Si tu veux parler, commence par te taire !

Lectures Bibliques : Jean 1,29-34

Prédication :

Je voudrais commencer cette prédication par Pierre Corneille et la finir par Victor Hugo. Ou plutôt par la parodie de Pierre Corneille par Raymond Rua, qui disait, parodiant Cinna : « Auguste, prends un siège et assieds-toi par terre et si tu veux parler, commence par te taire. » Vous connaissez cette parodie, n’est-ce pas : « Si tu veux parler commence par te taire ! » Ecouter, réapprendre à écouter, être écouté, être entendu… Que de gens se battent pour cela !

Ecouter, réapprendre à écouter, être écouté, être entendu…

Du temps de Jérémie, le prophète Hananias parlait au nom de Dieu tout comme Jérémie mais leurs messages étaient complètement différents, l’un annonçait la guerre et l’exil, l’autre annonçait l’armistice et la concorde. L’un était attentif à la parole que Dieu lui confiait et, quels qu’en soient les risques, il osait transmettre la parole de Dieu, malgré le ridicule, (il se présente affublé d’un joug et de chaînes de forçat) malgré les railleries, malgré l’immense solitude de celui qui a l’impression de prêcher dans le désert. L’autre écoutait surtout ses peurs et ses espoirs, il refusait de voir la réalité en face et se faisait son propre scénario happy-end. Deux prophètes parlent au nom du même Dieu, l’un se trompe et ment à ses concitoyens, l’autre parle en vérité et irrite ses concitoyens. Comment discerner le vrai du faux ? Qui ment et qui dit la vérité ? Au nom de Dieu Clément et miséricordieux que n’a-t-on pas raconté à toutes les époques et sous toutes les latitudes ! L’histoire donnera raison à Jérémie contre tous les autres faux prophètes de cette époque trouble. Le temps confirmera les intuitions et les inspirations du vrai prophète. Jérémie, comme plus tard Jean le Baptiste, s’est mis à l’écoute active et attentive de la parole de Dieu, il ne prête pas attention aux balivernes et aux propos bruyants qui attisent et captivent les foules, il n’est pas médiatique, ses déclarations ne font pas la Une de tous les journaux. Il observe les petits signes et il les signale. Son message va à contre-courant de son époque parce qu’il ne peut pas faire autrement. L’inspiration de Dieu le pousse malgré ses réticences et, quoiqu’il lui en coûte, il parle vrai.

Devant certaines situations de notre monde contemporain, devant certains faits de notre actualité nous sentons bien nous aussi qu’il faudrait oser une parole vraie, sincère. Oser dire ce que nous croyons, ce que nous voulons promouvoir, les petits signes que nous distinguons… Mais nous sentons bien aussi que nous serons ridicules et incompris : comment parler d’amour, de fraternité, de compassion, de don, de générosité, de réconciliation, de pardon, de péché, de repentance, de confiance dans un monde qui ne partage pas ce type de valeurs ?

Écouter, réapprendre à écouter, être écouté, être entendu…

Oui, dans notre quotidien, le sens de l’écoute est mis à mal. Nous sommes plongés dans une saturation de messages et d’images, et il devient bien difficile de se situer dans le monde. Si seulement nous pouvions écouter une parole qui nous rendrait libres et nous ferait vivre et que nous saurions reconnaître tout de suite comme l’on reconnaît immédiatement la voix de ceux qu’on aime. Et nous pourrions facilement refuser alors tous ces discours qui nous manipulent, nous emprisonnent, nous séduisent, nous construisent un monde où nous n’avons plus notre place.

Dans un tout autre contexte, loin des prophètes du Premier Testament, je voulais vous faire entendre aussi la parole du dernier prophète qui est intervenu en terre d’Israël, avant l’arrivée du Christ. Il se tenait au bord du Jourdain. Mi-homme, mi-bête, un roseau parmi les roseaux du rivage. Le peuple venait le retrouver là et l’écouter. Il annonçait la purification, il préparait les cœurs et les esprits à l’arrivée du monde nouveau de Dieu, un monde réconcilié dans la justice et le pardon. Le peuple avait soif de ce genre de message, quelque chose de neuf, une nouvelle qui ne vienne pas encore opprimer ou accabler, une parole forte, qui relève et restaure, une bénédiction. Cette voix venue du désert, écoutons-la aujourd’hui, qu’elle parvienne jusqu’à nos oreilles modernes, et que nous puissions la prendre au sérieux. Jean-Baptiste est mort, décapité, sa voix s’est perdue dans les roseaux mais son témoignage traverse les siècles. (Jean 1, 29-34)

Mais lorsque Jean vit Jésus venir à lui, il dit : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. C’est de lui que j’ai parlé quand j’ai dit : “Un homme vient après moi, mais il est plus important que moi, car il existait déjà avant moi.” Je ne savais pas qui ce devait être, mais je suis venu baptiser avec de l’eau afin de le faire connaître au peuple d’Israël. »

Jean déclara encore : « J’ai vu l’Esprit de Dieu descendre du ciel comme une colombe et demeurer sur lui. Je ne savais pas encore qui il était, mais Dieu, qui m’a envoyé baptiser avec de l’eau, m’a dit : “Tu verras l’Esprit descendre et demeurer sur un homme ; c’est lui qui va baptiser avec le Saint-Esprit.” J’ai vu cela, dit Jean, et j’atteste donc que cet homme est le Fils de Dieu. »

J’ai vu l’Esprit de Dieu… et j’atteste donc que cet homme est le Fils de Dieu. Le témoignage du baptiste est incroyable, une force, une simplicité. J’ai vu, j’atteste. Pas de mots inutiles, pas de grands émois. Une parole sobre. Encore faut-il prendre le temps de l’écouter, de la laisser résonner ! Parmi les contemporains du baptiste tous n’ont pas été touchés. Les uns y ont cru, ils se sont mis à suivre le Messie, d’autres se sont contentés de ricaner, d’observer de loin, ou même d’attiser des conflits entre disciples de Jésus et disciples du baptiste… D’autres encore ont eu peur. Les paroles de Jean les ont poussés à bout. La prison et le martyr pour celui qui a osé dire : J’ai vu l’Esprit de Dieu… et j’atteste donc que cet homme est le Fils de Dieu.

Pas simple de reconnaître parmi tous les discours du monde, la petite voix d’un Jean-Baptiste ou d’un Jérémie. Quelqu’un qui parle pour Dieu, ce n’est pas très raisonnable, c’est même franchement suspect à nos oreilles. Comment parler d’amour et de pardon, sans être ridicule ? Comment dire la fraternité, la compassion, la confiance dans un monde qui ne partage pas ce genre de vocabulaire ? Notre temps est un temps de tellement de messages qui surchargent notre vie que l’on ne sait plus où s’appuyer : nous sommes dans un temps de saturation… Il nous suffirait, pourtant d’une seule parole, simple et sûre, pour que nous puissions à nouveau, vivre, respirer !

Ecouter, ne pas écouter. Quel est l’Esprit qui nous guide dans nos choix d’écoute ?

N’oublions pas aussi que l’oreille est un lieu d’équilibre, si notre oreille interne dysfonctionne nous titubons, nous sommes pris de vertige. Comment alors nous repérer, comment nous situer, comment discerner notre route, comment faire les choix nécessaires si nous ne savons plus écouter et comprendre le monde, et si nous ne sommes plus entendus, si plus personne ne nous écoute et ne nous accompagne ? Si personne ne nous appelle à vivre !  Réapprendre à écouter, être écouté…

Je voudrais vous lire ici une parole de Dietrich Bonhoeffer extraite de son livre       « De la vie communautaire » :

« Le premier service qu’on doit au prochain est de l’écouter. De même que l’amour de Dieu commence par l’écoute de sa parole, ainsi, le commencement de l’amour pour le frère consiste à apprendre à l’écouter… Les chrétiens… croient souvent devoir toujours « offrir » quelque-chose à l’autre lorsqu’ils se trouvent avec lui ; et ils pensent que c’est leur unique devoir. Ils oublient qu’écouter peut-être un service bien plus grand que de parler… Qui ne sait pas écouter son frère, bientôt ne saura même plus écouter Dieu ; même en face de Dieu, ce sera toujours lui qui parlera. Nous devons écouter avec les oreilles de Dieu, afin de pouvoir nous adresser aux autres avec sa parole. »

Voilà ce que dit Bonhoeffer… « Les chrétiens croient souvent devoir toujours offrir quelque-chose à l’autre… ils oublient qu’écouter peut-être un service bien plus grand que de parler », c’est une parole forte qui dit que l’écoute est vraiment le cœur de notre actualité. Parce-que le temps où nous vivons n’est plus un temps d’écoute passionnée, attentive, profonde… Oui, je me dis que le défi de l’écoute serait un engagement fort pour nos églises d’aujourd’hui.  Je ne parle pas de l’écoute distraite « ce qui rentre par une oreille et ressort par l’autre », ni de l’écoute savante de je ne sais quel psychanalyste, ni du confessionnal religieux… Mais une écoute qui prenne en compte l’autre et qui chemine avec lui… Une aptitude à l’écoute qui recueille la parole dite comme une parole précieuse et la porte dans la prière, et ainsi fait place à l’autre écouté pour tenter de le comprendre, de le prendre avec soi, de le prendre avec soin et de le porter un bout de chemin partagé. Voilà qui nous aidera à échapper aux démons qui nous guettent : démon du populisme qui ne laisse aucune place à l’autre différent, démon de la technologie qui voudrait nous faire croire que le libre arbitre est dangereux pour l’humain, démon du catastrophisme qui faire naître en nous la peur de disparaître. Écoute ! Écoute l’autre qui ne pense pas comme toi, écoute le cœur de l’homme qui tâtonne à la recherche d’une vie belle, écoute la beauté du chant de la vie et de la terre. Écoute. Fais silence et écoute.

Bonhoeffer le dit bien, il s’agit  « d’écouter avec les oreilles de Dieu ».

L’avenir de nos églises, notre avenir, dépend pour une bonne part de la qualité de notre écoute… C’est à dire de notre soin à prendre en compte ce que nous percevons du monde qui nous entoure et des frères et sœurs qui nous sont confiés. C’est à partir de ces paroles recueillies que nous devons bâtir une présence au monde. Comment Dieu nous parle-t-il aujourd’hui ? Comment discernons-nous sa parole ? Que voulons-nous/pouvons-nous dire aux autres de cette parole qui nous anime ? De même que l’amour de Dieu commence par l’écoute de sa parole, ainsi, le commencement de l’amour pour le frère consiste à apprendre à l’écouter. Que le Seigneur nous donne d’avoir des oreilles qui entendent et qui sachent discerner parmi tous les bruits du monde les paroles qui font vivre.

Laissez-moi le temps de partager un poème de Victor Hugo :

 

Peuples! écoutez le poète !

Écoutez le rêveur sacré !

Dans votre nuit, sans lui complète,

Lui seul a le front éclairé.

Des temps futurs perçant les ombres,

Lui seul distingue en leurs flancs sombres

Le germe qui n’est pas éclos.

Homme, il est doux comme une femme.

Dieu parle à voix basse à son âme

Comme aux forêts et comme aux flots.

 

C’est lui qui, malgré les épines,

L’envie et la dérision,

Marche, courbé dans vos ruines,

Ramassant la tradition.

De la tradition féconde

Sort tout ce qui couvre le monde,

Tout ce que le ciel peut bénir.

Toute idée, humaine ou divine,

Qui prend le passé pour racine

A pour feuillage l’avenir.

 

Il rayonne ! il jette sa flamme

Sur l’éternelle vérité !

Il la fait resplendir pour l’âme

D’une merveilleuse clarté.

Il inonde de sa lumière

Ville et désert, Louvre et chaumière,

Et les plaines et les hauteurs;

À tous d’en haut il la dévoile;

Car la poésie est l’étoile

Qui mène à Dieu rois et pasteurs !

Peuples! écoutez le poète !

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