Un autre chemin

 

Frères et sœurs, je partage avec vous ce matin trois remarques à propos de ce récit.

1. Je voudrai d’abord m’intéresser à l’attitude des scribes et des prêtres lorsque les mages leur demandent où est le roi des juifs qui vient de naître.

Ce qui est assez extraordinaire, c’est qu’ils ont toutes les réponses : ils connaissent très bien leur Bible, ils ont toutes les informations nécessaires. Ils savent que le roi des juifs, le messie d’Israël, doit naître à Bethléem en Judée, comme il est écrit dans le livre du prophète Michée.

Les scribes et les prêtres, ce sont en gros les théologiens et les pasteurs de l’époque : ils ont fait de longues études et ils possèdent un grand savoir. Et pourtant, vous le voyez bien, ça ne les amène pas à rencontrer le Dieu vivant. Ils restent dans le palais d’Hérode, au lieu de partir avec les mages à Bethléem.

Je crois qu’il y a un enseignement à tirer de tout cela. En effet, on peut avoir accumulé des tonnes d’informations concernant Dieu, que ce soit en lisant la Bible bien sûr, mais aussi peut-être en lisant des tas d’autres livres, en faisant de la philosophie, en discutant avec des tas de gens intelligents, ou plus simplement en allant au culte le plus souvent possible… ce n’est pas pour autant qu’on est proche de Dieu.

Vous le savez bien, nous autres protestants nous sommes réputés pour notre solide connaissance de la Bible. Et pourtant, en soi ça ne veut pas forcément dire que nous sommes plus proches de Dieu que les autres. Peut-être même qu’à cause de notre si grande connaissance de la Bible nous en sommes très souvent éloignés. Je m’explique.

Il y a des fois où une trop grande accumulation de savoir nous prive de l’essentiel. Et l’essentiel, c’est quoi ? Eh bien l’essentiel c’est la rencontre. Si nous regardons bien, la différence qu’il y a entre les mages et les scribes, c’est que les scribes ont beau posséder la connaissance la plus exacte, ils ne se mettent pas en chemin pour aller à la rencontre de l’enfant qui vient de naître. Ils ont le savoir, mais ils n’ont pas le désir de la rencontre. Ils ont la connaissance, mais ils n’ont pas la relation vivante.

Alors que pour les mages, c’est l’inverse : ils ont plus de questions que de réponses. Ils en savent beaucoup moins que les scribes, mais contrairement à eux ils sont animés d’un désir qui les pousse à se mettre en marche.

Et lorsqu’ils reçoivent la réponse à leur question, au lieu de s’en contenter ils partent sur le chemin de Bethléem. Et ainsi, l’essentiel, ce n’est pas d’accumuler des connaissances sur Dieu. L’essentiel c’est de partir à sa rencontre. L’essentiel c’est de nouer avec Dieu une relation vivante où l’on est animé par le désir de le rencontrer.

2. Cela m’amène à ma deuxième remarque. Je l’ai dit, l’essentiel ce n’est pas d’accumuler des connaissances comme les scribes, c’est d’être comme les mages animés par le désir de rencontrer Dieu.

Mais qu’est-ce que ça veut dire au juste « rencontrer Dieu » ? Comment peut-on être sûr de ne pas se tromper ? Comment peut-on reconnaître Dieu au moment où il se donne à rencontrer ? Vous l’avez vu, les mages ont suivi une étoile. Ils se sont fiés à un signe céleste, c’est-à-dire à quelque chose de grand, quelque chose qui renvoie une image de force et de puissance. D’ailleurs, leur premier mouvement a été de se rendre à la cour du roi Hérode, dans son palais. Et c’est bien logique : ne cherchaient-ils pas le roi des juifs ? Et où chercher un roi sinon dans un palais ?

Or, ce roi il n’était pas au palais. Il fallait le chercher ailleurs. Il fallait se déplacer. Bien sûr dans le texte il s’agit d’un déplacement géographique : quitter Jérusalem pour Bethléem. Mais en réalité il s’agit d’un autre genre de déplacement. Il s’agit de se déplacer intérieurement.

Il s’agit de regarder les choses avec un autre regard. Et ainsi, peu à peu, les mages vont se rendre compte que l’endroit où il faut chercher le roi des juifs n’est pas celui auquel ils avaient d’abord pensé.

Ils avaient d’abord pensé à un palais avec son faste et sa débauche de pouvoirs, et les voilà peu à peu conduits sur un autre chemin, un chemin qui les mène dans un petit village, dans une petite maison, une maison ordinaire à laquelle on ne prêterait d’habitude aucune attention. L’étoile qui les guide s’est arrêtée au-dessus d’une maison quelconque habitée par des gens qui n’ont aucune influence politique, aucune richesse économique, aucune importance sociale ou religieuse.

Et pourtant, dès que les mages entrent dans cette maison et voient le petit enfant avec sa mère, ils se prosternent et lui offrent leurs trésors. Or, si l’on s’en tient au texte, il ne s’est rien passé d’extraordinaire : il n’y a pas eu de cohortes d’anges descendant des nues sur une musique céleste, pas de feu d’artifice, pas de son et lumières. Rien qu’un enfant et sa mère dans une maison ordinaire, la nuit.

Et c’est pourtant cet enfant là que les mages reconnaissent comme roi des juifs. C’est devant cet enfant sans pouvoir et sans richesse qu’ils plient le genou.
C’est devant cet enfant sans pouvoir et sans richesse qu’ils déposent leurs trésors qui sont autant de signes de pouvoir et de richesse (de l’or, de l’encens et de la myrrhe).

Cela me fait penser à une parole de Paul :

« Car vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, qui pour vous s’est fait pauvre, de riche qu’il était, afin que vous soyez enrichis par sa pauvreté ». 2 Co 8, 9

Je demandais tout à l’heure comment on pouvait reconnaître Dieu quand il se donne à rencontrer. Voici la réponse de l’Évangile : Reconnaître Dieu c’est le reconnaître dans son humanité. Reconnaître sa richesse c’est le reconnaître dans sa pauvreté. Reconnaître son pouvoir c’est le reconnaître dans sa non-puissance.

3. Cela m’amène à ma troisième et dernière remarque. Dans la personne de Jésus, nous rencontrons un Dieu différent de tout ce que nous appelons habituellement « Dieu ».

Nous cherchons Dieu dans les hauteurs, et voici qu’il nous dit : « Cherchez moi ailleurs ! ». Cherchez moi en bas, tout en bas. Cherchez moi là où vous n’auriez jamais pensé me trouver. Cherchez moi dans un être humain ordinaire. Cherchez moi dans ce qui est petit et non dans ce qui est grand.

Et ainsi à Noël nous sommes déjà dans la logique de Pâques : à Pâques il s’agit de reconnaître le Ressuscité dans la figure du Crucifié. A Noël il s’agit de reconnaître le roi des juifs, le messie d’Israël et le Dieu tout-puissant dans un enfant ordinaire vivant dans une petite maison dans un petit village perdu au bout de la nuit. D’ailleurs, vous le savez peut-être, parmi les cadeaux que les mages déposent devant l’enfant (de l’or, de l’encens et de la myrrhe), il y en a un qui a une signification spéciale : la myrrhe.

La myrrhe c’est un aromate qu’on utilisait pour embaumer les morts. C’est une façon de dire que la Croix est déjà présente, elle se profile à l’horizon. Mais ne nous trompons pas sur le sens de la Croix !
Il ne s’agit pas de valoriser la souffrance ni de nourrir une fascination pour la mort. Il s’agit de dire deux choses essentielles :
– premièrement, en s’incarnant, Dieu choisit de partager notre condition humaine jusqu’au bout, depuis la naissance jusqu’à la mort. Par amour, Dieu devient à tel point l’un d’entre nous qu’il accepte même de passer par l’épreuve de la mort. De cette manière, il se rend solidaire de toute notre existence, et pas seulement des bons moments. C’est une pensée qu’il nous faut avoir à l’esprit lorsque nous subissons la souffrance, la maladie ou le deuil :

Dieu est avec nous jusque-là, parce qu’en Christ il est venu partager toutes nos épreuves et toutes nos douleurs. Il est vraiment « Emmanuel », « Dieu-avec-nous », y compris dans tout ce que nous pouvons vivre de terrible.

Cela ne nous donne pas de remède miracle, mais cela nous assure d’une présence aimante et bienveillante à nos côtés, même au comble du déchirement et de la solitude.

– deuxièmement, et ce sera ma conclusion, la Croix nous offre ce que j’appellerai un potentiel de déplacement. Elle nous invite à nous déplacer dans notre recherche de Dieu. Elle nous invite à déplacer notre regard, pour que nous arrêtions de perdre notre temps à chercher Dieu dans ce qui est grand et fort, dans ce qui est extraordinaire et fantastique.

Dieu n’est pas là où nous avons l’habitude de le mettre. Dieu est ailleurs. Il est là où nous ne penserions pas spontanément à le chercher. Il peut venir nous rejoindre sur notre chemin à n’importe quel moment et sous la forme la plus inattendue.

Dans une rencontre ordinaire avec quelqu’un d’ordinaire, il peut malgré tout et pour notre plus grande joie se passer quelque chose d’extraordinaire. Quelque chose qui nous déplace, qui nous déloge de nos illusions, qui nous oblige à sortir des prisons qui nous enferment, que ce soient la prison de la peur et du désespoir ou au contraire la prison de la connaissance orgueilleuse et du savoir stérile.

Frères et sœurs, en ce deuxième dimanche après Noël, jour de l’Epiphanie, Que le Christ nous aide à nous déplacer sur le chemin où nous le cherchons. Qu’il ouvre notre regard, de manière à ce que nous puissions le reconnaître et le recevoir dans sa vérité.

Qu’il vienne rencontrer nos vies pour nous permettre de rentrer chez nous comme les mages : par un autre chemin. Amen !

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