Suivre Jésus, à travers l’eau et l’Esprit de son baptême

 

Est-ce autre chose que la terreur devant les effets de la colère de Dieu qui pousse les foules à demander le baptême ? Où est-elle, la bonne nouvelle que Jean-Baptiste annonce au peuple ? Y a-t-il vraiment lieu de se réjouir de l’imminence du jugement telle qu’elle est annoncée ici ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça va faire mal ! Il ne s’agit que de faucher, de battre et de brûler ! Et gare à celui qui se trouvera du côté de la paille ! Ça va chauffer pour son matricule !

Aussi sombre soit-il, cet Evangile répond pourtant aux misères, aux souffrances et aux angoisses de celles et ceux auxquels il s’adresse. Il les soulage en affirmant que ça ne peut pas durer, que ça ne durera pas, que tout va bien finir par sauter un jour ou l’autre : « Tenez-bon, affirme Jean-Baptiste. Il arrive ! Il vient « . « Moi je vous baptise d’eau – dit Jean- mais il vient (…) lui, il vous baptisera d’Esprit-Saint et de feu.

 

Rien ne manque à ce discours, ni la dénonciation des élites corrompues, ni l’annonce de la venue de l’homme providentiel qui va sauver le peuple. Tel est l’Evangile, d’une actualité tellement banale, de Jean-Baptiste. Sa prédication échoue et le fait échouer lui-même en prison.

 

Les élites corrompues apprécient rarement la dénonciation publique de leurs turpitudes… Quant au peuple, le voilà rendu à ses misères, à ses souffrances et à ses angoisses, toujours prêt à tomber dans les bras des prêcheurs d’apocalypse, des guides et des petits pères des peuples de tous poils et de toutes obédiences.

Bien curieux passage de relais entre Jean-Baptiste et Jésus que celui auquel nous fait assister l’évangile de Luc. Après les lumières pleines d’espérance du Noël des bergers (à Bethléem), de Siméon et d’Anne (au temple de Jérusalem), nous voilà plongés dans une ambiance bien lourde et bien sombre. Les menaces du jugement et les chaînes qui retiennent le Baptiste dans la fosse pèsent sur l’entrée en scène de Jésus devenu adulte. (« Jésus avait environ 30 ans lorsqu’il commença son ministère » v.23)

Jean-Baptiste arrêté et bientôt assassiné, y a-t-il d’autre issue à attendre pour cette vie et pour ce monde que la submersion et l’embrasement ?

Quand Jean-Baptiste nous dit que l’eau de son baptême n’est rien à côté du baptême de feu et d’Esprit que nous réserve celui dont il annonce la venue, tout porte à croire que nous allons passer un mauvais quart d’heure qui pourrait bien durer toute une éternité. A moins qu’il ne s’agisse pour Luc de nous montrer par l’image ce que Jean Baptiste dit en parole : « Il vient, celui qui est plus fort que moi ».

Peut-être s’agit-il, avec le feu de l’Esprit Saint, d’un feu de lumière et de joie, d’un feu de la Saint-Jean…

C’est sans doute pourquoi Jésus assume d’abord le baptême d’eau du Baptiste pour recevoir seulement ensuite celui de l’Esprit ; sans doute pourquoi aussi, contrairement à la prophétie du Baptiste, ce baptême d’Esprit ne se manifeste pas sous la forme d’un déluge de feu, mais d’une colombe, symbole de paix et de réconciliation. Colombe qui rappelle celle de Noé à la fin du déluge (Genèse 8, 10-12).

Avec Jean-Baptiste, la Parole semblait avoir échoué dans un cachot. Avec Jésus, la voici qui déchire le ciel en même temps qu’elle sort de l’eau. Tout se passe comme si, dans ce passage à travers la fosse du Baptiste et l’eau du baptême de Jésus, le déluge de colère promis par le Baptiste avait déjà été endossé par Dieu en Jésus. Comme si le jugement avait déjà été porté, déjà pris en charge par Jésus. Comme si Jésus avait déjà affronté la colère et le jugement, comme s’il était déjà passé au travers et se retrouvait déjà, à l’aube de son aventure, adopté par Dieu, fils de sa justice et de sa grâce : « Toi, tu es mon fils, mon aimé ».

Ainsi proclamée, cette adoption vaut presque engendrement.

Tel qu’il nous est montré et raconté ici, le passage du témoin entre Jean-Baptiste et Jésus nous parle d’une naissance, et d’une naissance heureuse.

Mais l’ambiance d’apocalypse et de prison sur le fond de laquelle cette naissance prend figure nous désigne aussi avec précision le lieu où est engendré Jésus, le premier né d’entre les morts, à savoir la croix.

 

 

Dès le début de l’histoire de Jésus, la croix se dessine paradoxalement comme l’issue heureuse aux misères, aux souffrances et aux angoisses de notre humanité, comme le point critique où tout bascule, où finissent les temps anciens et où s’inaugurent les temps nouveaux, comme la figure d’un Dieu qui assume en Jésus la déchéance de notre condition humaine et qui anticipe sur sa rédemption.

Dans ce passage de témoin entre Jean-Baptiste, témoin de la colère et du jugement, et Jésus, Fils de la grâce, tout est dit de l’Evangile.

Tout est dit aussi de ce qui nous reste à faire pour échapper à la colère de Dieu : suivre Jésus à travers l’eau et l’Esprit de son baptême. Ce n’est déjà pas une petite affaire pour celles et ceux d’entre nous qui ont reçu le baptême de nous souvenir que, quelles que soient les impasses où ils s’enferment, Dieu oriente toujours à nouveau nos existences vers la vie et vers la grâce.

Mais il y a plus : au milieu des misères, des souffrances et des angoisses de notre siècle, l’esprit de notre baptême nous rend plus forts que les témoins de la colère et du jugement, plus forts que les prophètes de catastrophe et de haine. A la suite de Jésus, il nous atteste que nous sommes enfants de la justice et de la grâce de Dieu.

 

Frères et sœur, je conclus ici : Qu’au milieu des obscurités et des impasses du temps présent, l’eau et l’Esprit de notre baptême nous aident à discerner les signes inauguraux du Règne de Dieu, qu’ils nous donnent toujours le courage d’attendre et d’espérer des vols de colombe là où nous redoutons, ou parfois même souhaitons, des déluges de feu, qu’il nous donne d’imaginer, pour nos proches et nos prochains, des actes qui soient des paraboles de l’heureuse venue de sa justice et de sa grâce.

Notre baptême, à travers Jésus-Christ, nous libère et nous engage. Nous formons une communauté appelée à être toujours renouvelée et accueillante. Ainsi, nous suivrons fidèlement Jésus, à travers l’eau et l’Esprit de son baptême.

 

Amen.

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