Un semeur sortit pour semer

C’est toujours avec beaucoup de précaution et beaucoup d’humilité qu’il faut aborder les paraboles ; elles paraissent, en effet, à la lecture, faciles à déchiffrer, car elles parlent par allégories, par images très concrètes et leur pédagogie semble à la fois efficace et simple. La parabole du semeur n’échappe pas à la règle. « Un semeur sortit pour semer ». Cette première phrase du chap. 13 de l’évangile de Matthieu est simple et plante le décor de l’histoire qui nous est racontée ; celle-ci en apparence limpide fera l’objet de notre premier commentaire qui en comportera trois.

 

« Un semeur sortit pour semer ». Cette première phrase, banale à l’excès, qui se trouve aussi dans les évangiles de Marc et de Luc qui rapportent le récit nous est envoyée de manière directe, abrupte. L’image est forte. Le Seigneur, comme le semeur (car bien entendu vous avez reconnu le Seigneur) est là, seul, avant toutes choses. Il surgit sans justification, sans explication ; il semble être là de toute éternité, dans le temps comme dans l’espace. Et toute explication paraitrait superflue : il est là dans toute sa plénitude, donc dans toute sa puissance. Il est ainsi présent, même quand nous l’ignorons… Nous le savons certes depuis l’Ancien Testament, mais, pourtant, nous ne savons pas toujours explicitement que Dieu est tout puissant. Où plutôt, cette puissance nous gêne, en particulier à notre époque, surtout dans notre monde occidental où nous nageons à la charnière d’un monde ancien qui partirait en quenouille et d’un monde nouveau qui mettrait du temps à éclore…

Cet « entre-deux » nous donne parfois un prétexte supplémentaire pour essayer de « marchander » avec Dieu beaucoup de nos désirs avec toute la subtilité dont nous sommes tous capables !

Il est inutile de  décrire les marchandages possibles. Disons seulement que souvent, ces marchandages, nos faiblesses, se cachent en dernier ressort derrière le paravent des envies de toutes sortes. C’est l’éternel « pourquoi lui, et pas moi » qui si nous ne prenons pas garde se transformera en haine.

C’est pourquoi, chères sœurs, chers frères, le fait de reconnaitre la souveraineté de Dieu, avant toute chose, nous permet d’accepter toute grâce, par définition gratuite et bien sûr imméritée. Pour reprendre les mots des réformateurs qui étaient d’ailleurs ceux des premiers chrétiens, il faut affirmer que les êtres humains, tels les vases d’argiles entre les mains d’un potier, sont de simples créatures entre les mains de Dieu. Placer Dieu tout puissant en premier nous libère des soucis, même les plus importants souvent, et nous éloigne des vaines justifications ou des arguments par trop théologiques développés parfois aussi par nos Églises constituées. Dieu, parce qu’il est tout puissant donne sa grâce à qui il veut, par libre choix, sans condition. Il n’y a pas à chercher si nous sommes élus ou non élus. Et si vous voulez parler à ce stade de la prédestination, il suffit de dire, sans même faire obligatoirement appel à Jean Calvin que tout est affaire de Dieu seul. L’être humain est dans l’ignorance du plan de Dieu. Heureusement ! Car cette ignorance nous autorise ainsi à revendiquer l’entière responsabilité de nos actes et, oh paradoxe !, de notre liberté. Eh oui chers amis, l’expérience de nos vies nous apprend que grâce à la toute puissance première de Dieu, l’Homme, à sa place, est en quelque sorte plus libre ! C’était ma première réflexion.

 

Ma deuxième réflexion est axée sur l’action énergique du semeur qui déborde d’activité. En effet notre semeur est un activiste. Il déborde de générosité d’une façon qui est littéralement déraisonnable puisqu’il sème à tout vent, partout, au bord du chemin, dans les coins où il y a des cailloux, et même au milieu des ronces et heureusement aussi dans la bonne terre.

Regardons plus avant ce modeste semeur : il ne se préoccupe pas de savoir s’il fait bien où mal. Il englobe dans une magnifique image le monde tel qu’il le perçoit, sans discernement, au point qu’il gaspille à tout va, de manière inconséquente à nos yeux ordinaires. Ce mot de gaspillage a une connotation peut-être négative à nos yeux. Et pourtant, chers amis, je me souviens de quelques grands prédicateurs de la deuxième moitié du XXe siècle que j’ai eu le privilège de connaitre (les pasteurs Alphonse Maillot, Louis Simon, André Dumas) qui recommandaient d’aimer ce semeur gaspilleur ! Oui, il faut aimer ce semeur gaspilleur qui cherche à n’oublier personne, qui ne néglige pas la moindre chance aussi petite soit-elle. Il ne connait pas les frontières… Pour lui, tout est possible. Il ne se résout pas à l’échec : Il sème en effet à tout vent, face à l’appétit des oiseaux qui symbolisent peut-être selon certains exégètes les gens superficiels ou mondains, face aux terrains pierreux qui symbolisent peut-être les cœurs trop endurcis et face aux parcelles pleines de ronces qui symbolisent peut-être les personnes paralysées par la peur. Aux yeux du semeur un grain pourra pourquoi pas être sauvé. En effet, au-delà des bonnes terres, un seul grain même mal planté à la va vite peut parfois donner des fruits. Dieu n’hésite pas à s’engager dans la surabondance, ce qui doit alors nous persuader de son incommensurable amour. Car, encore une fois, et j’en resterai là pour ma deuxième réflexion, pourquoi semer à tout vent si ce n’est dans l’espoir d’atteindre même les terrains les plus inattendus, les plus stériles en apparence ! Il faut croire au sursaut toujours possible, même quand on traverse une grave pandémie. Il n’est pas interdit de croire aussi, pourquoi pas, au miracle … de temps en temps.

 

Ma troisième et dernière approche, qui sera ma conclusion, va certes au-delà des premiers versets du chapitre 13 mais en réalité elle sous tend le drame qui a mené le Messie sur la croix de manière inexorable. Les contemporains de Jésus de Nazareth (et là, vous le savez est l’immense malentendu), attendaient un roi, un chef plein d’autorité et non pas le simple semeur de notre évangile. Car bien sûr ce semeur est plein de modestie. Au risque de paraitre en contradiction dialectique avec mon rappel du début de la prédication portant sur la souveraineté de Dieu, le semeur ne maîtrise pas tout, même s’il est à l’origine de tout. Car en fait, il agit d’abord et surtout sur les semences : il reste donc inquiet sur l’avenir du grain. Nous sommes encore loin des moissons qui après tout représenteront une sorte d’apogée. Mais puisque la semence n’est pas réservée à la seule bonne terre, le semeur consent à prendre des risques en semant à tout va. Prendre des risques, c’est accepter à la fois la fragilité et la puissance de cette semence. C’est pour nous, frères et sœurs, plonger dans l’insondable mystère d’un Dieu qui s’est fait homme dans son fils unique. Car Dieu pour les chrétiens est une personne incarnée et la mission du pasteur semeur, c’est celle du fils de Dieu qui ira jusqu’au bout de son destin, c’est-à-dire jusqu’au Golgotha alors que c’était un Messie de gloire que le peuple attendait.

Dieu est à la fois faible et puissant. En acceptant l’ultime sacrifice de son fils unique sur la croix, Dieu n’est jamais aussi grand, bien que modeste. Mais la faiblesse volontaire de Dieu qui transparait dans la parabole du semeur ne signifie nullement que nous sommes abandonnés. Nous restons, aux yeux de Dieu tout puissant, remplis de liberté et de responsabilité. Dieu mérite donc notre louange !

 

Alors chères sœurs, chers frères, marchons dans l’espérance du Royaume en louant Dieu puisqu’il nous aime. Il nous aimera aussi demain car il y aura la résurrection. Mais celle-ci est une autre histoire qui transcende de manière subliminale notre belle parabole d’aujourd’hui.

 

Amen

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