Lectures Bibliques : Exode 20,13 et Genèse 9,1-6 et Romains 12,9-21
Prédication
11 novembre 2018. 100 ans déjà. La « Der des Der », clamait-on sur un ton des plus convaincu, « Plus jamais ça ! » Et pourtant, 100 ans plus tard, comme le chantaient déjà les Poppys dans les années 70, rien n’a changé, tout a continué ! Vous souvenez-vous des paroles de cette chanson ? « C’est l’histoire d’une trêve que j’avais demandée, c’est l’histoire d’un soleil que j’avais espéré, c’est l’histoire d’un amour que je croyais vivant, c’est l’histoire d’un beau jour que moi, petit enfant, je voulais très heureux pour toute la planète. Je voulais, j’espérais que la paix règne en maître mais tout a continué… Non, non, rien n’a changé, Tout, tout a continué ! Et pourtant bien des gens ont chanté avec nous. Et pourtant bien des gens se sont mis à genoux pour prier, oui pour prier… Pour prier, oui pour prier… » Au risque de vous choquer, j’en ai plus qu’assez de ces commémorations pour la paix, de ces prières pour la paix, de ces messages de paix avec des chefs d’Etat entourés de chansons d’enfants et de gerbes de fleurs… Je ne crois pas que cela change quoi que ce soit à la réalité. Je pense qu’on se paie de mots. Je pense qu’on se donne bonne conscience à bon compte. Je pense que ce ne sont là que des postures faciles qui ne coûtent rien et qui ne changent rien.
Alors que sommes-nous venus chercher ici dans ce temple ce matin ? Honnêtement, sincèrement, quel message attendez-vous de ma part ? De quelle parole aurions-nous besoin que nous n’ayons déjà entendue mille fois, sans que d’ailleurs cela ne change quoi que ce soit ni dans notre vie, ni dans notre Eglise, ni dans notre monde ? Etes-vous vraiment certains d’avoir envie d’entendre une n-ième envolée lyrique lénifiante et pleine de bons sentiments du genre « La guerre c’est mal. La paix c’est bien… » ? Permettez-moi, pour une fois, de vous faire entendre une autre parole : Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre, dit Jésus (Matt 10,34) je ne suis pas venu apporter la paix mais le combat (ou l’épée selon les traductions) Le Seigneur serait-il en train de nous proposer de prendre les armes ? Certainement oui, mais pas n’importe lesquelles, pas celles que nous connaissons déjà fort bien, celles que nous utilisons chaque jour depuis que l’homme est homme, depuis que Caïn a éliminé son frère pour laver son honneur, par envie, par peur, par haine. Jésus nous propose une rupture radicale, en opposition avec tout ce que nous connaissons. Notre manière de faire la paix, il n’en veut pas. Justement, il refuse de nous laisser en paix. Je ne vous donne pas la paix comme le monde la donne, dit-il dans l’Evangile de Jean (Jean 14,27).
Notre paix lui fait horreur parce que justement elle n’est que le masque hideux de nos rancœurs ravalées. Elle n’est que l’espace et le temps que nous nous donnons avec beaucoup de cynisme pour permettre notre commerce des armes. Notre paix lui fait horreur parce qu’elle est toujours acquise sur le dos d’une victime innocente. Depuis que l’homme est homme, par des rites, par des sacrifices, par des prières, il purge les tensions et les violences mimétiques qui traversent sa communauté en désignant un responsable qu’il accuse d’être monstrueux, différent, dangereux, menaçant, diabolique. La paix enfin retrouvée sur le dos de ce bouc émissaire prouvant a posteriori que la victime était vraiment coupable, nécessairement coupable. Quelle est donc cette paix qui se gagne par le sang des innocents ? Demandez-le aux poilus. Nous devrions égrener un par un leurs noms ici gravés dans le marbre de notre temple. Demandez-le aux juifs qui depuis des milliers d’années endossent ce méchant rôle. Synagogue de Pittsburgh : un massacre est perpétré au cours des obsèques d’un enfant. Faculté de Médecine, Paris 13 : sous couvert d’humour noir, des étudiants bien de chez nous jouent au frisbee avec une kippa et proposent d’appeler « Auschwitz 2019 » leur weekend d’intégration. 69% d’actes antisémites supplémentaires cette année en France. Triste record. Les protestants que nous sommes devrions être plus que sensibles à cette question. Autant à cause de notre histoire qu’à cause de notre foi. Il serait plus que temps de nous interposer quand, partout, tout le temps on agresse nos grands frères dans la foi. Il serait plus que temps de retrouver les accents du pasteur Martin Niemöller que je paraphrase à ma manière : Quand ils ont tué les juifs, je n’ai rien fait, je n’étais pas juif. Quand ils ont chassé les migrants, je n’ai pas bougé, je n’étais pas migrant. Quand ils ont désigné les homosexuels, je n’ai pas réagi, je n’étais pas homosexuel. Et quand ils ont voulu prendre ma liberté, il n’y avait plus personne pour protester. Oui vraiment, cela suffit !
Tout chrétiens que nous sommes, nous avons même réussi à justifier la guerre. N’en déplaise à certains, la « guerre sainte » n’est pas une invention musulmane mais bien chrétienne ! Permettez-moi de citer celui que nous appelons Saint-Augustin, évêque d’Hippone, qui écrivait pour justifier la guerre contre les hérétiques donatistes en 417 : « L’Eglise persécute par amour, les impies par cruauté. L’Eglise persécute pour retirer l’erreur, les impies pour y précipiter.[1] » Comme le rappelait avec force Jacques Ellul : « Il n’y aucune guerre sainte ; l’accolement de ces deux mots est monstrueux ! Guerre (violence, massacre, haine, domination) et sainteté (qui est mise à part pour manifester qui est Dieu dans le monde) ![2] » Et il n’y a pas plus de guerre juste qu’il n’y a de guerre sainte. Et ce malgré ce qu’affirme l’autre grand docteur de l’Eglise, Thomas d’Aquin, dans sa Somme théologique. Thomas d’Aquin posait 3 conditions pour que la guerre puisse être considérée comme « juste » aux yeux de l’Eglise : la légitimité de celui qui la déclenche (seule l’autorité du prince est légitime et non une personne privée), la justesse de la cause (la faute doit-être réelle et la culpabilité établie sans ambiguïté) et la droiture des intentions (promouvoir le bien, la justice, la liberté, la démocratie, la paix)[3]. Tout cela est sans doute sage d’un point de vue géopolitique mais il n’empêche que, par principe et dans son essence même, la guerre est et reste un MAL. Par ses racines autant que par ses fruits, l’arbre est pourri. Quiconque tente d’établir une typologie des conflits constatera les 4 sources immuables à la racine des conflits : l’ENVIE (que l’on appelle désir mimétique, l’avidité, la recherche des intérêts, des matières premières, des territoires, du pouvoir), la HAINE (problèmes relationnels à base de compétition, d’antipathie, de rejet, de jalousie, de vengeance), la PEUR (le sentiment de faire face à un danger, une intrusion, apparaît la peur de disparaître, la volonté d’assurer sa survie, sa sécurité, de protéger ses proches, son identité ou ce qui nous semble important dans nos valeurs) et l’HONNEUR (combien de conflits naissent d’une estime de soi qui se sent bafouée, d’un sentiment d’humiliation, de dignité menacée). Se pourrait-il que les fruits issus de telles racines soient mangeables ? Quel bien pourrions-nous tirer de tant de destructions, de morts, de victimes innocentes ? Quelle paix pourrait bien naître de telles abominations ?
La venue du Christ pose un NON radical et définitif. La Croix est le signe éclatant que Dieu refuse absolument d’utiliser la violence et la puissance pour lui-même, pour se défendre, pour faire la guerre aux hommes. C’est le symbole même de sa volonté : Père, pardonne-leur parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font (Luc 23,34). Vous pensez que ce n’est pas très clair ? Vous voulez des précisions ?
Exode 20,13 : Tu ne tueras point.
Genèse 9,6 : Si un animal ou une personne tue quelqu’un, je lui demanderai compte de cette vie. Celui qui fait couler le sang d’un être humain, un autre humain fera couler son sang. En effet, Dieu a créé les humains à son image.
Esaïe 2,2-7 : Martelant leurs épées, ils en feront des socs, de leurs lances, ils feront des serpes. On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à se battre.
Romains 12 : Souhaitez du bien à ceux qui vous font souffrir, souhaitez du bien et non du mal. (…) Ne rendez à personne le mal pour le mal, cherchez à faire le bien devant tous. Autant que possible, si cela dépend de vous, vivez en paix avec tous. Amis très chers, ne vous vengez pas vous-mêmes, mais laissez la colère de Dieu agir.
Matthieu 5,7-11.21ss : Heureux ceux qui sont bons pour les autres, parce que Dieu sera bon pour eux ! Ils sont heureux, ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu ! Heureux ceux qui font la paix autour d’eux, parce que Dieu les appellera ses fils. Heureux ceux qu’on fait souffrir parce qu’ils obéissent à Dieu, le Royaume des cieux est à eux. Vous êtes heureux quand on vous insulte, quand on vous fait souffrir, quand on dit contre vous toutes sortes de mauvaises paroles et de mensonges à cause de moi. Soyez dans la joie, soyez heureux, parce que Dieu vous prépare une grande récompense ! (…) Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : tu ne tueras point (…) mais moi je vous dis : Quiconque se met en colère contre son frère sera passible du jugement (…) celui qui insulte son frère ou sa sœur mérite la terrible punition de Dieu.
Luc 6,27-29 : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous détestent. Souhaitez du bien à ceux qui vous souhaitent du mal, priez pour ceux qui disent du mal de vous. Quand quelqu’un te frappe sur une joue, tends-lui aussi l’autre joue.
Matthieu 18,21-22 : Pierre s’approche de Jésus et lui demande : « Seigneur, quand mon frère me fait du mal, je devrai lui pardonner combien de fois ? Jusqu’à 7 fois ? » Jésus lui répond : « Je ne te dis pas jusqu’à 7 fois, mais jusqu’à 70 fois 7 fois.
Est-ce qu’il y a quelque chose qui n’est pas clair dans ces paroles ? Est-ce qu’il reste une zone d’ombre qu’il faudrait encore éclaircir, interpréter, expliquer, compléter ?
Et pourtant, inévitablement, nous commençons à contester, à critiquer, à objecter :
Il y a d’abord le « oui-mais » : Aimer nos ennemis ? Oui bien sûr… mais… euh, même les allemands ? même Daesch ? même Trump ? même Poutine ? Et Jésus de répondre : Vous avez un problème d’oreille ? Vous ne parlez pas la langue ? Si vous aimez seulement ce qui vous aiment, quelle sera votre récompense ? Même les païens font la même chose ! Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait. (Matthieu 5,46-48)
Alors on nous dit que c’est irréaliste, utopique et pour tout dire naïf. Certes le monde ne fonctionne pas selon ces principes évangéliques, nous le savons tous. Ce qui serait naïf, ce serait de croire que la politique mondiale pourrait fonctionner par l’amour inconditionnel et sans limite. Mais que je sache, le Christ n’est pas venu pour conduire le monde mais bien pour le sauver, pour le transformer, pour le changer : Mon royaume n’est pas de ce monde, répond Jésus. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi afin qu’on ne me livre pas aux Juifs ; mais maintenant mon royaume n’est pas d’ici. (Jean 18,36) Voilà pourquoi les chrétiens que nous sommes ne sont pas appelés à diriger le monde, ni même à diriger la politique de l’Etat comme d’autres rêvent d’imposer la Charia : nous sommes appelés à changer le monde, à porter cette parole qui sauve le monde. Je ne fais pas ici de la politique ni de la diplomatie : je prêche l’Evangile de la Grâce.
Alors on nous accusera de lâcheté en cherchant à garder les mains propres. Et moi je me demande ce qu’il y a de plus courageux ? La soumission aux ordres des maréchaux bouchers de Verdun ou les insoumis qui ont refusé d’obéir ? Malcolm X voulant arracher les droits des Noirs par la force ou Martin Luther King assumant les coups, les bombes et la prison par la non-violence ? Qui étaient les plus courageux ? Ceux qui ont pratiqué la torture pendant la guerre d’Algérie ou ceux qui, comme mon père, ont choisi d’être objecteurs de conscience et d’aller en prison au nom de leur foi ? Il en faut du courage pour suivre l’apôtre Paul : Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien.
La dernière objection est la seule possible, me semble-t-il. Parce qu’il est possible de se reconnaître dans ces mots de Paul qui avoue la difficulté majeure : Pour moi, vouloir le bien c’est possible mais faire le bien c’est impossible. En effet le bien que je veux, je ne le fais pas, et le mal que je ne veux pas, je le fais. (…) Malheur à moi, qui va me libérer de ce corps qui me conduit vers la mort ? (Rom 7,14-24) A ce moment-là et à ce moment-là seulement on s’approche de l’Evangile de la Grâce, quand, après s’être débattu comme un beau diable, refusant l’évidence, cherchant une échappatoire, on se tourne enfin vers le véritable siège de la violence et de la guerre qui a fait sa place au fond de notre cœur comme Dieu le disait à Caïn : le péché est comme un animal couché à ta porte. Il t’attend en cachette prêt à t’attraper. Mais toi, sois plus fort que lui ! (Genèse 4,7) Ô Dieu, crée en moi un cœur pur et je serai purifié s’écrie le roi David en prenant conscience de sa faute (Ps 51,12) Mets en moi un esprit nouveau, vraiment attaché à toi… Lui seul peut nettoyer ton cœur de tout ce qui le pollue : l’envie, la haine, la peur, la recherche de l’honneur, toutes ces racines pourries qui détruisent la beauté du monde qu’il nous a confié. Aux disciples qui se demandent étonnés : Mais alors, qui peut être sauvé ? Jésus répond : Aux hommes c’est impossible, mais pas pour Dieu. Pour Dieu, tout est possible. (Marc 10,26s) C’est ce que je crois fermement. Amen.
[1] Saint Augustin, Lettre CLXXXV, 11, Œuvres complètes, tV, Paris, Louis Vivès, 1870, p.554.
[2] Jacques Ellul, Les chrétiens et la guerre, in Cahiers Jacques Ellul, 2004/2, La Technique, p.10.
[3] Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIIa, q.40a,1. Cité par Jean-Michel Maldamé, Monothéisme et violence, Cerf, 2018, p.86.
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