Une halte bienfaisante

 

Frères et sœurs,
Quel regard portons-nous sur Jésus ?
La question est posée à chaque nouvelle génération, comme Jésus la posait naguère à ses disciples : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » (Mc 8, 27-32)

Quelle est la véritable identité de cet homme au nom de qui nous nous rassemblons dimanche après dimanche ? Comment regarder Jésus ?

Jésus sur la montagne

Le texte de l’évangile proposé à notre réflexion en ce deuxième dimanche de Carême est le récit de la transfiguration.

Evangile de Marc, chapitre 9, versets 2 à 10

Le choix de ce texte et sa place dans le récit de l’évangile nous aident à cheminer vers la mort et la passion du Christ. Le récit de la transfiguration se situe à un tournant dans l’évangile, juste après la confession de foi de Pierre.

Alors que Jésus interroge ses disciples sur le regard porté par les foules sur sa propre personne, mais aussi par les disciples eux-mêmes, Pierre proclame pour la première fois : Toi, tu es le Christ.
Aussitôt après, Jésus annonce à ses disciples pour la première fois qu’il lui faut aller à Jérusalem, souffrir beaucoup, être tué et se réveiller (ressusciter) le troisième jour.

Avant d’emprunter le chemin qui mène à Jérusalem, Jésus se retire avec ses les siens sur une haute montagne. Jésus cherche à nouveau le silence et la solitude pour prier.

Là sur la montagne, les disciples voient Jésus transfiguré, métamorphisé, nous dit littéralement le texte grec. Comme souvent dans la Bible, la montagne devient un lieu de révélation.

Tout comme le récit du baptême de Jésus introduit et prépare son ministère d’enseignement et de guérison, le récit de la transfiguration introduit et prépare sa passion et sa mort.

Dans les deux récits, une voix venant du ciel se fait entendre.

Ici, dans ce récit de la transfiguration, cette voix répète à l’intention des disciples la parole adressée personnellement à Jésus au moment de son baptême : Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Puis la voix céleste ajoute cette injonction : Écoutez-le !

Un changement de regard

On dit parfois que ce récit de la transfiguration est le récit de l’apparition du Christ ressuscité transposée à cet endroit pour servir de signe :

 

Il fut transfiguré devant eux : ses vêtements devinrent resplendissants, d’une blancheur telle qu’il n’est pas de teinturier sur terre qui puisse blanchir ainsi.

C’est surtout la résurrection qui a balayé les doutes profonds provoqués par la mort de Jésus.

Marc et Matthieu parlent de métamorphose pour décrire ce que l’on appelle la transfiguration de Jésus. Luc, connaissant bien la mentalité de ses lecteurs hellénistes, se méfie de ce terme qui peut prêter à confusion.

Jésus n’est pas un magicien ou un dieu grec, capable de changer de forme, comme si son humanité n’était qu’une simple apparence.

Luc nous dit simplement que l’aspect de son visage changea. Pour Luc, comme d’ailleurs pour Matthieu et Marc, ce n’est pas l’identité de Jésus qui change, mais son apparence extérieure.

Ce n’est pas un changement d’être, mais un changement dans le regard des autres, le regard de ses plus proches disciples, et, par la même occasion, le regard du lecteur de l’évangile.

Cet événement vient à un moment clé de l’évangile, un moment où le regard que les disciples et le lecteur portent sur Jésus commence à être clarifié.

La foule voyait Jésus surtout comme un faiseur de miracles, peut-être un des prophètes revenus à la vie. Pierre dit pour la première fois que Jésus est le Christ, l’envoyé de Dieu tant attendu par le peuple juif. Son regard sur Jésus commence à évoluer. Mais la suite des événements montre qu’il ne sait pas encore ce qu’il dit.
Une fois que l’on a dit que Jésus est le Messie, le Christ, qu’est-ce que l’on a dit ? Quel genre de messie sera-t-il ?
Un messie triomphant, faiseur de miracles ?
Un messie guerrier, révolutionnaire, capable de chasser l’occupant romain ?

C’est à ce moment précis de l’évangile que Jésus commence à dévoiler son véritable visage, celui du serviteur souffrant.

Peu de temps après être descendu de cette montagne, Jésus annoncera à nouveau sa mort et sa résurrection.

Jésus choisit un autre chemin de gloire que celui proposé par le monde. Il résiste à la tentation de prendre le pouvoir pour lui-même, de croire à sa propre toute-puissance.

Pour découvrir la vraie vie, il faut affronter et assumer la souffrance et la mortalité humaine.

Jésus nous invite à changer notre regard non seulement sur lui, mais aussi, et surtout, sur nous-mêmes.

Jésus nous invite à sortir de notre suffisance humaine pour reconnaître que la vraie vie est toujours un don.

 

Invitation à un autre regard

Ce regard que Jésus a sur lui-même et sur les autres, ce regard auquel il invite ses disciples et chacun de nous, va à contre-courant du monde ambiant.

Où Jésus puise-t-il la force pour accomplir son destin singulier ?

Ne croyons pas qu’il l’ait fait allégrement, sans un travail profond sur lui-même. L’évangile témoigne du fait que Jésus sentait souvent la nécessité de se retirer dans le silence et la solitude (« à l’écart »), comme dans ce récit que nous méditons.

Ce récit apporte une réponse à la question de savoir où Jésus puisait la force pour accomplir sa vocation : il s’entretient avec Moïse et Élie.

Jésus puise dans la tradition religieuse de son peuple, dans la loi et les prophètes ; il y puise la vision et le courage d’aller jusqu’au bout de sa mission.

Moïse est appelé par Dieu pour sortir le peuple hébreu de l’esclavage en Égypte.

Pour que ce peuple, une fois libéré, ne redevienne pas esclave, Moïse monte sur une montagne.

Sur la montagne Dieu lui donne la torah, des paroles et des commandements qui montrent au peuple la direction à suivre pour rester libre et vivre heureux.

Pendant 40 ans dans le désert, Moïse va lutter avec ce peuple, un peuple rebelle, à la nuque raide, afin de le convaincre de suivre le chemin tracé par Dieu.

Élie est prophète en Israël après le schisme entre le royaume du nord et le royaume de Juda au sud. Élie aussi doit lutter avec son peuple, surtout avec le roi Achab.

Achab avec son épouse phénicienne, Jézabel, instaure le culte païen en Israël et laisse régner l’injustice.

Selon la tradition juive, Moïse et Élie ne sont pas morts. Ils ont été transportés directement au ciel. Jésus lui, doit subir la mort, mais ressuscitera…

Cet entretien sur la montagne inscrit ainsi la mission de Jésus dans la continuité de la lutte contre l’idolâtrie, dans la continuité de Moïse et d’Élie, de la loi et des prophètes.

La vie de Jésus s’enracine dans la Bible hébraïque ; ce sont les Écritures qui permettent à Jésus de résister, de voir clairement de quel côté est la vie, même si cela l’oblige à affronter la mort en face.

Ainsi ce récit de la transfiguration nous invite à un autre regard, un autre regard sur Jésus, un autre regard sur nous-mêmes. Jésus est présenté ici comme celui qui confirme et accomplit la révélation faite à Israël. Comme pour les premiers chrétiens, notre lecture du premier testament nous prépare à écouter et à comprendre la voix du Fils.

C’est à la lecture des Écritures que notre regard sur Jésus, sur le monde et sur nous-même peut être transformé.

Notre vie trouve son sens dans cette rencontre que nous devons renouveler chaque semaine, chaque jour, en lisant les textes de la Bible, en écoutant la voix du Fils…

Mais cette rencontre n’est pas un but en soi. Pierre rêve de prolonger cette expérience, de s’installer sur la montagne avec Jésus, Moïse et Élie. La voix venant du ciel vient couper sa rêverie. Ce qui importe, c’est d’écouter le Fils.
Et (dans la version de Matthieu), que dit Jésus à Pierre et aux autres disciples : « Levez-vous, n’ayez pas peur ! » (Mt 17, 7)

Le but de ce récit, comme de notre culte hebdomadaire et de notre lecture quotidienne de la Bible, est de nous remettre debout et nous donner le courage d’affronter un monde hostile.

En bref, de changer notre regard sur nous-même et le monde.

Conclusion
La descente de la montagne

Nous avons sans cesse besoin de cette vision du Christ transfiguré afin de changer le regard que nous portons sur nous-mêmes.

Nous avons sans cesse besoin de cette vision-là, pour changer notre regard sur le monde qui nous entoure, afin d’affronter toutes les situations, trop souvent dramatiques, de notre existence.

Au pied de la montagne, Jésus doit affronter le démon, un démon qui tourmente un jeune homme et que ses disciples n’ont pas su chasser.

Jésus reproche à ses disciples leur manque de foi.

Jésus dit son exaspération devant une Église qui n’est pas suffisamment enracinée dans la parole des Écritures, pour pouvoir affronter ce genre de situation.

Juste après cet épisode, Jésus indique à nouveau à ses disciples quel est le chemin qu’il doit suivre pour chasser les démons de ce monde : le Fils de l’homme doit être livré, mis à mort, puis ressuscité.

Mais pour ses disciples, comme sans doute souvent pour nous, cette parole reste voilée ; ils ne peuvent pas ou ne veulent pas en saisir le sens, et ils craignent d’interroger Jésus.

Quel regard portons-nous sur Jésus ?

Quel est pour nous sa véritable identité et quelles conséquences en tirons-nous pour nous-mêmes et pour la vie de notre Église ?

Méditons quelques minutes sur ces questions, conduits par un temps musical.
Amen !

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