis à la futilité, autrement dit à ce qui n’a pas de consistance, à ce qui n’est que evanescence, vanité, buée : “Vanité des vanités, tout est vanité !” répète à l’envi l’Ecclésiaste. La futilité c’est ce qui va nécessairement disparaître et mourir à un moment ou à un autre, ce qui n’a pas de valeur en soi, ce qui n’a pas de poids déterminant parce que nous vivons sous l’esclavage et la dépendance du périssable. Tout cela va disparaître un jour. L’homme, tout pénétré de sa grandeur immense qu’il soit, est prisonnier de ce qui n’a aucune valeur. Voilà la vérité. C’est un destin inéluctable.

– Et en même temps, Paul parle de la Création. C’est un mot théologique qui parle d’un lien entre Dieu et la nature. Il y a création parce qu’il y a un créateur. C’est donc une confession de foi de celui qui croit que Dieu est à l’origine de la vie et du réel. La création c’est ce que l’homme devient quand il entre en relation avec Dieu sans pour autant quitter la nature. La création c’est la nature qui reconnaît Dieu. Paul appelle cela la gloire qui va être révélée en nous. À la vie naturelle qui est de l’ordre du destin vient s’adjoindre un point d’appui extérieur, hors nécessité et hors nature qui nous permet de découvrir et de prendre conscience de l’aspect futile, passager, périssable de tout ce que nous croyons définitif et inéluctable et à quoi nous donnons tant d’importance. C’est ici justement que naît la glorieuse liberté des enfants de Dieu. Glorieuse parce que la gloire porte la signature la présence de Dieu parmi les siens. Il n’y a de liberté dans le monde qu’à partir d’un point de vue extérieur au monde. Il n’y a d’espérance que dans la certitude de la vie éternelle. C’est ce que dit Paul aux Corinthiens : Si nous avons mis notre espérance dans le Christ uniquement pour cette vie, alors nous sommes les plus à plaindre de tous les être humains (1 Co 15,19). La liberté naît de l’espérance et l’espérance naît de la certitude de la vie éternelle et la certitude de la vie éternelle naît de la présence de Dieu dans notre vie ici et maintenant. C’est elle qui nous donne ce point d’appui hors de la nécessité. Glorieuse liberté des enfants de Dieu. C’est elle qui est en train de naître à elle-même dans les douleurs de l’accouchement. C’est elle qui aspire à trouver son être profond, c’est elle qui attend avec impatience la révélation des fils de Dieu, autrement dit que les fils de Dieu soient révélés, dévoilés, mis en lumière, apparaissent au grand jour. Et qu’ils se découvrent eux-mêmes dans leur être profond. Il est possible d’être libres vis à vis de la nécessité, du destin, de l’inéluctable, de la nature, du milieu naturel dans lequel nous baignons. Et c’est une véritable révélation qui nous montre qui nous sommes vraiment : des enfants de Dieu et non des fils de la nature. Voilà la vérité : il n’y a de liberté que quand on se sait enfant de Dieu, c’est-à-dire hors nature, hors de l’instinct naturel qui rabaisse l’humain au niveau animal, qui le réduit au seul plan matériel, au niveau du biologique, au niveau hormonal, hors de la science qui nous dissèque toujours sur un plan matérialiste comme un objet d’étude, un objet tout court ! Il n’y a d’humain que dans la relation à Dieu. Il n’y a d’humain que délivrés, libérés, arrachés à l’état naturel. La naissance de l’humain est une délivrance et une révélation. Voilà pourquoi il n’y a de véritable vision des Droits Humains que dans la reconnaissance de l’existence de Dieu.

Paul qualifie la réalité parfois vécue dans la douleur pour lui donner un sens : non plus l’absurde, non plus l’injustice, non plus le destin, non plus la nécessité, non plus la fatalité du « c’est la vie », non plus le malheur, non plus la punition, non plus le scandale ou l’occasion de chute, non plus une volonté mauvaise, diabolique ou méchante… mais comme une naissance en train de venir, l’advenue de la vie, du neuf, du possible, de l’avenir à construire.

Et il offre 2 béquilles pour porter le présent :

  1. les prémices de l’Esprit qui intercède en notre faveur c’est-à-dire qui prie pour nous et plaide pour que cela ne soit pas insupportable. Je crois en la Providence divine qui me parle d’un Dieu qui ne s’absente pas du réel mais qui marche à nos côtés et qui intercède pour nous : nous ne sommes pas seuls dans la barque.
  2. et la certitude que tout coopère pour le bien de ceux qui aiment Dieu. Mon Dieu n’est pas un Dieu méchant : je crois en la Prédestination qui raconte une histoire de l’humanité qui se déroule dans la main d’un Dieu qui, lui et lui seul, n’est pas soumis aux aléas de l’histoire et du temps.

Alors je peux dire en toute liberté :

L’Éternel est mon berger: je ne manquerai de rien.

Il me fait reposer dans de verts pâturages,

Il me dirige près des eaux paisibles. Il restaure mon âme,

Il me conduit dans les sentiers de la justice, A cause de son nom.

Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort,

Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi:

Ta houlette et ton bâton me rassurent.

Tu dresses devant moi une table, En face de mes adversaires;

Tu oins d’huile ma tête, Et ma coupe déborde.

Oui, le bonheur et la grâce m’accompagneront Tous les jours de ma vie, Et j’habiterai dans la maison de l’Éternel Jusqu’à la fin de mes jours. (Psaume 23)

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