Une religion de disciples…

Frères et sœurs pour ce deuxième dimanche du temps de l’Église, que nous pouvons aussi appeler de façon plus fade : temps ordinaire, y a-t-il vraiment un temps ordinaire ?…, nous sommes appelés à méditer sur des textes en lien avec la vocation. Et le plus profond est probablement cet extrait de l’évangile de Jean, un texte pour le moins extraordinaire. La première apparition de Jésus dans l’Évangile, nous sommes au tout début de l’histoire extraordinaire qui changera notre monde et qui bouleversera notre vie spirituelle. Ce Jésus apparaît furtivement, en clair obscur, c’est son ombre qui frôle à ce moment là notre existence. Rentrons dans les détails de ce tableau baroque, cet instant fondamental qui s’est un jour passé pour nous. Mais avant prions encore.

Début de l’histoire, après le poème qui ouvre l’évangile de Jean : « Au commencement était le verbe… », après le récit de la forte prédication de Jean le Baptiste annonçant celui que tout le monde attends mais que personne ne connaît, Le voile du mystère est sur toutes et tous. Nous y compris. Et voilà qu’un beau jour, Jean montre un homme qui marche. Qui est-il cet homme. Qui est-il, d’où  vient-il et où va-t-il ?

Un homme marche, où donc nous ne savons pas bien non plus. Mais quelque chose vient de se passer à côté de cet homme qui marche. Jean a posé son regard sur lui. Les disciples n’ont pas remarqué. Jean le montre. Les deux disciples, sans mettre quoique ce soit en  doute regardent le doigt et suivent l’homme qui marche. Ils le suivent, sans rien demander. Et là, Jésus se sachant suivi se retourne et leur pose une question que nul n’aurait pu vraiment attendre : « Que cherchez vous ? ».

En voilà un Évangile. L’ombre de l’inconnu se tourne vers ces deux êtres en quête et leur pose, dans la terrible vérité la question la plus immense qui soit, « Que cherchez vous. » Il semblerait qu’il n’y ai pas de temps à perdre avec Jésus, que l’évangile de Jean n’apprécie que peu les fioritures. La question vient d’être posée, celle de Dieu qui demande à l’être humain de rendre compte du moteur même de son existence. De ce qui le meut, de ce qui le maintient en vie, de ce pourquoi il est, en somme de sa justification, « que cherchez vous? ».

Ici plus de faux semblants. Plus de décors. Plus de convenances ni d’hypocrisies, juste « Que cherchez vous », juste l’essentiel dans son dénuement le plus puissant. Dieu, dès le début de la bonne nouvelle déshabille d’un seul coup l’humain, rendu à son ultime condition en face du regard de Jésus. Et cette mise à nue immédiate, elle ne vous rappellerait pas quelque chose ?

« L’homme sut qu’il était nu. » Cette grande erreur primitive dans le Jardin d’Éden et cette compréhension qu’après avoir partagé le fruit plus  rien ne serait comme avant, et que la honte, la honte devant son semblable et encore plus grande que tout : la honte devant Dieu sera le premier sentiment, et la douleur et la honte seraient le joug  quotidien de cette vie brisée, de cette vie avortée sur terre.

Et en ce matin, en ce premier regard de jésus vis à vis de l’homme c’est un nouveau rapport qui s’établit. La nouvelle alliance elle commence par un regard. Et ce regard il est accompagnée de cette première parole rapportée : « Que cherchez vous? » à la honte et la crainte établie depuis que le genre humain en ses figures d’Eve et d’Adam furent chassés de l’Éden, cette chute à laquelle succéda dans l’immédiat le premier homicide, doublé d’un fratricide qui inaugurant le meurtre couronna la honte et le remord, et de ce regard du Seigneur qui accusait l’humain pécheur dans une spirale de faute qui devait être infinie.

Comment Victor Hugo voulait dépeindre ce sentiment mortel que nous devions hériter de l’éternité ? Le voici qui dédie un poème à la honte et au remord, un poème aux ténèbres, ce poème vous le connaissez peut-être, il s’appelle « la conscience ». Caïn, après avoir tué son frère, ne rêve que de fuir le regard accusateur de Dieu et il décide alors de vivre sous la terre, mais même la terre ne pourra l’en défaire.

« O mon père
l’œil a-t-il disparu ? Dit en tremblant Tsilla.
Et Caïn répondit, Non il est toujours là.
Alors il dit : Je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien.
On fit donc une fosse, et Caïn dit : C’est bien !
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
Et qu’ont eut sur son front fermé le souterrain,
l’œil était dans la tombe et regardait Caïn. »

Le voilà l’œil de la culpabilité, la sentence de l’humain pécheur et condamné à l’errance sans repos, à l’errance infinie dans un désert de honte et de douleur. Nous le connaissons ce sentiment et quand nous en sommes pris il est difficile, très difficile de s’en séparer. A tel point que la bonne nouvelle ne peut plus que ricocher sur notre cœur gelé et qu’il semblerait parfois que la mort seule puisse un jour nous en délivrer.

Non il y a une issue, il faut y croire mon frère ma sœur, l’Évangile, la libération, le sauveur, ce ne sont pas des faibles mots, ce ne sont pas des fables d’enfant. L’errance, la terreur, le doute et le regret qui nous rongent lentement et sans fin ce n’est pas ce que Dieu nous promet. Ce grand rattrapage il arrive maintenant, c’est ce que Dieu nous donne par l’Évangile, nous l’avons entamé ici. Il est là le rattrapage, le grand virage que Dieu dans sa grâce permet et veut pour nous, définitivement et sans condition. Cet œil il ne sera plus jamais accusateur, la parole ne sera plus jamais condamnation. Les temps sont arrivés à ce moment là, très précisément, Jésus se retourna et leur demanda « Que cherchez vous. » Le nouveau départ est commencé. Le phare de la Grâce est vu au loin, Jean-Baptiste le sait, et c’est cela qui fait de lui un prophète fondamental dont nous avons aujourd’hui trop vite oublié l’importance. Il montre le secours d’une humanité à la dérive fuyant perpétuellement les démons qu’elle s’inventa elle même et qu’elle inventa pour ne pas avoir à lever un jour les yeux vers le ciel. La liberté est toute donnée, pourvu que nous acceptions ce regard direct et de recevoir en pleine face cette question qui fait effondrer tout les liens et tout les murs que le  non-dieu a construit. Que ce que nous prenions pour dieu nous a fait construire pour notre perte, ce Jésus il le brise en demandant ici sans autre formule, « que cherchez-vous ».

Cela suffit. Les disciples poseront en réponse une autre question : « Où demeures tu ? » Voilà une question ambiguë. Nous ne savons pas ce que savent ces disciples de cet homme qui marche.  Probablement rien, si ils ont foi dans ce que leur annonça le Baptiste ils savent qu’ils sont devant quelqu’un d’une importance telle qu’il n’en ont jamais rencontré dans leur vie, c’est celui qui vient enlever le péché du monde. C’est le libérateur qui arrive. Le libérateur absolu. Celui qui vient délivrer des fautes. Et ça c’est unique. Les voici qui l’interrogent sur le lieu de sa demeure. Ce n’est pas « où habite tu », ou bien « où vas tu » mais bien « où demeure tu ». C’est mystérieux et j’ai du mal à me l’expliquer. Et voici que Jésus les appelle : « Venez et vous verrez. » Et les disciples le suivirent.

Dans cette séquence extrêmement courte et tout aussi symbolique il vient de se passer la réconciliation ultime, la réconciliation totale entre Dieu et le genre humain. Désormais les deux marchent main dans la main. Ce Dieu qui marchait seul et que personne ne connaissait il s’est fait connaître, il s’est fait l’égal et le compagnon de route, le guide. Désormais il n’y a plus de sens ni à fuir ni à craindre mais seulement à suivre.

Alors à ceux qui prêchent la honte, à ceux qui prêchent l’asservissement et l’avilissement ou même pire à ceux qui aimeraient tant que nous nous mentions à nous même, que nous mentions à ce qui est en nous est au plus profond et cela au nom des faux  dieux, de la convenance, des stéréotypes et des théologies dangereuses. À ceux qui savent remplacer avec tant d’art la grâce inconditionnelle du Seigneur par une logique culpabilisante et mortifère du « Dieu vous aime, mais … » A ces théologiens du « mais » de la désormais bafouée grâce de Dieu, ce « mais » qui rappelle si bien l’œil de la tombe n’est-ce pas. A ceux là, la route et le chemin de la  suivance du Christ leur est fermé.

Car à la question du « Que cherchez vous » ces prêcheurs de mort répondent en montrant leur CV ou bien un cahier des charges. Non. Dieu pose la question au fond de l’existence. Et la suivance n’est pas un entretien d’embauche.

C’est un cœur à cœur entre nous et le sauveur. Et la libération ça ne ment pas. C’est comme ça que commence l’appel chrétien, c’est  aussi comme ça qu’il s’entretient. C’est la lumière qu’il faut suivre, c’est la lumière de l’Évangile qui croit en nous. Dans cette histoire il n’y a pas beaucoup de place pour le reste.
Et sur ce chemin sur lequel nous nous engagerons c’est libéré qu’il faudra nous engager car le joug est léger. Car libéré sur ce chemin nous aurons laissé les morts enterrer leurs morts, car libérés sur ce chemins nous aurons laissé les travaux des champs et la charrue, car libérés sur ce chemins nous aurons laissé le bateaux et les filets de pêche. Car si nous trébuchons sur ce chemin nous serons relevé par celui qui nous y a appelé. La voilà l’aventure qui commence à sa suite.

Ce Jésus, celui qui appelle, il nous est montré. Et c’est exactement ce que je fais moi aussi maintenant, je nous le montre, il est là, il déambule entre les bancs, il continuera son chemin dans la rue et sera toujours là quelque part, dans les marges de nos vies, à passer furtivement et à attendre que nous le suivions. Alors à ce moment là il nous  demandera : « Que cherchez vous ? » Et plus rien ne sera comme avant.

Nous nous en tiendrons là pour le moment.
Amen.

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