Sortir vers la vie que Dieu promet

Lecture biblique : Genèse 12, 1-4 et Hébreux 11, 8-12

Prédication :

Abraham a répondu à un appel et il s’est mis en route. Il a quitté ce qu’il connaissait, ce qui le définissait jusque là, et il s’est mis en chemin vers l’inconnu, c’est-à-dire qu’il est parti à la découverte de lui-même.

Tout l’enjeu de la foi, dans le sillage d’Abraham, c’est de recevoir la possibilité de se découvrir soi-même autrement et, ainsi, devenir en vérité soi-même. Non plus seulement « fils de », non plus seulement « originaire de »… mais « en route vers ». Ce qui compte alors, ce qui devient plus important que tout, ce n’est pas d’où je viens mais où je vais.

Le cheminement de la foi me pousse à changer ma vie, et plus précisément à changer le sens de ma vie. Ce qui va donner sens à ma vie ce n’est plus mon lieu de provenance, la famille dans laquelle je suis né, le pays ou la culture dont je suis originaire, l’Eglise dans laquelle j’ai été baptisé…

Sans le renier, tout cela passe au second plan.

Ce qui va désormais donner un sens à ma vie, c’est ce qu’il y a au devant de moi. L’appel de Dieu m’indique une direction.

Ma vie reçoit un nouveau sens, littéralement : ne plus faire du sur place, mais aller de l’avant ; ne plus m’épuiser sur le même chemin stérile, mais changer d’orientation ; au lieu de marcher vers l’arrière, empêtré dans le passé, marcher vers l’avant, vers l’avenir. Vers l’horizon.

Ce que l’appel de Dieu essaye de provoquer en moi, c’est un mouvement de sortie.

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Souvent, dans les Bibles, on traduit : « Abraham partit sans savoir où il allait », mais pour être tout à fait précis il faut traduire « Abraham sortit sans savoir où il allait ».

Il s’agit bien, en ce sens, d’une nouvelle naissance : sortir comme on sort du ventre de sa mère, sortir comme Noé sort de l’arche après le déluge, sortir comme les hébreux sortent de l’esclavage égyptien, sortir comme Jésus sort des eaux du baptême, sortir comme Jésus sort du tombeau.

Ce que l’appel de Dieu essaye de susciter en nous, c’est un mouvement de sortie. C’est un premier geste, un premier pas, une manière de changer sa vie, une manière de refonder son identité.

L’appel de Dieu nous permet d’amorcer un mouvement de sortie, afin de pouvoir s’émanciper de tout ce qui jusque-là nous empêchait de grandir et de devenir en vérité soi-même.

Notre vocation de chrétien, c’est de devenir un être humain adulte, libre et responsable, avec l’aide de Dieu.

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Dieu est pour nous comme un Père qui appelle son enfant, qui lui donne un nom, qui lui donne une place dans le monde des humains, qui le reconnaît comme digne d’être aimé, qui l’encourage par ses paroles, qui se réjouit le jour où l’enfant fait ses premiers pas, puis grandit, puis un beau jour (et c’est un beau jour !) quitte la maison et s’en va vivre sa propre vie.

La paternité ne consiste pas à garder ses enfants pour soi, comme une propriété, parce qu’on voudrait être adorés d’eux comme des dieux jaloux. Des pères jaloux de la liberté de leurs enfants ne sont pas des pères. Des pères qui se comportent en maîtres tout-puissants avec leurs enfants ne sont pas des pères.

Ce sont des dieux, des faux dieux évidemment, des idoles qu’il faudra bien renverser un jour si on veut vivre, vraiment vivre, ne serait-ce qu’une minute. Et le Dieu vivant, le Dieu d’Abraham, le Père de Jésus et notre Père à tous, est bien différent, vous l’aurez entendu j’espère, de tous ces faux dieux et de tous ces faux pères.

Il y a tant de manières d’être enfermé. Enfermé dans une origine dont je ne peux pas sortir. Enfermé dans des histoires de famille qui sont de véritables carcans. Enfermé dans des malheurs, des souffrances, des blessures dont je on se sent héritier et auxquels on ne pense pas avoir la force d’échapper.

Enfermé aussi, parfois, dans une histoire si prestigieuse, remplie d’ancêtres si glorieux, que l’on ne parvient jamais à se sentir suffisamment à la hauteur pour mériter sa place sur la terre… à moins que cela ne nous enferme dans un orgueil démesuré nous faisant ressembler à la femme de Loth changée en statue de sel, quand on croit ressembler à l’effigie dorée d’un dieu immortel.

On peut être enfermé dans le malheur, et on peut être enfermé dans le bonheur, dans des fiertés destructrices, dans des amours étouffants… On peut mourir de se croire fils d’Abraham parce qu’on appartient à la bonne lignée, parce qu’on présente le bon pédigrée et qu’on s’imagine que ça suffit !

On peut même mourir, je vous l’assure, de se croire protestants parce que nos arrière-grands-parents lisaient la Bible !

Il ne suffit pas d’avoir eu des ancêtres qui ont été des vivants pour être soi-même un vivant. Dieu n’a pas de petits-enfants, il n’a que des enfants.

Personne ne peut croire et vivre à notre place. C’est à chacun de sortir du connu pour aller vers l’inconnu, c’est à chacun d’arpenter le chemin de la vie et de prendre pour soi-même le risque de la foi.

Toujours est-il que, quand le poids de l’héritage est trop lourd, la force peut manquer.

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C’est là que la parole intervient pour accomplir son œuvre d’apaisement, d’encouragement et de libération. Par moi-même je ne peux rien et j’ai beau y user toute ma volonté, je constate échec après échec à quel point ma volonté est impuissante à résoudre mes problèmes.

Il y a quelquefois, de nombreuses fois, où vouloir ne suffit pas.

Et même, à force de vouloir et de toujours me fracasser contre les mêmes murs, je m’enferme encore plus dans l’échec, je m’enferre encore plus dans l’impasse.

Il faut que quelqu’un m’appelle. Même de loin. Il faut que quelqu’un me parle. Même tout doucement. C’est cela l’appel de Dieu :

la Parole qui se fraye un chemin jusqu’à moi, qui traverse l’épaisseur de mes résistances et qui inlassablement me dit : « Viens ! Sors ! Avance ! Allez, encore un pas ! ».

Et qu’importe si le pas accompli me semble tout petit : pour Dieu il n’y a pas de petite victoire. Es-tu sorti ne serait-ce qu’un instant de ta prison (quel que soit le nom que tu lui donnes), as-tu fait confiance à l’appel de Dieu ne serait-ce qu’un instant pour oser quitter ta mort et approcher de ta vie, réjouis-toi et prends courage : tu viens d’accomplir un pas sur le chemin de la foi !

La foi est confiance, confiance en la parole qui appelle, confiance en la parole qui apaise et qui éclaire.

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Freud raconte quelque part l’histoire d’un enfant qui a peur du noir et qui demande à sa tante, qui se trouve dans une autre pièce, de lui parler. La tante : « À quoi cela te servirait-il, puisque tu ne me vois pas ? » Et l’enfant de répondre : « Il fait plus clair lorsque quelqu’un parle. »

Frères et sœurs, en un sens, toute la foi est là. Dans ce mouvement de confiance aveugle en la douce puissance de la parole. C’est la parole qui donne la vie.

J’insiste : ce ne sont pas nos parents qui nous ont donné la vie. Nos parents nous ont transmis la vie, ce qui n’est pas du tout pareil. Ce ne sont pas nos parents, ni même nos lointains ancêtres, qui sont notre origine, car notre origine c’est la parole.  

C’est pourquoi il est vain de se revendiquer fils d’Abraham, fils de salaud ou fils de saint, car comme il est écrit dans l’Evangile, « de ces pierres-ci Dieu peut susciter des enfants à Abraham » (Mt 3, 9).

Nous sommes fils de la Parole, et cela suffit amplement à fonder notre identité.

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Frères et sœurs,

C’est la confiance en l’appel de Dieu qui nous fonde et renouvelle en nous le courage d’avancer, pas après pas, sur le chemin de la vie.

C’est la confiance en l’appel de Dieu qui peut vraiment donner, ou redonner, un sens à notre vie. En ce sens, croire c’est bien dire : je ne sais pas, mais j’y vais quand même.

J’accepte de ne pas tout maîtriser, mais je laisse faire un autre.

J’accepte d’être déplacé dans mes attentes ou mes certitudes.

J’accepte de sortir vers la vie que Dieu me promet.

Je ne sais pas qui est Dieu, mais je sais qu’au travers de la Bible et en Jésus il nous parle, et que cela suffit pour éclairer notre chemin.

Amen.

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