Voulons-nous la vie éternelle ?

Le Christ, notre intercesseur

Après avoir ainsi parlé, Jésus leva les yeux au ciel et dit : Père … (Jean 17, 1) Chers frères et sœurs, voici que notre Seigneur, à l’issue de ses derniers entretiens avec ses disciples, délaisse le discours pour la prière. Notre Seigneur Jésus-Christ intercède auprès de Dieu en notre faveur. Il dit en effet : « je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m’as donnés, parce qu’ils sont à toi » (Jean 17, 9) et il élargit cette prière de ses disciples à nous-mêmes en disant : « ce n’est pas pour eux seulement que je prie, mais encore pour ceux qui croiront en moi par leur parole » (Jean 17, 20). Cela nous rappelle, si nous l’avions oublié, que le Christ est notre intercesseur, que toute notre vie trouve refuge sous sa prière que c’est dans sa prière que le Dieu vivant nous regarde. Jésus-Christ prie pour nous et sa prière, achevée sur la Croix, nous assure la miséricorde infinie de Dieu. Par sa prière, Jésus nous met à part, nous sanctifie, et en nous sanctifiant, il nous accorde la vie éternelle. Car sa prière n’est pas vague et sans objet. La demande de Jésus à son Père est très claire : Glorifie ton Fils, afin que le Fils te glorifie … afin qu’il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés. Jésus prie pour que sa glorification – c’est-à-dire dans le langage propre à l’Evangile de Jean, sa mort et sa résurrection – nous obtienne la vie éternelle. Tel est l’objet de l’intercession du Seigneur pour nous : que, par lui, nous ayons la vie éternelle. Voilà sa demande, voilà sa requête, voilà le vœu qu’il porte pour nous à son Père. Voilà alors notre assurance et notre foi : en Jésus, nous avons la vie éternelle.

La vie éternelle, le désir d’immortalité et la finitude humaine

Et cette assurance est un article très important de notre Foi. Nous disons d’ailleurs dans le Symbole des Apôtres, je crois… à la vie éternelle. Mais si nous voulons comprendre ce que nous croyons et non seulement ânonner en cœur, il nous faut affronter les questions qu’une telle affirmation suscite en nous. D’abord, qu’est-ce donc que la vie éternelle ? En effet, la représentation d’un Ciel au-dessus du firmament des cieux, d’un Enfer sous la terre et l’idée grecque d’une immortalité de l’âme sont peut-être moins adéquates pour articuler aujourd’hui notre foi dans la vie éternelle. Certains d’ailleurs ne parviennent plus à y croire tant ces représentations heurtent leur vision du monde et de Dieu. A cet égard, notons déjà que le Christ nous offre une définition de la vie éternelle qui peut surprendre dans la mesure où elle ne convoque ni un lieu ni un temps pour le dire : Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ (Jean 17, 3). La vie éternelle n’est pas évoquée ici comme un au-delà ou comme un après mais, simplement, comme la connaissance de Dieu par Jésus-Christ. Mais avant d’entrer dans cette matière, je vous propose un détour, je vous propose d’entendre une autre question, une question qui avant de porter sur la compréhension de la foi porte sur le point d’ancrage entre cet article de foi et notre condition d’homme. Je précise : la vie éternelle est-elle un désir de l’homme, un désir enraciné dans le cœur de tout homme ? Autrement dit, entre le vœu de Jésus adressé pour nous au Père et le désir que nous nourrissons dans nos cœurs, y a-t-il adéquation ? Notre Seigneur prie-t-il selon notre cœur quand il demande en notre nom la vie éternelle ?

De prime abord, on serait tenté de répondre par l’affirmative : l’homme n’a-t-il pas toujours cherché à s’assurer un avenir éternel ? Le désir d’immortalité est en effet fiché dans notre cœur. Pensons en effet à cette volonté de s’illustrer par des hauts faits pour s’assurer une gloire immémoriale. Pensons encore à cette volonté de subsister en engendrant ou en perpétuant une lignée, en assurant la pérennité du nom. Pensons aussi à toutes les religions qui par leurs rites et leurs prières cherchent à gagner un au-delà à leurs adeptes. Pensons même au transhumanisme qui veut éradiquer la maladie et la mort et rendre l’homme, par la technique et sur cette terre, immortel. Nous voulons demeurer. Demeurer en vie, ici et maintenant ou au-delà et après mais en tout cas pour toujours. On pourrait alors dire, la prière, la demande de Jésus répond au désir de tout homme : vivre toujours. Mais ce serait oublier que nous aspirons parfois à quitter cette vie. La somme des douleurs, le poids de la misère, les blessures ouvertes que le temps ne peut refermer peuvent nous conduire à regretter cette vie, à vouloir s’en départir. Nous sommes ainsi solidaires de la complainte de Job s’écriant au cœur de son malheur : Périsse le jour où je suis né, et la nuit qui dit : Un enfant mâle est conçu ! Ce jour ! qu’il soit donc ténèbres … Pourquoi ne suis-je pas mort dès les entrailles de ma mère ? Pourquoi n’ai-je pas expiré au sortir de son ventre ? … Maintenant je serais couché et je serais tranquille … ou bien je n’existerais pas, comme un avorton caché… Pourquoi donne-t-il la lumière à celui qui peine, et la vie à ceux qui ont l’amertume dans l’âme et attendent la mort sans qu’elle vienne ? (Job 3, 3-26).

Voyez frères et sœurs, je crois que le désir d’immortalité comme le désir d’en finir sont comme les deux faces de la même pièce, comme le symbole de la condition humaine. Car vouloir l’immortalité ou ne plus vouloir vivre n’est-ce pas protester contre notre finitude ? Tantôt en refusant une mort dont nous ne voulons pas, tantôt en regrettant une naissance que nous n’avons pas choisie ? Affronter notre condition de créature, notre condition mortelle voilà l’épreuve la plus haute et la plus universelle. Epreuve si périlleuse que nous sommes tentés d’y échapper. Epreuve toujours mystérieuse, que chacun doit affronter pour lui-même. Au creuset de notre vie, face à notre finitude, monte une interrogation douloureuse : comment consentir à l’existence ? comment habiter cette vie, cette vie qui nous échoit malgré nous ?

La vie éternelle dès maintenant

Chers frères et sœurs, voici le point d’ancrage sur lequel la prière de Jésus s’arrime : Glorifie ton Fils, afin que le Fils te glorifie … afin qu’il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés. Jésus prie pour que nous ayons la vie éternelle, c’est-à-dire pour que nous puissions habiter notre finitude comme une promesse et non comme un mal à surmonter. Dieu nous accorde la vie éternelle par Jésus comme un don gratuit pour que nous puissions consentir à notre existence, habiter notre finitude. Car je le crois intimement et profondément, consentir à l’existence, consentir à son existence, qu’elle soit heureuse ou malheureuse, est un acte de foi.

 

Cependant, il nous faut maintenant, pour établir ce point, revenir à notre première question : qu’est-ce que la vie éternelle ? Reprenons la Parole du Christ : Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ (Jean 17, 3). Le Christ n’évoque ni lieu ni temps. Il parle seulement de connaissance. La vie éternelle n’est rien d’autre que connaître Dieu par Jésus-Christ. Cela signifie d’abord que la vie éternelle n’est pas une autre vie, après la vie terrestre, mais une vie nouvelle qui commence bien dès ici-bas, par la foi. Car, de fait, dès ici-bas, Jésus a manifesté le Père à ses disciples et, dès ici-bas, le Christ dans la prédication et dans les sacrements, nous manifeste le Père. Jésus le dit d’ailleurs à Thomas : qui m’a vu a vu le Père (Jean 14, 9). Il le dit aussi dans sa prière : J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu m’as donnés du milieu du monde. … Maintenant, ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi. (Jean 17, 6.7) La vie éternelle commence donc au cœur de notre finitude. C’est comme mortel que nous recevons cette vie nouvelle, c’est comme être fini que nous recevons ce don gratuit. Nous ne devenons ni dieu ni ange, nous restons homme. Nous ne sommes pas seulement en attente d’une autre vie qui n’est pas encore. Nous vivons déjà de cette vie qui pourtant n’est pas encore pleinement achevée.

La connaissance de Dieu comme celui qui a envoyé Jésus-Christ

Que signifie donc connaître Dieu et son envoyé Jésus-Christ ? Il ne s’agit pas d’abord d’une connaissance théorique. Car qui pourrait en effet connaître Dieu, lui qui dépasse toute intelligence et qui habite, comme le dit la première épître à Timothée, une lumière inaccessible, que nul homme n’a vu ni ne peut voir (1 Tim 6, 16) ? La connaissance de Dieu dans laquelle réside la vie éternelle n’est pas la description spéculative d’un objet mis à distance. Il s’agit d’une connaissance plus pratique. En effet, refuser d’isoler la connaissance de Dieu d’avec la reconnaissance de Jésus comme son envoyé indique que le fait que Dieu ait envoyé Jésus-Christ dit quelque chose de ce qu’il est. Autrement dit, Dieu est connu quand il est connu comme celui qui envoie son Fils dans le monde. Or pourquoi l’envoie-t-il ? L’Evangile de Jean répond : Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais qu’il ait la vie éternelle (Jean 3, 16). La vie éternelle trouve donc son principe dans l’immense amour de Dieu pour les hommes. Connaître Dieu par Jésus-Christ c’est connaître Dieu comme un Dieu d’amour. Dieu nous aime, Dieu m’aime et cela jusqu’à donner pour nous son Fils unique sur la Croix… Et si nous nous saisissons de cela par la foi, tout notre rapport à l’existence change.

Peut-être n’arrivons-nous pas, par nous-mêmes, à consentir à notre vie. Peut-être sommes-nous, par nous-mêmes, conduits soit à vouloir la transcender par une forme d’immortalité soit à nous en échapper d’une manière ou d’une autre soit encore à nous affaisser, à vivre sans vivre. Sans doute cela tient-il à ce que nous existons malgré nous et que nous ne parvenons pas à accepter d’être sans l’avoir choisi. Le fond de notre vie c’est l’absurdité d’un être jeté au monde sans avoir été consulté, un être qui, jeté dans le monde, sait qu’il en sera retiré probablement sans l’avoir voulu non plus. Cette absurdité nous ronge. Mais cette absurdité est dénoncée par la venue du Christ comme une illusion qui prend racine dans l’ignorance où nous sommes de Dieu. Nous nous vivons là sans raison apparente car nous ignorons que nous sommes là parce que Dieu nous a voulu, parce qu’il nous veut et qu’il nous aime. Notre existence est l’œuvre d’un désir irrévocable, d’un amour inconcevable et dont nous pouvons néanmoins vivre. Oui, je peux consentir à mon existence si je connais Dieu comme celui qui a envoyé par amour Jésus-Christ pour moi. Je peux consentir à mon existence si je reçois cet amour premier de Dieu. Si je comprends que je tiens ma vie de cet amour. Je peux consentir à mon existence si je me sais aimé du Dieu Tout-puissant. Et Jésus-Christ, à la Croix, me montre que cet amour demeure quoique je pense, quoique je dise, quoique je fasse. Je suis aimé de Dieu : voilà le credo qui permet de vivre et de vivre pour Dieu. Ecoutons alors la dernière parole de la prière de Notre Seigneur : Père juste, le monde ne t’a pas connu ; mais moi, je t’ai connu, et ceux-ci ont connu que tu m’as envoyé. Je leur ai fait connaître ton nom, et je le leur ferai connaître, afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi, je sois en eux (Jean 17, 25-26). Connaître Dieu et celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ, c’est donc se savoir aimé du même amour dont Dieu aime son Fils unique. Voyez comme cette vie mortelle, comme notre finitude, éclairée par l’amour inconditionnel de Dieu n’est plus un mal à surmonter mais une grâce, un don et une promesse : Dieu n’a pas laissé son Fils dans la mort car la mort ne peut vaincre l’amour, or Dieu nous aime du même amour qu’il a aimé son Fils !

Vivre de l’amour de Dieu, recevoir passivement cet amour, plutôt que de chercher à parvenir de soi-même et par ses propres forces à consentir à notre existence, voilà qui est habiter sa finitude, voilà qui est exister, voilà ce que veut dire le juste vivra par la foi (Romains 1, 17), voilà la vie éternelle qui commence. Oui, consentir à l’existence, et y consentir malgré tout, est un acte de foi.

La connaissance de Dieu : une manière de vivre

Mais la connaissance de Dieu comme celui qui nous envoie son Fils, ainsi comprise, n’est pas une vie nouvelle qui serait cantonnée dans notre intériorité, dans la seule conscience d’être aimé de Dieu. Au contraire, la connaissance de Dieu s’épanouit dans une manière de vivre, dans un type d’existence. Qu’est-ce qu’une telle vie ? Une vie vécue sous le commandement d’amour. Une vie déterminée par la Parole de Dieu qui est une Parole d’amour. Ainsi Jean peut-il écrire dans sa première épître : Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons les frères (1 Jean 3, 14). De fait, connaître Dieu comme celui qui a envoyé Jésus-Christ c’est connaître le Dieu qui a tant aimé le monde (Jean 3, 16). C’est donc apprendre à voir l’autre comme j’apprends à me connaître : comme un être aimé de Dieu. La vie éternelle se manifeste dans une existence qui, bien que toujours pécheresse, suggère à ceux que nous côtoyions que leur existence n’est pas absurde, qu’elle vaut infiniment, qu’ils sont aimés de Dieu d’un amour infini. Vivre ainsi c’est habiter sa finitude, notre finitude, comme une promesse car c’est fonder sa vie sur ce qui ne passe pas, comme l’atteste l’Ecriture : l’amour ne succombe jamais (1 Co 13).

 

Alors oui, je crois qu’éclairés par la Parole de Dieu notre cœur peut rejoindre la prière du Christ. Prions avec Lui :

Seigneur Jésus, tu nous manifestes par ta prière que tu es un Dieu avec nous,

Un Dieu pour nous, un Dieu qui nous connais mieux que nous-mêmes.

Envoie-nous ton Saint Esprit afin que nous te connaissions

Et que nous connaissions ton Dieu, notre Père,

Et qu’ainsi nous ayons dès aujourd’hui la vie éternelle que tu promets.

Amen.

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