Un seul est votre Père, celui qui est dans les cieux

Entendre ce discours de Jésus, nous met mal à l’aise.

En premier lieu parce qu’il est assez violent.

Si nous sommes interpellés tout au long de cet enseignement de Jésus par plusieurs impératifs, est-ce que nous nous sentons néanmoins concernés par ces interpellations ?

Est-ce bien à nous que ces paroles s’adressent ?

Nous avons envie de les laisser dormir tranquillement dans leur contexte historique, celui des premières communautés chrétiennes qui se séparent du judaïsme. Celui aussi des persécutions romaines qui touchent aussi bien le judaïsme que les chrétiens.

Oui nous avons envie de les laisser dormir parce que leur réveil et les actualisations qui en ont découlé, ont souvent été malheureux.

Elles portent le poids d’un dur passé d’interprétations qui ont conduit à l’antijudaïsme et qui ont nourri les débats au sein des Églises chrétiennes ou dans les relations entre Église et État.

Frères et sœurs, essayons quand même d’entrer ce matin dans ce discours, en gardant justement à l’esprit tous les conflits qui sont nés dans l’Église quand il est question d’autorité. (Le Christ, fils de David ? Seigneur ?)

Ce discours s’adresse aux foules en même temps qu’aux disciples (v. 1).

Le passage que nous avons lu se termine par une sentence quasiment proverbiale : « quiconque s’élèvera sera abaissé et qui s’abaissera sera élevé (v.12).

Autrement dit tout le monde peut l’entendre, devrait pouvoir l’entendre.

Ici quand Jésus dit « vous », il s’adresse à chacun/chacune individuellement.

 

Frères et sœurs,
Entrons d’abord dans ce discours comme si Jésus n’adressait ses paroles qu’à nous personnellement.

Et pour cela, partons de ces interpellations :

« Pour vous, ne vous faites pas appeler maître car vous n’avez qu’un seul maître et vous êtes tous frères. N’appelez personne sur la terre votre père, car vous n’en avez qu’un seul, le Père céleste. Ne vous faites pas non plus appeler chef (guide, directeur) car vous n’avez qu’un seul chef le Christ. »

Vous comprenez bien que ces trois impératifs ne résonnent pas de la même manière aux oreilles de Luther, des anabaptistes, des Camisards, aux membres de l’Église confessante d’Allemagne sous le régime nazi, à nos oreilles, aux oreilles de nos frères catholiques.

Et pourtant…

Et pourtant, nous sommes tous frères, quelle que soit l’Église à laquelle nous appartenons, quelle que soit l’époque à laquelle nous vivons.

On peut bien se traiter de tous les noms d’oiseaux, d’hérétiques, suppôts du diable, antéchrist…nous sommes frères.

Nous n’avons qu’un seul maître même si nous avons des docteurs, enseignants, pasteurs, théologiens différents.

Nous n’avons qu’un seul Père, même si certains se font appeler père…

Nous n’avons qu’un seul chef, même si certains, certaines se disent chef.

Dans l’Église nous sommes tous frères parce que cela nous est donné en Jésus Christ.

Tous les titres qui peuvent être portés dans les différentes Églises sont des titres humains.

Si nous avons des difficultés à dire « très saint père » en parlant au pape, ou « mon père » à un religieux, nous devons avoir les mêmes difficultés à dire « votre majesté » à un roi ou une reine, « votre honneur » à un lord, ou « vénérable » au Dalaï Lama, à moins que nous disions « vénérable » à toute personne d’un certain âge…

Oui, c’est bien au regard des hommes et des femmes que nous portons des titres.

Dans les Églises protestantes, il n’y a pas de titres, juste des noms qui désignent les ministères : membre du conseil presbytéral, pasteur, professeur, prédicateur laïque, catéchète ou plutôt encore monitrice(teur) d’école biblique, visiteurs, et bien d’autres car tous les ministères ne sont pas reconnus, pas nommés.

Mais cela ne veut pas dire que nous soyons indifférents au regard que les autres portent sur nous.

Qui n’aime pas être reconnu, félicité ou simplement remercié quand il fait quelque chose pour la communauté ?

Car le risque dans une société ou dans une communauté sans hiérarchie instituée c’est de remplacer le désir d’être honoré, respecté, haut placé dans la hiérarchie, par le désir d’être aimé pour être aimé.

Mais inversement, nous sommes aussi dans cette foule, des personnes, des individus qui nous choisissons des maîtres, des pères, des guides.

Nous aimons être admirés mais nous aimons aussi admirer. Par facilité ou par lâcheté nous nous laissons guider par celles et ceux qui ont de l’autorité.

Et bien souvent nous laissons des personnes plus compétentes que nous lire la Bible pour nous, prier pour nous, agir à notre place.

 

Vous l’entendez sans doute à présent avec plus d’acuité et de précision : les paroles de Jésus s’adressent bien à tous et à toutes, individuellement. Elles nous obligent à réfléchir au regard que nous portons sur les autres et à nous demander sous quel regard nous vivons.

 

Un seul maître, un seul Père, un seul chef : cela est d’abord valable pour chacun/chacune. Cela s’adresse d’abord à l’individu, à la personne avant de s’adresser à la communauté.

Chacun doit comprendre sa place devant Dieu en Jésus Christ. Chacun doit être assuré de l’amour de Dieu, Père. Chacun doit avoir Christ pour guide dans sa vie.

Ce n’est que dans la mesure où chacun est fermement assuré de cela que la communauté peut être fraternelle.

 

Reprenons ces trois points.

 

Avoir un seul maître : Jésus.

Les rabbis, les maîtres sont ceux qui ont la compétence reconnue pour enseigner et interpréter la Loi, la Torah.

Quand Matthieu écrit son évangile, ils sont les seuls représentants du judaïsme, le temple ayant été détruit et les prêtres de ce fait déchus. La Loi est ici désignée par « Moïse ». L’objet est désigné par le médiateur, la personne autorisée qui a reçu de Dieu ces paroles.

La loi ne se réduit donc pas à des prescriptions légales mais représente bien l’ensemble du Pentateuque (les 5 premiers livres de la Bible), c’est-à-dire l’ensemble des récits de l’alliance entre Dieu et son peuple.

La Loi est le chemin de vie offert par Dieu, ouvert par la libération d’Égypte et tendu vers la promesse du don de la terre.

Mais ce chemin de vie est transformé en une route pénible par les maîtres auxquels Jésus fait allusion. Et le premier de ces maîtres, c’est bien moi-même.

Le chemin de vie devient pour moi une route à péage sur laquelle je m’engage lourdement chargé de contraintes et d’obligations.

Je veux être à la hauteur, faire bonne figure devant celles et ceux qui voyagent avec moi. Je marche sous le regard des autres et j’oublie que je suis sous le regard de Dieu. Ou plutôt ensemble nous imaginons que Dieu nous regarde comme le font les humains, comme un surveillant.

Jésus est venu nous faire redécouvrir le chemin de vie quand il dit :

« venez à moi vous tous qui peinez sous le poids du fardeau et moi je vous donnerai le repos. Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école car je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le repos de vos âmes. Oui mon joug est facile à porter et mon fardeau léger. » (Mt 11,28-30)

Jésus nous fait découvrir le regard de Dieu sur nous, le regard d’un Père sur ses enfants. Jésus nous rappelle que le point de départ de ce chemin est la libération, le pardon donné gratuitement.

Jésus n’est pas un maître donnant des devoirs, obligeant ses élèves à la compétition. Il est celui qui dit à chacun chacune d’entre nous que Dieu nous aime tels que nous sommes.

Alors sur ce chemin, je marche avec des frères que je dois soutenir et non pas charger de contraintes inutiles, à qui je dois pardonner, puisque je suis pardonné.

Et réciproquement, je ne suis pas seul sur ce chemin à décider de ma conduite.

D’autres sont là pour me soutenir et me rappeler la force du pardon.

 

Vous avez un seul Père, le Père céleste.

Nous savons bien que nous avons plusieurs pères, un père biologique, des pères d’adoption, des pères spirituels. Mais justement cette multiplication des pères ne doit pas être là pour masquer le refus du père.

Car ce que nous demande Jésus ici c’est d’accepter d’avoir un Père, d’être un enfant, c’est-à-dire une personne qui dépend à l’origine d’un autre, dans une relation tout à fait particulière parce qu’asymétrique. On ne choisit pas son père. C’est lui qui vous nomme, qui vous adopte.

Ainsi n’avoir qu’un seul Père, le Père céleste, c’est renoncer à choisir son origine, sa dépendance, c’est se laisser adopter par Dieu sans l’avoir mérité. Et de ce fait regarder mon vis-à-vis, les autres qui cheminent avec moi comme des enfants adoptés, mes frères, n’ayant ni plus ni moins de mérites que moi, des frères que je n’ai pas choisis mais qui me sont donnés.

 

Vous avez un seul guide : le Christ.

Un seul guide : je ne dois pas me laisser entraîner par tous les guides combien nombreux qui se proposent à moi. Je suis libre et responsable de mes choix. Je suis libre : il n’y a que moi qui puisse accorder ma confiance à ce guide.

Je suis responsable : je ne peux pas dire que je pense et j’agis parce qu’on m’a demandé de faire comme ça et que j’obéis.

 

Ce seul guide qui est le Christ ne peut pas m’être imposé ni par la tradition, ni par l’habitude, ni par la peur. La foi est une décision personnelle. Mais Jésus nous dit aussi d’avoir un guide. Je ne suis pas sans guide, je ne suis pas mon propre guide.

Si la décision de choix est personnelle, par contre il faut bien avoir entendu parler de ce guide. D’autres font aussi confiance à ce guide : nous sommes solidaires, comme dans une cordée.

Ma liberté ne prend sens que lorsque je suis face à l’autre, aux autres. Nous suivons ensemble le même guide et c’est ensemble que nous devons déterminer si nous le suivons ou si nous avons coupé la corde et nous nous égarons. Nous sommes coresponsables et nous devons assumer les erreurs et les faiblesses de cette communauté fraternelle.

Cette communauté, donnée et non pas construite par nous, a un seul maître, un seul Père, un seul guide.

Cette communauté fraternelle n’est pas une communauté idéale ni rêvée. C’est bien la communauté chrétienne avec toutes ses divisions et ses imperfections.

Alors entendons ces interpellations comme destinées à chaque église ou communauté chrétienne. Comprenons que nous n’avons qu’un seul maître, un seul Père, un seul guide, et que cela n’est pas incompatible avec nos différences.

Dans ce cas notre responsabilité à l’intérieur de chaque Église (pour nous EPUdF) et à l’égard des autres Églises, est celle du service mutuel, puisque nous servons le même maître qui s’est abaissé jusqu’à nous. (exemple : le synode régional commun qui s’ouvre vendredi soir entre luthériens et réformés en région parisienne)

Et l’unité sera trouvée là, dans l’équilibre du service commun, quand chaque Église aura renoncé à s’élever (exemple : le service domiciliation administrative proposée par DIESE et qui cherche des bénévoles de tous bords).

Jésus-Christ est le serviteur de tous, il désigne notre origine qui est cachée avec tendresse entre les mains de notre Père céleste. Par le baptême de sa grâce, nous recevons de lui un nom que nul ne connaît, sinon lui seul.

Notre origine d’enfant de Dieu est à recevoir dans la foi ; elle est dans la Parole.

Amen !

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