Cheminer ensemble

 

Le prologue de l’évangile de Luc que nous venons d’entendre nous apprend ce que veut être un évangile, pourquoi et comment il a été composé.

Reprenons-le si vous le voulez bien phrase par phrase :

« Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des évènements qui se sont accomplis parmi nous… »

Première constatation : Luc commence par reconnaître qu’il n’est pas le premier à écrire un récit et que par conséquent d’autres l’ont précédé. Qui sont-ils ? Vraisemblablement Marc et Matthieu. Quoi qu’il en soit, il est souligné le long chemin qu’il a fallu parcourir depuis les premiers récits transmis de bouche à oreille, aussitôt après la Pentecôte, jusqu’aux écrits que nous connaissons. De la tradition orale aux premiers fragments mis par écrit et de ces fragments à leur mise en forme que nous utilisons, il se passe de dix à quarante ans selon les spécialistes, beaucoup de temps bien sûr par rapport à la vitesse où circulent aujourd’hui les informations, fort peu au contraire face aux siècles qu’a demandé la formation de l’Ancien Testament.

 

Continuons : « …Tels que nous les ont transmis ceux qui furent dès le commencement témoins oculaires et sont devenus serviteurs de la parole… »

Deuxième constatation : Luc n’appartient pas au groupe des douze apôtres choisis par Jésus au début de sa vie publique. N’étant probablement pas juif de naissance, mais grec, il devient assez tard un des fidèles compagnons de saint Paul qui, lui non plus, ne faisait pas partie du petit noyau des douze. N’ayant pas accompagné Jésus de son vivant, Luc ne connaît donc le Christ qu’au travers du témoignage des douze et il sait que l’Evangile repose sur Pierre et André, Jacques et Jean, Matthieu et les autres, les témoins « oculaires et serviteurs de la parole » selon son expression. Expression qui n’est pas aussi banale qu’elle n’en a l’air. Dans la première phrase, souvenons-nous, il était question des « évènements qui se sont accomplis ». On aurait pu légitimement penser que les Douze soient nommés « témoins de ces évènements » ; or, ils sont appelés « témoins de la Parole. » Cela nous renvoie au commencement de la Première lettre de saint Jean, où nous lisons : « Ce que nos yeux ont vu, ce que vos oreilles ont entendu, ce que nos mains ont palpé de la parole de vie…nous vous l’annonçons. »  L’évènement n’est pas mis en relation avec les Douze, ce qui ferait des évènements de simples faits historiques. Non, Luc associe l’évènement à la parole. Evènement et parole sont en quelque sorte confondus, équivalents, interchangeables. Sans doute, est-ce pour nous faire réaliser que c’est le propre de l’Evangile de mettre ainsi en correspondance une parole et un évènement. Cette parole, c’est la Bonne Nouvelle qui nous ouvre un avenir, une espérance et l’évènement c’est la réalisation de cette parole aujourd’hui. On le dit parfois : l’évangile de ce jour correspond exactement à ce que je vis en ce moment, j’ai l’impression qu’il a été écrit pour moi : il est évènement dans mon existence. L’évènement, c’est l’inscription incarnée dans notre histoire de cette parole éternelle de l’évangile. Nous découvrons, nous comprenons par-là, en associant parole et évènement, ce qui distingue l’Evangile de toute idéologie abstraite et de toute biographie : alors qu’une idéologie ne s’occupe pas des hommes qui en vivront, et qu’une biographie concerne toujours un disparu, l’Evangile, lui annonce, indique, montre révèle « le Vivant ». Jésus mort et ressuscité remplissant au-delà d’elles-mêmes nos attentes.  Jésus parole de Dieu, parole à la fois au-delà et source de toute parole que peut prononcer l’homme, Parole « vivante et efficace. » se réalisant, s’incarnant dans le présent de notre vie en lui donnant déjà la saveur de l’éternité.

« J’ai décidé, moi aussi, après m’être informé soigneusement de tout depuis les origines, d’en écrire pour toi, cher Théophile, un exposé suivi pour que tu te rendes compte de la solidité des enseignements que tu as reçus… »

Troisième constatation : cette dernière partie de la phrase confirme ce que nous avons déjà reconnu.  Luc dépend d’une tradition qui le relie au Seigneur et il s’efforce de transmettre fidèlement avec l’intention de donner un « exposé suivi ». Pour cela il ordonne   tout ce qu’il a reçu, choisissant tel souvenir plutôt que tel autre, insistant sur tel miracle et déplaçant tel enseignement, afin que nous découvrions la « solidité » de l’Evangile, que nous puissions voir en Jésus : « le Christ, le Fils du Dieu vivant. », le Visage dans lequel Dieu nous dévoile sa tendresse, et qu’ainsi « nous ayons la vie ». Etant donc conçu pour que nous marchions comme Jésus a marché, L’Evangile ne se reçoit pas comme une source d’informations extérieures mais comme une parole qui désire, dans la puissance de l’esprit, nous transformer au plus intime de nous-mêmes, depuis l’oreille jusqu’à ce cœur qui est en nous le lieu de Dieu.

Aujourd’hui, cette parole s’accomplit ! Jésus lit un passage du livre d’Isaïe. Sa lecture révèle qu’il vient accomplir cette parole. Car la parole de Dieu n’est pas le récit de temps anciens, héroïques et révolus. Non, elle nous engendre, nous vivifie. Lisons-la, prions-la, prenons le temps de la méditer. Par elle, laissons-nous nous façonner, nous sanctifier.

Beaucoup de paroles en effet que nous entendons et beaucoup de lectures que nous faisons nous offrent au mieux une possibilité de nous évader du monde. Pour nous la parole de Dieu, celle que consigne l’Evangile délivre des paroles pleines de saveur et de vie pour aujourd’hui. Aujourd’hui !

Rappelons-nous l’évangile de Zachée : « Aujourd’hui, proclame Jésus dans un cri de joie (aujourd’hui pas après-demain ou à la fin des temps) le salut est arrivé pour cette maison ! » Et en chacune de nos maisons.

Ce fut la découverte que firent les Mages qui nous sont donnés en méditation à l’occasion de cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens. La Parole de Dieu les a fait mettre en route. Elle est devenue évènement dans l’aujourd’hui de leur vie.

A notre tour, que l’Esprit atteste cet aujourd’hui de la parole de Dieu à notre esprit et à notre cœur quelque soit notre place dans la communauté et les responsabilités que nous y exerçons.

Car la parole n’est pas l’apanage de certains au sein de nos communautés particulières. Mieux Elle est confiée à nous tous qui avons reçu le même baptême. Car c’est elle qui façonne le corps que nous sommes appelés à former. Or, nous dit Paul, vous êtes le corps du Christ, chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps. Oui, aujourd’hui, nous sommes déjà le corps du Christ. En chacun de nous s’accomplit la Parole nous dit le Christ dans le Prologue de Luc.

Sachons l’accueillir, nous laisser modeler par elle. Que notre réponse soit similaire à celle des Mages : un voyage ensemble.

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