Le Salut par Grâce, « Abracadabra » des protestants…

Lectures bibliques : Romains 5,15 ; 19-21 ; 6,1-2 ; 12-14

PREDICATION :

Pour définir la foi protestante, il est une formule qui fait mouche à chaque fois : le Salut par la Grâce… C’est comme une formule magique qu’on répète mais que personne ne comprend… Le Abracadabra des protestants ! De quoi parlons-nous ?

  • De la Grâce comme cadeau immérité (don gratuit) ?
  • De la Grâce comme remise de dette/de peine (faire grâce – concept juridique)
  • De la Grâce comme gratitude, reconnaissance, émerveillement (rendre grâce)
  • De la Grâce comme identité rayonnante, charisme (avoir la grâce)

Il faut retrouver l’intuition fondamentale de Luther qui libère les croyants de l’emprise d’une Église qui marchandait les indulgences et prêchait la peur de l’enfer. Il nous faut également retrouver le cheminement de Calvin réaffirmant avec force la prédestination dans l’intention de retirer définitivement aux hommes la plus petite possibilité (tentation ?) d’agir sur son salut. Dieu seul décide, de toute éternité, dans son conseil secret. Le Salut de l’homme ne dépend que de la seule Grâce de Dieu dans une totale passivité de l’homme. Voilà l’acte fondateur de la Réforme.

Mais l’histoire ne suffit pas. Que disent les Ecritures ? Dieu vit que la méchanceté de l’homme se multipliait sur la terre : à longueur de journée, son cœur n’était porté qu’à concevoir le mal. Le Seigneur se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre. Il s’en affligea et dit : j’effacerai de la surface du sol l’homme que j’ai créé. Mais Dieu change complètement d’avis : Noé trouva grâce aux yeux du Seigneur : Je ne maudirai plus jamais le sol à cause de l’homme. Certes, le cœur de l’homme est porté au mal dès sa jeunesse mais plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait.  (…) Je vais établir mon alliance avec vous (…) et avec tous les êtres vivants (…) : il n’y aura plus de déluge pour ravager la terre. (…) J’ai mis mon arc dans la nuée pour qu’il devienne un signe d’alliance entre moi et la terre. (Genèse 6,5-8 ; 8,21 ; 9,9 ; 11-13) La réalité du mal n’a pas été éliminée mais Dieu a changé. Oserais-je dire que Dieu s’est convertit à la Grâce ? Cette même volonté de changer de logique est revendiquée clairement par Jésus dans le Sermon sur la montagne : Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour Œil, dent pour dent. Mais moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. A qui veut te mener devant le juge pour prendre ta tunique, laisse aussi ton manteau. Si quelqu’un te force à faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. (Matthieu 5,38-42). A la logique de l’équivalence, Jésus oppose la logique de la surabondance : donne plus que ce qu’on te demande. C’est ce que l’apôtre Paul appelle la surabondance de la Grâce : il n’en va pas du don de la Grâce comme de la faute ; car, si par la faute d’un seul la multitude a subi la mort, à plus forte raison la grâce de Dieu, grâce accordée à un seul homme, Jésus Christ, s’est-elle répandue en abondance sur la multitude. Mort par la faute d’un seul, Grâce répandue en abondance sur la multitude… Là où le péché a abondé, la Grâce a surabondé. A partir de maintenant, le péché n’aura plus d’empire sur vous, puisque vous n’êtes plus sous la loi mais sous la grâce.

Mais c’est trop facile !! Déjà Paul formulait l’objection : Qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que nous devons continuer à pécher pour que la Grâce de Dieu se répande en abondance ?  N’est-ce pas une manière de déresponsabiliser les hommes ? Que dire de la liberté ? N’est-ce pas injuste, arbitraire ? La grâce comme justification gratuite du pécheur ? Pour quoi et de quoi aurions-nous besoin de nous justifier ? Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? Qu’est-ce que ça veut dire si l’on ne se sent pas coupable ? Et je ne vous parle même pas de la prédestination ! Le Salut par Grâce est devenu une doctrine obscure, incompréhensible, voire scandaleuse. Nous sommes morts au péché, dit l’apôtre Paul. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Le péché, qu’est-ce que c’est ?

Voilà le problème : si nous ne savons pas que nous sommes pécheur, pourquoi voulez-vous avoir besoin de la grâce ? La grâce est inutile pour celui qui ne se sent ni fautif, ni perdu, ni condamné. Je voudrais vous lire les premières lignes de « Vivre en disciple. Le prix de la Grâce » de Dietrich Bonhoeffer : La grâce à bon marché est l’ennemie mortelle de notre Eglise. (…) La grâce à bon marché, c’est la grâce considérée comme une marchandise à brader, le pardon au rabais, la consolation au rabais, le sacrement au rabais ; la grâce (qu’on peut) distribuer sans hésitation ni limite (…) car on se dit que, en raison de la nature même de la grâce, la facture est par avance et définitivement réglée. Sur la foi de cette facture acquittée, on peut tout avoir gratuitement. (…) Dans cette Eglise, le monde trouve, à bon marché, un voile pour couvrir ses péchés, dont il ne se repent pas et dont, a fortiori, il ne désire pas être libéré. (…) La grâce à bon marché, c’est la justification du péché et non du pécheur. (…) La grâce à bon marché, c’est la prédication du pardon sans repentance, c’est le baptême sans discipline ecclésiastique, c’est la cène sans confession des péchés, c’est l’absolution sans confession personnelle. La grâce à bon marché, c’est la grâce sans la marche à la suite de Jésus, la grâce sans la croix, la grâce abstraction faite de Jésus Christ vivant et incarné.

Alors revenons à l’apôtre Paul : Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé. Il y a un principe qui se dévoile ici, essentiel à comprendre : la grâce de Dieu désigne la manière que Dieu choisit pour interagir avec le monde et avec nous. C’est précisément à l’endroit où le péché est à l’œuvre que Dieu décide d’agir et de faire grâce. Autrement dit, la grâce de Dieu est toujours exactement ciblée et adaptée à la forme prise par le péché au cours de l’histoire des hommes. A telle forme de péché répond telle forme de grâce. Et toute la vie de Jésus, ses paroles, ses actes, sa mort et sa résurrection, dévoile les différentes modalités de la Grâce.

  • Si nous nous sentons mal dans notre vie, notre péché s’appelle mal-être et la grâce de Dieu intervient dans notre vie comme une guérison, une restauration. Jésus le médecin vient guérir toute maladie et toute infirmité.
  • Si nous nous sentons coupables et que nous vivons notre vie comme une punition, comme un enfer, notre péché s’appelle culpabilité et la grâce de Dieu agit comme un pardon donné sur la Croix (Pardonne-leur ils ne savent pas ce qu’ils font. Luc 23,34). Nous sommes déclarés justes devant Dieu. C’est ce qu’on appelle la justification gratuite par la foi.
  • Si notre péché prend la forme d’un conflit avec Dieu, avec les autres ou avec nous-mêmes, la grâce de Dieu se dévoile comme un amour qui nous réconcilie avec Lui (En ceci Dieu prouve son amour pour nous (…) Quand nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils. Rm 5,10 Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ! Jn 13,34) et le salut se vit comme un apaisement (Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix. Jn 14,27).
  • Si le péché est vécu comme une aliénation, un emprisonnement, une possession, la grâce de Dieu sera vécue comme une libération (Christ a payé pour nous libérer de la malédiction de la loi. Gal 3,13).
  • Si tu ne trouves aucun sens à ta vie, que tu la trouves absurde, la grâce de Dieu retentit comme un appel à suivre le Christ (Viens, suis-moi ! Mc 10,21) et le salut est vécu comme une vocation, un appel à entrer dans le plan de Dieu.
  • Si nous sentons les puissances de mort dominer notre existence, la grâce de Dieu s’expérimente comme un amour plus fort que la mort (Jn 3,16) et nous recevons le salut comme une résurrection (Car si nous avons été totalement unis, assimilés à sa mort, nous le serons aussi à sa résurrection. Rom 6,5)

Mais la grâce devient une grâce à bon marché au moment où nous ne parvenons plus discerner l’emprise du péché sur le monde et sur notre vie. Si nous disons : « Nous n’avons pas péché », nous nous égarons nous-mêmes et la vérité n’est pas en nous. Si nous disons : « Nous ne sommes pas pécheurs », nous faisons de lui un menteur et sa parole n’est pas en nous. (1 Jn 1, 3b-10). Il faut donc nous demander si l’Eglise ne serait pas contaminée par un aveuglement qui la rend incapable de discerner la souffrance du monde et la forme prise par le péché aujourd’hui. Souvenons-nous de la lettre à l’Eglise de Laodicée dans l’Apocalypse : Parce que tu dis : je suis riche, je me suis enrichi, je n’ai besoin de rien, et que tu ne sais pas que tu es misérable, pitoyable, pauvre, aveugle et nu, je te conseille d’acheter chez moi de l’or purifié au feu pour t’enrichir (…) et un collyre pour oindre tes yeux et recouvrer la vue. (Apo 3,17-18) Notre aveuglement nous fait manquer notre cible (ce qui correspond au sens étymologique du mot péché) : nous visons le péché du monde et nous tombons à côté… Nous ne le voyons plus. Et pourtant il fonctionne. Que nous le discernions ou non, il structure le monde. Moins nous en avons conscience et plus nous collaborons avec lui, « à l’insu de notre plein gré ». C’est le principe du refoulement et de la dénégation décrit par la psychanalyse : l’inconscient est d’autant plus puissant qu’il échappe à toute maîtrise. Je crois que l’Église devrait essayer d’ouvrir les yeux si elle veut retrouver la pertinence de sa vocation dans le monde. Elle devrait cesser de dispenser une grâce à bon marché dont elle se croit propriétaire pour retrouver sa mission prophétique de discernement, de dévoilement, de mise en lumière, de décryptage du réel et du monde d’aujourd’hui. Pour cela, les chrétiens doivent commencer à balayer devant leur porte : mettre notre vie sous la lumière de Dieu pour y dévoiler l’emprise du péché qui nous éloigne de lui. Commencer par nos propres vies pour être en mesure de regarder le monde en face pour mettre en lumière ce qui, dans le monde, nous sépare de Dieu. Alors et alors seulement, nous redécouvrirons l’impérieuse nécessité de sa Grâce. Comme le dit l’apôtre Paul, Le péché n’aura plus d’empire sur vous puisque vous n’êtes plus sous la loi, mais sous la grâce. Amen !

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