C’est l’Esprit de Dieu qui donne la vie ; l’être humain, par ses propres forces, ne peut le faire. Les paroles que je vous ai dites sont Esprit et vie. Mais il y en a parmi vous qui ne croient pas. » En effet, Jésus savait depuis le commencement qui étaient ceux qui ne croyaient pas et qui était celui qui le livrerait. Il ajouta : « Voilà pourquoi je vous ai dit que personne ne peut venir à moi si le Père ne lui en a pas donné la possibilité. »
Dès lors, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner. Jésus demanda alors aux douze disciples : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Simon Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles qui donnent la vie éternelle. Nous croyons et nous savons que toi tu es celui qui est saint, envoyé par Dieu ! » Jésus leur répondit : « Ne vous ai-je pas choisis, vous les douze ? Et pourtant l’un de vous est un diable ! » Il parlait de Judas, fils de Simon l’Iscariote. Car Judas, bien qu’il fût l’un des douze disciples, allait le livrer. Jean 6, 63-69.
Frères et sœurs, quel beau morceau d’Evangile nous avons ce matin. Quel beau morceau d’Evangile pour célébrer dignement le 508ème anniversaire de ce jour où un moine augustinien, docteur en théologie aurait affiché sur les portes de l’église de Wittenberg 95 thèses pour discuter de la vertu réelle des indulgences.
Moment historique qui a changé la face du monde et qui a ouvert un chemin nouveau pour l’Eglise chrétienne. Non Martin Luther n’était pas le premier des réformateurs, certains ont essayés avant lui et des étincelles de ce qui a donné Luther était présentes chez d’autres, Waldo, Eckhart, Hus. Mais avec Martin Luther le moment était venu, l’évènement historique trouvait son « kayros », son moment opportun pour trouver la résonnance sociétale qu’il fallait au monde. Et l’essence de cette réforme quelle était elle ? Il serait injuste de dire que la théologie chrétienne, la proclamation de l’Evangile, n’avait pas encore trouvé sa maturité au XVIe siècle. Cela faisait déjà un millénaire et demi que Jésus avait été pensé, repensé, éprouvé. La théologie et les grandes questions qu’elles posaient, existentielles, culturelles, scientifiques avaient donné naissance à des millions de pages parmi les plus brillantes que n’ait jamais connu l’histoire de l’humanité. Alors que manquait-il ?
Luther n’est pas venu rajouter des ouvrages intellectuels géniaux à ceux déjà inventés par la patristique et la scolastique. Il est venu apporter ce que l’on pourrait qualifier de « rénovation ». Il ne jette rien de ce qui a été fait à la poubelle, comme on pourrait dès fois le penser en le lisant tant il prêchait avec verve, mais il vient réduire la prédication chrétienne à des facteurs essentiels. L’Eglise s’était perdue dans des considérations intellectuelles et culturelles qui étaient parfois venue remplacer ce qui, pour le réformateur, était considéré comme le poumon spirituel de l’expérience chrétienne : le vis-à-vis du croyant avec Jésus-Christ, vrai Dieu, vrai homme venu donner Dieu à connaître à nos âmes pour notre libération, notre salut. Voilà la vérité chrétienne première que Luther est venu rehausser dans la situation d’une Eglise occidentale qui était parfois devenue une instance pesante, un fardeau sur les épaules des fidèles.
Avec Luther rien de nouveau sous le soleil mais le couronnement de ce qui est alors désigné comme le centre de ce qui deviendra la foi protestante : « La Parole de Dieu et la foi ».
De la Parole de Dieu et de la foi dépendent la rencontre avec le Dieu crucifié et ressuscité.
De la Parole de Dieu et de la foi dépendent l’œuvre du salut. De la Parole de Dieu et de la foi dépendent toute la mission de l’Eglise.
Voilà la vérité première et ultime qui était réaffirmée avec le docteur Martin Luther, tout le reste dans les domaines doctrinaux et ecclésiaux devaient être inféodés et découlant naturellement de cette vérité. Alors, dans quel passage de l’Ecriture cela pouvait être trouvé ?
Je disais que cette conviction théologique était relationnelle, elle était existentielle. Reprenons l’évangile de ce jour, dans Jean cette confession de foi de Pierre : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles qui donnent la vie éternelle. Nous croyons et nous savons que toi tu es celui qui est saint, envoyé par Dieu ! » Voici au cœur de cet Evangile, le mouvement essentiel de l’Eglise comme la réformation l’a voulu. Le disciple croit, il confesse sa foi, il témoigne de la confiance qu’il place en Jésus-Christ en réponse à la parole qui lui a été enseigné. Il n’y a rien de plus et surtout rien de moins. Ça c’est le cœur. Et la doctrine fondamentale qui articulait cette mission première de l’Eglise est aussi présente en ce début d’Evangile : « C’est l’Esprit de Dieu qui donne la vie ; l’être humain, par ses propres forces, ne peut le faire. Les paroles que je vous ai dites sont Esprit et vie. » et plus loin : « Voilà pourquoi je vous ai dit que personne ne peut venir à moi si le Père ne lui en a pas donné la possibilité. »
L’homme, disait Luther ne peut acquérir son salut par ses propres forces. Voici la conviction qui anime toute la doctrine de la foi protestante. C’est Dieu qui donne force et vie pour suivre le chemin qu’a tracé le Christ au cours de son pèlerinage terrestre. Et cela par grâce seule. Les Eglises se réclamant de la réforme ne peuvent se déclarer comme l’élite de la chrétienté parce que leur foi et leur appartenance ne tient pas à eux mais à la seule grâce de Dieu. Et elle est là l’articulation vitale que nous trouvons dans notre évangile et qui est le système spirituel essentiel qui a donné vie à la Réforme : « Enseigné par ta Parole nous croyons en toi, nous mettons en toi toute notre confiance et nous acceptons le salut que tu nous offre, non pas par nos actions mais par l’Espérance que nous mettons en toi seul. »
Ce qui est tout aussi fondamental, c’est la dimension de liberté qui est déjà au cœur de notre Evangile, nous lisons qu’après que Jésus ait rendu témoignage de la grâce de Dieu, un certain nombre de disciples s’en retournèrent et cessèrent tout simplement de l’accompagner. C’est tout à fait fascinant et nos institutions pourraient s’inspirer de ce mouvement. Ici aucun constat d’échec, aucune culpabilisation et aucune condamnation, rien qu’une souveraine liberté. De nombreux théologiens auraient tôt fait, et peut être nous aussi au fond de nous, de commenter ce passage en disant : cela prouve que dans le choix souverain du Dieu tout puissant, les sauvés ont été choisi et les réprouvés aussi. Je ne suis pas de cette école théologique et préfère voir dans cet épisode qu’une fois que la grâce est prêchée l’engagement à la suite de Jésus est et doit être libre et consenti. Plus rien de contractuel n’attache plus notre Seigneur et ceux qui le suivaient peut-être par habitude ou pour autre chose dont seul Dieu connaît la raison. Voici donc un autre élément, au cœur de ce mouvement de la réforme : il y a cette liberté souveraine de répondre à la Parole prêchée par la manière dont notre cœur le décide dans la prière. La grâce est don, elle n’est ni condition, ni salaire, ni récompense à quoi que ce soit. Elle est simplement donnée et communiquée par les Paroles de vie, celles qui sont portées par l’Esprit de Dieu dont nous parle Jésus.
Ce mouvement de la réforme, mon frère, ma sœur, part du spirituel et revient au spirituel. Il vient d’une intuition théologique et d’une prière. Il ne s’explique que par la prière qui comprend dans la méditation le vis-à-vis libre de l’âme et de son Dieu. Un protestantisme seulement identitaire, une réforme de façade ne tiendra pas longtemps et n’aurait pu essaimer et mener à ce que nous sommes aujourd’hui. Nous ne pouvons réduire et faire l’économie de ce mouvement spirituel car il est le cœur de la réforme. C’est dans l’introspection que nous touchons la grâce et que nous expérimentons la liberté en Jésus-Christ. Mêler à cette expérience du contractuel et du méritoire reviendrait à vouloir conditionner ce qui est inconditionnel, l’amour du créateur et c’était le sujet même des 95 thèses du réformateur de Wittenberg.
Alors qu’en faisons-nous de cette réforme ? Que faisons-nous de ce demi millénaire ? En tant qu’Eglise du Christ, chrétiens de confession protestante, nous sommes gardiens d’un trésor si grand pour le monde que nous avons de la peine à le partager et à le communiquer. Et à vouloir témoigner, nous balbutions parfois comme les témoins d’un évènement merveilleux qui ne trouvent les mots pour dire ce dont ils ont été le témoin. Ou bien, bercé toute notre vie par ce message nous avons oublié à quel point il était vital et pour nous et pour notre monde que nous ne le trouvons plus si merveilleux que ça, ou d’un éclat un peu terni. Elle serait peut-être là notre réformation. Accepter pour soi ce cœur battant de la foi chrétienne : le vis-à-vis de notre âme avec notre Seigneur et notre espérance que nous lui confions en ayant en tête que cela ne se fait que parce qu’il l’a décidé dans sa souveraine liberté et que nous à son image nous profitons de cette liberté donnée. Qu’aucune puissance sur la terre ne pourra rien y faire et que c’est à Dieu seul que nous devons cette foi. Oui croyez-moi, mon frère ma sœur, notre monde aurait besoin de s’entendre dire des mots de grâce, de liberté et d’espérance. Ces convictions profondes qui doivent être professées, qui doivent être prêchées et dont, avec l’aide de Dieu, nous sommes appelés à être les témoins aujourd’hui encore. Nous sommes peut-être désormais matures vis-à-vis du message de la Réformation, mais nous ne sommes hélas pas encore matures pour en rendre compte au monde, à notre société. Persévérons sur ce chemin.
Je disais que cette réforme part du spirituel pour revenir au spirituel, je termine cette prédication par les mots du docteur Luther qui termine ainsi son discours sur la liberté du Chrétien :
« De tout cela suit cette conclusion qu’un chrétien ne vit pas en lui-même, mais dans le Christ et dans son prochain, dans le Christ par la foi, dans son  prochain par l’amour : par la foi il s’élève au-dessus de lui-même en Dieu, de Dieu il redescend en-dessous de lui-même par l’amour, et demeure cependant toujours en Dieu et en l’amour divin. Vois, telle est la véritable liberté chrétienne, la spirituelle, qui libère le cœur de tout péché, loi et commandement et qui dépasse toute autre liberté comme le Ciel dépasse la Terre. Que Dieu nous donne de bien la comprendre et la conserver, Amen. »
« Luther et Hus donnant la communion » 
cercle de Cranach



                    
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