Travail, argent, mérite… un destin ?

Lecture Biblique : Matthieu 20,1-16

Prédication :

Les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers… Oui mais quand ? Après notre mort ? À la fin des temps ? Quand les hommes auront détruit la planète ? Quand le Christ sera revenu ? Les chrétiens ont pris l’habitude de penser au Royaume de Dieu comme quelque chose qui n’arrivera pas, renvoyé aux calendes grecques sous-entendu que cela n’arrivera jamais ou en tout cas pas de notre vivant… Et ce grand soir du renversement, cette inversion des situations, cette révolution des sans-grades, c’est pour où ? Dans l’au-delà ou ici et maintenant sur terre ? Est-ce une révolution ou est-ce une révélation ?

Il faut absolument rappeler ici 2 ou 3 choses simples sur le Royaume de Dieu. D’abord, rappelons avec force que le Royaume de Dieu ne commence pas à la fin du monde ni même après notre mort mais bien ici et maintenant avec l’arrivée de Jésus dans notre vie et dans notre monde : Le Royaume des Cieux s’est approché ! dit Jésus, Changez de vie et croyez à la Bonne Nouvelle ! (Mc 1,15). Il faut également rappeler que c’est la présence de Jésus qui inaugure le Royaume de Dieu. Je suis,  dit Jésus, le chemin, la vérité et la vie, nul ne vient au Père que par moi (Jn 14,6). Le Royaume de Dieu n’appartient pas à aucune institution, à aucun groupe humain même si ce groupe s’appelle l’Église, parce qu’il n’existe que dans la foi et par la foi. Le Royaume de Dieu commence là où quelqu’un croit en Jésus. C’est aussi simple que cela. Et notre parabole nous indique que cela se joue dans le principal lieu d’asservissement et d’engagement de notre vie à savoir dans notre travail, avec notre argent et avec notre désir de réussir… Par sa petite parabole, Jésus vient contester les 3 lieux les plus prenants de notre vie, les 3 lieux les plus asservissants mais aussi au pouvoir attractif voire fascinant, asservissants justement à cause de la fascination qu’ils exercent… Abordons les 3 dans l’ordre d’arrivée dans la parabole comme un approfondissement : 1. notre rapport au travail 2. notre rapport à l’argent 3. notre rapport à l’efficacité.

  1. Commençons par la place du travail dans notre vie. Avez-vous remarqué avec quelle obstination, quelle opiniâtreté le maître de maison cherche à recruter tous ceux qu’il croise ? Pourquoi cette lourde insistance ? Serait-ce parce qu’il a besoin de nous ? Ou serait-ce parce que c’est nous qui avons besoin de ce travail pour vivre ? Une chose est sûre : Dieu veut que chaque personne travaille dans sa vigne. A ses yeux, le travail est une grâce (malgré la pénibilité) et le chômage est un malheur. Cela signifie que, pour lui, la consommation n’est pas une option. Comment réagissons-nous à cela au moment de commencer notre AG ? Que pouvons-nous faire pour Dieu ? Qu’est-ce qu’il attend de moi ? Suis-je disponible ? Est-ce mon choix de me rendre disponible pour lui ? Que se passe-t-il si je refuse de faire ce qu’il attend de moi ? Attention ⚠️ aux excuses bidons, du genre : Personne ne nous a embauchés! On ne nous a jamais rien demandé… Parce que le maître de maison est sorti encore à midi, puis à trois heures de l’après-midi et fit de même. Enfin, vers cinq heures du soir, il sortit et trouva d’autres hommes qui se tenaient là. Il leur demanda : “Pourquoi restez-vous ici tout le jour sans rien faire ?” Soit ils sont restés à la maison sur le canapé leur smartphone à la main soit ils se sont bouché les oreilles pour ne pas entendre celui qui voulait les embaucher. Et vous qui êtes venus ce matin, vous ne pouvez pas dire que vous n’avez pas entendu. Rien ne nous dispense de répondre à l’appel de ce maître qui veut vous embaucher parce qu’il a besoin de notre force et de notre engagement pour que l’Évangile se répande. Attention ⚠️ : je ne suis pas en train de faire un plaidoyer pro-domo pour ma boutique. Ce n’est pas de l’Église dont il s’agit mais du monde : là est la vigne du Seigneur, là est le lieu de votre engagement, de votre mission, de votre vocation. La question qui se pose consiste à « sanctifier » notre travail quel qu’il soit. Sanctifier signifie « rendre saint » c’est-à-dire offrir à Dieu, consacrer pour Dieu, mettre en présence de Dieu pour qu’il soit transformé par ma foi, réorienté… désacralisé… Sanctifier notre travail c’est donc le mettre sous la souveraineté de Dieu et par conséquent faire en sorte que notre activité, notre travail, notre engagement, notre action ne prenne jamais une place absolue, une fonction ultime, une place démesurée dans notre vie : si je travaille c’est pour Dieu et Dieu est souverain. Il est LE souverain et si c’est lui le souverain alors ce n’est pas mon travail qui est souverain, qui a le dernier mot. Ce n’est pas lui qui donne le sens ultime de ma vie. Je ne suis pas asservi à la nécessité, à l’obligation, au devoir absolu de toujours lui obéir. Remettre mon travail entre les mains de Dieu c’est donc être libéré de son emprise. Mon travail n’a pas et ne peut pas avoir le dernier mot dans ma vie : j’ai droit à la déconnexion, je ne me résume pas à ce que je fais, à ce que je dois faire… Attention ⚠️ (et pardonnez-moi si je me répète) je ne parle pas de donner une prime aux tire-au-flanc : il faut garder en mémoire l’insistance lourde du maître qui sort à toute heure pour embaucher. Rien n’est pire que le non-sens de l’inutilité et de la vacuité d’une vie pour rien ! J’ai besoin de travailler pour donner du sens à ma vie mais ce travail n’est pas en lui-même le sens de ma vie. Il n’en est que l’outil, le médium, l’instrument.
  2. Vient alors la seconde partie de la parabole quand il s’agit de faire les comptes : Quand vint le soir, le maître de la vigne dit à son contremaître : « Appelle les ouvriers et paie à chacun son salaire. » Parlons donc d’argent puisqu’il en est question et que si nous travaillons c’est en grande partie pour gagner de l’argent. Parlons économie, parlons finances… Le maître de maison refuse de payer en fonction des efforts fournis. A ses yeux, il ne s’agit pas d’un salaire, d’un dû, d’un droit à revendiquer mais d’un accord : Il se mit d’accord avec eux sur le salaire à leur payer, une pièce d’argent par jour, et les envoya dans sa vigne. Se mettre d’accord. Le mot employé en grec a donné le mot « symphonie » c’est une entente harmonieuse, cœur à cœur, un partenariat, une alliance ancrée dans sa bonté : je te donne la vie éternelle et toi, tu travailles pour moi. Chacun sa part. Le sentiment de trahison peut être fort de part et d’autre si l’un des deux manque à sa parole… Ici, il n’y a pas de proportion, de quantification et donc de calcul : dans un accord c’est la loi du tout ou rien de chaque côté. Quand Dieu donne, il donne tout : son amour, sa vie, sa grâce, son pardon, son royaume. Bref, il SE donne sans aucune réserve. Mais l’accord avec lui exige une nécessaire réciproque : je ne peux pas calculer, mesurer, quantifier, soupeser, garder une partie. Voilà ce qui sanctifie le don, c’est à dire ce qui le rend saint. Pour subvertir le pouvoir de l’argent et surtout son pouvoir de fascination, la parabole nous montre une voie sans pareille qui nous ramène à la souveraineté de Dieu : “Mon ami, je ne te cause aucun tort. N’étais-tu pas d’accord avec moi de travailler pour une pièce d’argent par jour ? Prends donc ton salaire et va-t’en. Je veux donner à ce dernier embauché autant qu’à toi. N’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon argent ? Je fais ce que je veux de mon bien et moi je veux l’utiliser pour la bonté, pour montrer quelque chose de la grâce et de l’amour. Je décide de mettre mon argent au service de la générosité et de l’amour. Au service de l’accord, de la symphonie entre les hommes. Quand je donne de mon argent, je me donne, je me livre dans ce que je décide d’en faire. Le maître nous propose de reprendre pouvoir sur l’outil pour le mettre au service de ce qui exprime le mieux qui nous sommes et qui nous voulons être… Attention ⚠️ ! Je tiens à dire ici qu’il ne saurait être question de s’acheter un droit à ne rien faire en se contentant de verser une cotisation, une contribution financière à la vie de l’Église qui nous dédouanerait de répondre à l’exigence du Seigneur. Il n’est pas question de faire de la diaconie par chèque interposé en donnant de l’argent pour que d’autres fassent le travail à notre place, se salissent les mains en allant s’occuper des pauvres pendant que nous resterions bien sagement et bien proprement à l’abri. Le prochain à aimer, c’est celui avec qui nous créons une proximité. Et il n’y a aucune proximité qui puisse se créer avec de l’argent… Donner votre argent à l’Église, pour les projets de DIESE ou ceux d’Esprit-Culture est une thérapie qui vous est proposée pour vous aider à ne pas idolâtrer la puissance offerte par cet outil. Il s’agit de le désacraliser en le donnant. « Vous voulez attaquer la puissance de l’argent dans le monde ? Inutile de faire des théories et des projets de réforme. Donnez votre argent. Vous voulez attester votre liberté à l’égard des puissances ? Inutile d’inventer des actes extraordinaires. Donnez votre argent. Par ce don, vous faites coup double, vous êtes effectivement libérés de votre argent, et vous brisez pour d’autres le Sacré de l’argent. » (Jacques Ellul, Éthique de la liberté, p. 623)
  3. Les derniers seront les premiers : Qu’est-ce que ça veut dire « être les premiers » ? Est-ce désirable en soi ? Est-ce une question de justice pour compenser l’humiliation des derniers ? Il s’agirait alors d’un langage de renforcement, une consolation et un soutien psychologique pour les humiliés de la terre. En réfutant toute prime à l’ancienneté, toute préséance qui serait due aux premiers arrivés, aux vieux huguenots face aux nouveaux convertis, la parabole semble contester d’abord et en particulier une hiérarchie entre les chrétiens. Mais il y a une autre hiérarchie qui semble contestée par la parabole, c’est celle du mérite. Dans la réalité du monde du travail, plus je travaille, plus j’attends que mon salaire augmente ? C’est normal. C’est le sens de la justice le plus élémentaire, j’allais dire le plus naturel : nul besoin d’être chrétien pour ressentir la justesse de ce principe de proportionnalité. Et bien c’est ce principe même qui structure la réalité de notre culture qui est contesté dans le Royaume de Dieu. J’ai appris récemment la différence entre efficacité et efficience… Être efficace c’est atteindre sa cible financière, c’est réussir à remplir les bancs du Temple par l’évangélisation comme on embauche toutes les personnes disponibles pour travailler dans la vigne. Mais cela ne me dit rien sur les ressources utilisées pour obtenir ce résultat c.à.d. sur l’efficience. J’ai pu forcer la main aux personnes à qui j’ai demandé un don ou un engagement, j’ai pu mettre en place une stratégie marketing pour cibler les convertis potentiels comme dans un grand magasin, j’ai pu embaucher des intérimaires pour satisfaire mon Client. Bref j’ai pu être efficace sans forcément être efficient. L’efficience c’est l’efficacité au moindre coût par optimisation des ressources et des moyens. Faut-il refuser ce principe de l’efficience qui structure notre monde ou serait-il possible de le sanctifier, de le subvertir pour le soumettre à l’Évangile, au principe du Royaume des Cieux, pour le consacrer à Dieu ? Comment utiliser nos ressources disponibles d’une manière efficiente du point du vue du Royaume de Dieu ? C’est ce que nous essayons de faire en vivant nos cultes et nos études bibliques comme des événements interactifs sur le net. En entraînant notre Église dans la culture internet, nous jetons notre pain à la surface du web sans avoir la moindre possibilité de vérifier l’efficacité de ce que nous faisons mais en sanctifiant l’efficience des outils internet pour la subvertir et la mettre au service de Dieu. Les chrétiens peuvent changer le monde mais ils ne le savent pas ! L’AG d’une paroisse pourrait devenir et devrait devenir une réunion de programmation subversive qui décide de ce que nous allons faire pour changer le monde cette année, ici à partir de notre quartier, à partir de la réalité de notre vie en sanctifiant notre travail, notre argent et notre utilisation des moyens que Dieu nous donne. Amen.

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