Les « face à face » de Jacob – Du handicap invisible à la blessure assumée

 

Chers amis
La Bible est pleine de récits où Dieu agit en faveur de personnes qui vivent sur la marge. Certains parce qu’ils se sont marginalisés eux-mêmes, comme Adam et Eve qui ne résistent pas à la tentation et qui se voient renvoyés du jardin d’Eden. Ou encore Caïn qui tue son frère Abel et qui doit en porter les conséquences.
Dans le Nouveau Testament Jésus va à la rencontre de nombre de ses contemporains qui sont exclus par leur entourage en raison de leur profession comme Zachée le collecteur d’impôts et collabo des Romains, ou encore en raison de leur maladie comme le lépreux ou l’aveugle Bartimée.
A La Fondation John Bost je travaille au jour le jour avec des personnes en situation de handicap, les uns ayant un handicap visible mais beaucoup dont le handicap se révèle qu’en cours de rencontre, de par leur comportement ou l’angoisse qui s’exprime dans les paroles échangées.
Alors le récit qui m’a toujours le plus impressionné c’est celui où avec l’aide de Dieu le handicap invisible de celui qui semble condamné à toujours à tromper son prochain devient un handicap visible, comme dans l’histoire de Jacob qui lutte avec Dieu et qui en ressort boiteux. Jacob est un patriarche, mais il est aussi le fils d’Isaac et de Rebecca et le frère d’ Esaü. Jacob dès sa naissance fait part de ses intentions en tenant le talon de son frère qui est lui le premier né entre les deux. Jacob lui tient le talon, c’est pour cela qu’il s’appelle Jacob, le talonneur, qui parfois fait des talonnages à la main ! Oui Jacob ne suit pas vraiment de règles dans la vie et il ne va pas
s’arrêter là. Il va aussi lui voler son droit d’ainesse et détourner la bénédiction du père Isaac en sa faveur. Jacob réussit à tromper à la fois le frère et le père ! Il porte bien son nom qui veut dire aussi le trompeur ou l’usurpateur. Mais Jacob le trompeur doit fuir parce qu’il est rattrapé par ses mensonges. Jacob doit mettre de la distance entre lui et Esaü qui veut se venger de lui.
Sur le chemin il craque pour Rachel la fille de son oncle Laban. Et là commence l’épisode de l’arroseur arrosé. Jacob le trompeur est trompé par Laban qui lui sort une clause inconnue du contrat et rajoute des années de travail à Jacob pour avoir Rachel. Le trompeur est trompé !
On peut imaginer que cette expérience a provoqué quelque chose dans la vie de Jacob, une sorte de retour sur lui-même où il se dirait que ce que lui fait Laban ressemble fortement à ce qu’il fait lui depuis sa naissance… Ce qu’il a fait lui à son frère, à son père et à lui-même. Mais rien ne laisse paraitre que Jacob ait changé. Il continue à fuir et poursuit sa route mais cette fois avec femmes et enfants, serviteurs et troupeaux. Encore une fois on se demande si Jacob a appris quelque chose de la vie ? Jacob est-il le même homme ? Jacob a-t-il appris sur lui, sur sa manière de fonctionner ?
Mais Dieu n’en a pas fini avec lui, et il va provoquer un deuxième grand moment dans la vie de Jacob. Un moment déterminant. Il vient de quitter un conflit avec Laban et Jacob s’enfuit pour retrouver un autre conflit non résolu. Celui avec son frère Esaü. Conflit qui lui revient en pleine face. Là, au beau milieu de ce conflit avec son frère, Jacob se battra avec un ange qui semble être Dieu lui-même. C’est ici que la vie de Jacob, cet homme en démêlés avec la grâce et en conflit avec le monde entier, va prendre un virage à 180 degrés. Un combat tout à fait extraordinaire, un peu étrange il faut l’avouer mais magnifique. Et c’est Dieu qui prend l’initiative du combat, qui prend l’homme à bras le corps et qui en perdant le combat lui donne une leçon, une leçon de vie.
Ce combat en face à face révèle que Jacob a un problème dans son rapport avec Dieu. Et c’est ce problème-là, qu’il lui faut d’abord régler avant de pouvoir résoudre son conflit avec son frère. Dans ce face à face et ce corps à corps le masque tombe, son masque de trompeur en manque de bénédiction se détache. On peut dire que dans ce combat, il a été touché par la grâce, il a été sauvé ! Face à face avec lui-même
Mais dans ce face-à-face Jacob se retrouve aussi lui-même. Le véritable Jacob avec ses failles et ses manques se révèle et est touché par Dieu dans son être le plus profond. Un moment de vérité
pour Jacob. Et à partir de là les choses vont changer et la première chose qu’il va faire c’est se réconcilier avec Esaü, le frère ainé qu’il a trompé tout au long de sa vie. Ce face-à-face avec Dieu, ce combat avec Dieu qui fait tomber les masques lui permet de faire ensuite face au conflit avec son frère.
Le coup de la hanche
Dans le combat avec Dieu comme d’habitude, Jacob lutte pour obtenir ce qu’il veut. Il réclame la bénédiction ! « Personne ne sort tant que je ne suis pas béni », dit-il à son vis-à-vis. Pour Jacob cette insolence semble fonctionner, mais au prix d’une blessure. Une blessure de Jacob à la hanche, une blessure qui va le handicaper toute sa vie puisque le texte nous dit qu’il sortit boiteux de cette histoire. Et toute sa vie Jacob se rappellera ce combat avec Dieu qui restera marqué dans sa chair comme un signe de l’humilité nécessaire devant Dieu. Il est peut-être sorti vainqueur du combat mais c’est une victoire qui laisse des traces qui rendent terriblement humble.
Quel est le sens de cette blessure à la hanche pour Jacob ? Il ne marche plus de la même façon. Avant cette nuit, Jacob marchait encore comme il entendait mener sa vie selon ses propres schémas, maintenant il marche en s’appuyant sur un bâton, peut-être en s’appuyant un peu mieux sur Dieu, en tous cas dans une relation de dépendance avec lui. Avant cette nuit, son handicap lui était invisible, maintenant il saute aux yeux de tous ceux qu’il croisera sur sa route.
Jacob est porteur de la promesse, parce que Dieu a pour lui un avenir fait d’espérance. Dieu a laissé une trace dans sa chair en l’occurrence par une blessure qui lui fait mal, qui le brise peut-être, qui atteint sa fierté de l’homme qui marche tout seul.
Un coup à la hanche et voilà que Jacob devient Israël. Oui, en plein milieu du combat Dieu pose une question à Jacob « Quel est ton nom ? » Ainsi Dieu le démasque, le met devant la réalité de sa vie « la tromperie, la ruse ». Un moment de vérité pour Jacob. Un moment difficile pour lui, ou toutes ces tromperies et ces conflits défilent devant lui en accéléré comme le film de sa vie.
Mais ce moment de vérité devient moment de grâce encore : Dieu change son nom, il devient Israël (Il lutte avec Dieu), c’est là le point crucial de sa vie, l’homme de conflits en tout genre finit par lutter avec Dieu et s’en sort tout à fait changé. C’est la grâce de Dieu qui est finalement gagnante dans l’histoire parce que Jacob devient Israël et il laisse Dieu prendre les commandes de sa vie…
Et je me dis que ce que Dieu a fait avec ce Jacob, le trompeur, Il peut le faire avec chacun d’entre nous. Que vous soyez rusé, retors, manipulateur, orgueilleux, égoïste, teigneux, colérique, angoissé, amer, énervé, j’en passe et des meilleures. J’ai pris les adjectifs les plus pointus que j’ai trouvés non pas pour dire que nous sommes tout cela à la fois et en même temps. Non bien sûr, mais de temps en temps, nous puisons dans ce registre-là et nous jouons si bien le rôle !

L’histoire de Jacob nous invite à un moment de vérité, à un regard lucide sur nous-mêmes, elle nous invite à ne pas refuser le combat d’un face-à-face avec Dieu où les masques tombent. Un moment de vérité avec Dieu parfois douloureux mais qui permet à chacun parmi nous de reprendre la marche de la vie mais cette fois dans le bon sens, sans fuir mais en cheminant avec Dieu, celui qui nous touche par sa grâce qui transforme, et son amour éternel.
J’ai besoin d’être touché par la grâce de Dieu pour faire grâce à mon tour aux autres. J’ai besoin de recevoir le pardon de Dieu pour pardonner aux autres, j’ai besoin de l’accueil de Dieu pour accueillir les autres, j’ai besoin de retrouver ma valeur en Dieu pour pouvoir valoriser les autres. J’ai besoin d’un face-à-face avec Dieu, régulier pour faire face à la vie.
Ce toucher de la grâce nous fait entrer dans un processus de transformation que l’apôtre Paul appelle une métamorphose comme pour le papillon. Un changement pour devenir toujours plus à l’image de son fils. Ce qu’il a commencé en nous, il va en poursuivre l’achèvement jusqu’au jour de Jésus Christ.
Dieu est fidèle, jamais il ne nous lâchera. Que cette promesse vous accompagne ! Que la grâce de Dieu repose sur vous !

Amen

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