« Sur le chemin d’Emmaüs »

Il y a au moins un point commun entre les 3 « tableaux » qui composent ce ch. 24  de l’évangile selon Luc (Le récit des femmes au tombeau, celui des disciples d’Emmaüs et l’apparition de Jésus à ses disciples).

Pour l’exprimer, je me servirai d’une expression que je trouve très juste pour résumer l’enjeu de ce récit en 3 parties : passer du besoin de voir à la possibilité d’entendre.

C’est humain, nous avons besoin de voir, de constater, de nous appuyer sur des certitudes et sur des preuves. Mais l’Evangile nous encourage aussi à entamer un cheminement au cours duquel ce besoin de voir qui est en nous peut se transformer en une possibilité d’entendre. Une possibilité d’entendre, c.à.d. une possibilité de recevoir une parole, de nous confier en cette parole et, par la suite, mais par la suite seulement, de témoigner de cette parole.

Essayons alors de repérer comment les croyants peuvent passer du besoin de voir à la possibilité d’entendre, en fonction des 3 « tableaux » du ch. 24 de Luc.

  1. Dans le récit des femmes au tombeau, que se passe-t-il ?

Elles constatent, à leur grande surprise, non pas la présence du Christ mais son absence. Elles ne trouvent pas son corps. Les anges qui évoquent sa résurrection soulignent cette absence : « il n’est pas ici, mais il est ressuscité ». Le Christ vivant ne se manifeste pas dans une apparition, mais dans une disparition.

C’est à partir de là, et à partir de là seulement, que les femmes vont pouvoir entendre le témoignage des anges et se remémorer les paroles mêmes de Jésus. C’est à ce moment-là, quand elles ont pu dépasser le besoin de voir, qu’elles deviennent disponibles pour entendre une parole. Elles peuvent désormais se mettre à l’écoute d’une parole de résurrection qui ranime leur espérance éteinte.

Elles peuvent désormais se mettre en route pour témoigner de cette parole auprès des autres disciples.

Ainsi en va-t-il de la rencontre avec une parole de résurrection : c’est une rencontre qui donne un nouveau sens à la vie, qui réoriente notre existence dans le sens de la vie (afin que nous cessions de chercher le vivant parmi les morts). C’est une rencontre qui fait passer de l’abattement à la joie, de la crainte à la confiance. C’est une rencontre qui fait passer d’un état statique, immobile, à un mouvement dynamique : avance, tu es vivant !

2. Qu’en est-il dans le récit des disciples d’Emmaüs ?

Le chapitre 24 de l’évangile selon Luc se prolonge par un récit appelé « les disciples d’Emmaüs ».

Eux aussi vont faire l’expérience d’un passage du besoin de voir à la possibilité d’entendre. Ils cheminent en discutant des événements tragiques qui se sont passés à Jérusalem, et ils sont rejoints par le Christ. Mais leurs yeux sont empêchés de le reconnaître.

Il est avec eux mais ils ne le voient pas. Pourtant, il leur ouvre l’intelligence des Ecritures et, petit à petit, il les amène au seuil de la foi. Petit à petit, en amenant ses disciples à se dessaisir de leur besoin de voir, il leur permet d’entendre une parole de résurrection.

Cette parole de résurrection, qu’offre-t-elle aux disciples ?

Elle leur offre de donner un nouveau sens à ces événements tragiques dont ils ont été les témoins à Jérusalem. Ils n’y voient qu’un échec, car avec la mort de Jésus c’est leur espérance d’une vie libre qui est morte. Mais ce qu’ils découvrent au fil de leur cheminement avec le Ressuscité, c’est que cette mort est en réalité le commencement d’une vie nouvelle. Ce qui pour eux était jusque-là un échec désespérant devient un ferment de victoire et d’espérance. Et ce changement, cette conversion n’a été possible que parce qu’ils ont fini par rencontrer une parole au cœur des Ecritures.

C’est en prenant le chemin des Ecritures, en revisitant leur histoire à la lumière des Ecritures, qu’ils ont pu trouver un nouveau sens à ce qu’ils avaient vécu, et que l’histoire de mort s’est changée en histoire de vie.

Une remarque : lorsqu’ils reconnaissent le Christ au moment de la fraction du pain, il disparaît de leur vue. Là encore, le Christ vivant ne se manifeste pas dans une apparition, mais dans une disparition. Le regard humain ne peut pas prétendre capturer la vie du ressuscité. En réalité, l’enjeu d’une rencontre avec une parole de résurrection, ce n’est pas de connaître le Christ, mais de le reconnaître.

Passer du besoin de voir à la possibilité d’entendre, c’est passer d’un besoin de connaissance à la possibilité d’une reconnaissance. Et cette reconnaissance n’est pas au bout de nos efforts, de notre intelligence ou de nos mérites : elle est une grâce, un pur don de Dieu.

Un dernier petit détail : les disciples de Jérusalem disent à ceux d’Emmaüs : « Le Seigneur est réellement ressuscité et il est apparu à Simon ». Simon, c’est Pierre. Or, dans le tableau précédent, qu’avait vu Pierre en courant au tombeau ? Une apparition ? Non : seulement les bandelettes, c’est-à-dire là encore les traces d’une disparition.

3. Au sujet du troisième « tableau », lire Luc 24, 36-53

Les choses sont en apparence différentes, puisqu’à première vue il y a bien une apparition… Or, ce n’est pas tout à fait de cela qu’il s’agit. D’abord, cette apparition de Jésus est loin de provoquer un mouvement de foi chez les disciples : ils croient voir un esprit et sont épouvantés ! Jésus va devoir leur parler longuement pour les rassurer. Il va leur montrer ses mains et ses pieds, insister sur sa présence en chair et en os et va même jusqu’à manger devant eux. Pourquoi cela ?

Pour montrer à ses disciples que sa vie nouvelle auprès du Père n’annule pas sa vie terrestre, même si elle est différente de sa vie terrestre. C’est une invitation à ne pas nous focaliser, au risque de devenir fous, ou de rater l’essentiel, sur « ce à quoi peut bien ressembler la vie éternelle ».

Ce n’est pas cela qui doit retenir notre attention. Croire au Christ ressuscité, ce n’est rien d’autre que croire au Christ incarné et crucifié.

Nous sommes appelés à placer notre confiance dans ce Christ qui est né, qui a vécu, mangé et bu, éprouvé la joie et la peine, la tentation et la colère, qui a prêché le pardon et la réconciliation, qui a appelé à la conversion des cœurs, qui s’est opposé aux élites religieuses, qui a été contesté, rejeté, abandonné, condamné, qui a souffert et qui est mort. Un Christ qui s’est fait notre frère en humanité, qui est venu nous rejoindre au cœur de la réalité de notre condition. Certes, la vie éternelle est une vie en nouveauté. Mais l’espérance de cette vie-là ne peut pas nous détourner de notre vie terrestre.

Un dernier mot sur notre mission de témoins : là encore il s’agit de passer du besoin de voir à la possibilité d’une parole. Ce qui va fonder le témoignage des croyants, toutes Eglises confondues, c’est une fois encore une disparition de Jésus. Il est enlevé au ciel, et c’est à partir de là que s’ouvre le temps du témoignage.

Nous ne possédons pas le Christ.

Que ce soit comme individus ou comme Eglises, personne ne peut prétendre détenir le Christ. Ce n’est qu’à cette condition, en nous reconnaissants serviteurs et non pas maîtres, que nous pourrons être des témoins fidèles de l’Evangile.

Nous ne possédons pas le Christ.

C’est pour cette raison que le Christ peut venir nous rencontrer tous et chacun dans une parole de résurrection.

Que notre témoignage se renouvelle et se fortifie à la lumière de cette conviction :

Christ n’est pas à nous, c’est nous qui sommes à lui.

Amen !

 

Evangile de Luc, chapitre 24

1Le premier jour de la semaine, de grand matin, elles vinrent à la tombe en portant les aromates qu’elles avaient préparés.

2Elles trouvèrent la pierre roulée de devant le tombeau.

3Etant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus.

4Or, comme elles en étaient déconcertées, voici que deux hommes se présentèrent à elles en vêtements éblouissants.

5Saisies de crainte, elles baissaient le visage vers la terre quand ils leur dirent : « Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ?

6Il n’est pas ici, mais il est ressuscité. Rappelez-vous comment il vous a parlé quand il était encore en Galilée ;

7il disait : “Il faut que le Fils de l’homme soit livré aux mains des hommes pécheurs, qu’il soit crucifié et que le troisième jour il ressuscite.” »

8Alors, elles se rappelèrent ses paroles ;

9elles revinrent du tombeau et rapportèrent tout cela aux Onze et à tous les autres.

10C’étaient Marie de Magdala et Jeanne et Marie de Jacques ; leurs autres compagnes le disaient aussi aux apôtres.

11Aux yeux de ceux-ci ces paroles semblèrent un délire et ils ne croyaient pas ces femmes.

12 Pierre cependant partit et courut au tombeau ; en se penchant, il ne vit que les bandelettes, et il s’en alla de son côté en s’étonnant de ce qui était arrivé.

 

L’apparition aux disciples d’Emmaüs

13Et voici que, ce même jour, deux d’entre eux se rendaient à un village du nom d’Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem.

14Ils parlaient entre eux de tous ces événements.

15Or, comme ils parlaient et discutaient ensemble, Jésus lui-même les rejoignit et fit route avec eux ;

16mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.

17Il leur dit : « Quels sont ces propos que vous échangez en marchant ? » Alors ils s’arrêtèrent, l’air sombre.

18L’un d’eux, nommé Cléopas, lui répondit : « Tu es bien le seul à séjourner à Jérusalem qui n’ait pas appris ce qui s’y est passé ces jours-ci ! » –

19« Quoi donc ? » leur dit-il. Ils lui répondirent : « Ce qui concerne Jésus de Nazareth, qui fut un prophète puissant en action et en parole devant Dieu et devant tout le peuple :

20comment nos grands prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort et l’ont crucifié ;

21et nous, nous espérions qu’il était celui qui allait délivrer Israël. Mais, en plus de tout cela, voici le troisième jour que ces faits se sont passés.

22Toutefois, quelques femmes qui sont des nôtres nous ont bouleversés : s’étant rendues de grand matin au tombeau

23et n’ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire qu’elles ont même eu la vision d’anges qui le déclarent vivant.

24Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ce qu’ils ont trouvé était conforme à ce que les femmes avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. »

25Et lui leur dit : « Esprits sans intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu’ont déclaré les prophètes !

26Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu’il entrât dans sa gloire ? »

27Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait.

28Ils approchèrent du village où ils se rendaient, et lui fit mine d’aller plus loin.

29Ils le pressèrent en disant : « Reste avec nous car le soir vient et la journée déjà est avancée. » Et il entra pour rester avec eux.

30Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain, prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna.

31Alors leurs yeux furent ouverts et ils le reconnurent, puis il leur devint invisible.

32Et ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur ne brûlait-il pas en nous tandis qu’il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Ecritures ? »

33A l’instant même, ils partirent et retournèrent à Jérusalem ; ils trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons,

34qui leur dirent : « C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité, et il est apparu à Simon. »

35Et eux racontèrent ce qui s’était passé sur la route et comment ils l’avaient reconnu à la fraction du pain.

 

L’apparition aux Onze

36Comme ils parlaient ainsi, Jésus fut présent au milieu d’eux et il leur dit : « La paix soit avec vous. »

37Effrayés et remplis de crainte, ils pensaient voir un esprit.

38Et il leur dit : « Quel est ce trouble et pourquoi ces objections s’élèvent-elles dans vos cœurs ?

39Regardez mes mains et mes pieds : c’est bien moi. Touchez-moi, regardez ; un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai. »

40 A ces mots, il leur montra ses mains et ses pieds.

41Comme, sous l’effet de la joie, ils ne croyaient pas encore et comme ils s’étonnaient, il leur dit : « Avez-vous ici de quoi manger ? »

42Ils lui offrirent un morceau de poisson grillé.

43Il le prit et mangea sous leurs yeux.

44Puis il leur dit : « Voici les paroles que je vous ai adressées quand j’étais encore avec vous : il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. »

45Alors il leur ouvrit l’intelligence pour comprendre les Ecritures,

46et il leur dit : « C’est comme il a été écrit : le Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour,

47et on prêchera en son nom la conversion et le pardon des péchés à toutes les nations, à commencer par Jérusalem.

48C’est vous qui en êtes les témoins.

49Et moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Pour vous, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez, d’en haut, revêtus de puissance. »

50Puis il les emmena jusque vers Béthanie et, levant les mains, il les bénit.

51Or, comme il les bénissait, il se sépara d’eux et fut emporté au ciel.

52Eux, après s’être prosternés devant lui, retournèrent à Jérusalem pleins de joie,

53et ils étaient sans cesse dans le temple à bénir Dieu.

 

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