Rire avec Dieu : l’humour est-il incompatible avec la religion ?

Lectures Bibliques : Genèse 17, 15-17 et 18,1-15

Prédication

Un alpiniste escaladant une grande montagne tombe et il se rattrape in extremis à une paroi verglacée. Sentant ses mains glisser, il lance : « Il y a quelqu’un ? » Silence… Il répète plus fort :  « Il y a quelqu’un ? » Silence… Sentant qu’il va lâcher, il hurle de toutes ses forces : « Il y a quelqu’un ? » Une voix profonde lui répond : « C’est moi, Dieu. Si tu crois en moi, lâche tes deux mains, un ange te rattrapera. »
L’alpiniste réfléchit, puis crie à nouveau : »Il n’y aurait pas quelqu’un d’autre ? »

Pourquoi vous raconter cette histoire ? Pour commencer ce message en essayant de vous faire sourire, qui sait même, vous faire rire ? Rire avec Dieu, rire devant Dieu, rire à cause de Dieu, rire contre Dieu peut-être aussi ? Je veux partir d’un postulat de base avec lequel il est possible que vous soyez en désaccord : « Si ton Dieu ne t’a jamais fait rire et si tu ne peux pas rire avec lui, change de Dieu ! » Parce que, dans ce cas, ce dont tu parles n’est pas une Bonne Nouvelle, ce à quoi tu te réfères n’est pas l’Evangile…

Et pourtant on part de loin ! Surtout chez les protestants réformés : on se mord les joues pour ne pas nous taper sur les cuisses le dimanche matin, n’est-ce pas ?! C’est alors qu’en allant à Genève chez l’éditeur protestant Labor et Fides, je suis tombé sur un livre d’un grand théologien luthérien appelé Marc Lienhard qui vient de sortir en juin dernier : Rire avec Dieu. L’humour chez les chrétiens, les juifs et les musulmans. Et je me suis dit : Enfin ! Ce livre nous manquait. Il est plus que bienvenu dans ces temps moroses et catastrophistes. Plus que bienvenu également dans cette ambiance de radicalisation et d’hypersensibilité des uns et des autres où chaque parole, chaque caricature, chaque œuvre d’art est scrutée, décortiquée, utilisée et manipulée pour mettre le feu à des esprits déjà bien trop échauffés par la canicule… Bienvenu enfin parce qu’il se garde bien de prêter le flanc au dérisoire qui laisserait à penser que nous vivons dans une société « où tout serait drôle » pour faire écho à la crainte d’Olivier Abel cité par l’auteur pour conclure son essai.

Voilà donc un livre qui offre de la nuance et qui accepte aussi, sans pour autant s’y laisser enfermer, de regarder la face sombre des religieux qui se méfient tous, peu ou prou, des rieurs. Au fond la place laissée (ou non) au rire dans la foi révèle le rapport au monde du croyant : un rapport conflictuel avec la réalité intra mondaine se dévoilera dans un rejet du rire comme appartenant au domaine du monde.

Et justement… en refermant l’ouvrage, on ne peut s’empêcher de ressentir une petite déception. L’idée de départ est enthousiasmante et pour tout dire salutaire mais en fin de compte la moisson s’en trouve si maigre que l’auteur se voit contraint d’ouvrir grand le parapluie conceptuel pour glaner toute trace susceptible d’alimenter un si maigre ruisseau, flottant entre le rire (rarement), le sourire (de temps en temps), l’humour plus ou moins tiré par les cheveux, l’ironie douce-amère, la moquerie méprisante, le mot d’esprit caustique, la sagesse populaire pleine de bon sens jusqu’à la critique cinglante et agressive… C’est ainsi qu’on découvrira, sans doute un peu dépité, que mis-à-part le judaïsme il semble bien difficile de parler d’un humour spécifique aux chrétiens ou aux musulmans. Des croyants qui ont de l’humour, il y en a toujours eu dans toutes les traditions religieuses (et c’est fort heureux) mais point d’humour communautaire à l’horizon.

Alors, il fallait remonter le courant tel les saumons vers la source, ouvrir la Bible… Aurions-nous plus de chance ? Foin… Vache maigre et 7 années de disette dirait Joseph interprétant les songes de pharaon (Gen 41) ! Rien, mis à part une gigantesque et quasi systématique dénonciation du rire (cf. Ps 1,1 : voici l’homme heureux ! Il n’écoute pas les conseils des gens mauvais, il ne suit pas l’exemple de ceux qui font le mal, il ne s’assoit pas sur le banc des rieurs !). Et même si Jésus a changé l’eau en vin et pas l’inverse, ce qui est heureux pour nous et qui lui valut à l’époque le titre de glouton et d’ivrogne en chef (Matt 11,19), il n’y a strictement aucune trace néotestamentaire qu’il ait pu faire montre d’un quelconque rictus pouvant s’apparenter de près ou de loin à un sourire (alors je ne vous parle pas de gorge déployée et de molaire dévoilée).

Un personnage pourtant nous intrigue : Isaac. En hébreu, son nom signifie « RIRE » Il fallait aller voir par nous-mêmes ! Et l’histoire de sa conception est pour le moins étonnante. Il ne faut pas se laisser troubler par le récit de ces 3 visiteurs à qui Abraham rend les honneurs de l’hospitalité rendue à tout étranger faisant escale chez les nomades. Ce récit indépendant vient s’intercaler dans l’autre récit qui nous intéresse, celui de l’Eternel qui se déplace en personne pour annoncer à Abraham et Sarah qu’ils auront une descendance à l’âge canonique de la dessiccation. A chaque fois que Dieu apparaît et Abraham se jette face contre terre. Selon le principe que le péché ne peut subsister en présence de la sainteté, aucun homme ne peut prétendre regarder Dieu en face sans mourir. Donc Abraham se jette face contre terre en signe de crainte et de vénération. Mais en même temps, il rit dans son for intérieur : Naîtrait-il un fils à un homme de 100 ans ? et Sara, âgée de 90 ans, accoucherait-elle ? C’est proprement impossible ! Andropause et ménopause réunis ont sifflé la fin des rêves : « Adieu veaux, vaches, cochons, couvée » dit Perrette ayant cassé le pot au lait. Rire d’Abraham devant le ridicule d’une promesse électorale qui ne pourra pas être tenue. La fois suivante, Abraham est assis à l’entrée de sa tente : depuis l’entrée de sa tente, se prosterna en terre 3et dit : Seigneur, si je peux obtenir cette faveur de ta part, ne passe pas, je te prie, loin de ton serviteur. Sarah, elle, écoutait à l’entrée de la tente qui était derrière lui. Cette fois, c’est elle qui rit en elle-même en disant : Maintenant que je suis usée, aurais-je encore des désirs ? Mon Seigneur aussi est vieux. Rire de Sarah : il n’est même plus question de fécondité mais tout simplement de désir, de libido éteinte et donc d’activité sexuelle inexistante rendant la promesse de Dieu encore plus ridicule. Et là, Dieu est choqué. La première fois, il avait fait semblant de ne pas remarquer le rire d’Abraham. En tout cas, il n’avait fait aucune remarque au sujet du rire. Mais là, il ne passe pas. Il l’a en travers de la gorge visiblement : 13L’Éternel dit à Abraham : Pourquoi donc Sara a-t-elle ri en disant : Est-ce que vraiment je pourrais avoir un enfant, moi qui suis vieille ? Mais elle n’a pas dit ça Sarah : elle n’a pas mis en cause la puissance de Dieu pour donner de la vie à ce qui n’en a pas. Elle a mis en cause la possibilité d’avoir des enfants sans avoir des relations sexuelles. Ce n’est pas la même chose ! Visiblement le NT n’était pas encore d’actualité et Sarah n’avait pas encore été informée des opérations secrètes du Saint-Esprit… (Il y a d’ailleurs à ce sujet une magnifique blague racontée par Mgr Desmond Tutu qui raconte l’arrivée paniquée de Joseph devant l’auberge en criant « Ma femme va avoir un bébé, ma femme va avoir un bébé ! » Et l’aubergiste de répondre d’un ton détaché : « Mais je n’y suis pour rien… » Et Joseph de répondre : « Mais moi non plus !! ») Bref on assiste médusés à une drôle d’engueulade entre Sarah et Dieu au sujet de son rire : Pourquoi elle a ri ? demande Dieu. Mais je n’ai pas ri, répond Sarah. Et Dieu d’insister : Si tu as ri ! Visiblement Sarah ressent une sorte de gêne, de difficulté, de crainte à cause de son rire… Et visiblement Dieu l’a mal pris.

Les théologiens ont beaucoup réfléchi pour interpréter cette unique histoire qui concerne le rire dans toute la Bible…

  • Rire de l’incrédulité ? une sorte de moquerie contre un Dieu qui dit des choses non logiques donc non pas incroyables mais proprement ridicules…
  • Rire de la joie ? devant un plaisir immense ressenti face à un cadeau inespéré, incroyable, la joie imprenable de celui qui a gagné au loto sans avoir joué…
  • Rire de la confiance étonnée ? devant la confrontation entre la promesse de Dieu et la situation désespérée, il y a la place pour la confiance (l’autre mot de la foi) de celui qui espère contre toute espérance (Rm 4,18), l’espérance de la résurrection, la foi dans un Dieu crucifié.
  • Rire de l’adoration ? autrement dit, le rire de celui qui ne sait plus quoi dire, qui ne trouve plus ses mots parce qu’il n’y a pas de mot. Une sorte de rire involontaire, nerveux devant celui qui se dit : Y a-t-il quelque chose de trop prodigieux pour Dieu ?

Je veux ici donner la parole à un théologien juif qui s’appelle Armand Abécassis qui dit : « Le rire d’Abraham et de Sarah exprime justement leur réaction devant la violence et la rigueur de la nature exercées sur leur corps et leur âme. (…) Il reste à rire pour deux raisons : imaginer d’abord que l’impossible et l’extravagant se produisent, et l’on sait que c’est ridicule. On rit de soi quand on se croit capable d’imaginer une telle idée. Mais on rit encore de joie secrète (…) car on pense que ce serait justement l’unique issue parce qu’elle est interdite. Ce serait folie et ce serait merveilleux. Il vaudrait mieux ne pas en parler car on passerait pour un fou, et pourtant elle répondrait à notre attente désespérée. » (A. Abécassis, Le rire des patriarches, p.12-13, cité par M. Lienhard, op. cit., p21)

Voilà qui me parle. D’un point de vue théologique et spirituel, on se laisserait facilement convaincre…

Que le rire comme ironie gentiment moqueuse constitue une arme terriblement efficace pour désarmer l’adversaire et, même, pour le transformer à condition de ne pas réveiller le mépris qui sommeille dans le cœur du moqueur.

Que le rire comme prise de distance face aux difficultés traversées se révèle comme fruit de la confiance dans la grâce prévenante d’un Dieu souverain que les aléas de l’existence ne sauraient affecter.

Que le rire s’offre comme la manifestation joyeuse de la gratitude devant les dons de Dieu et le bonheur de jouir de la vie. En ce sens il se déguste comme fruit de la Grâce. Parce que l’Evangile est une Bonne Nouvelle, Dieu ne peut être qu’un « Dieu de la joie » pour reprendre l’expression de François de Sales…

Enfin, que le rire représente un formidable outil de désacralisation et de « profanation » de tout ce qui voudrait prendre la place de l’absolu et du divin en application du principe protestant du Soli Deo Gloria. En ce sens, on ne s’étonnera pas de ce que les juifs remportent la palme de l’excellence dans ce domaine. De fait seul le judaïsme semble tirer son épingle du jeu et, fait remarquable, c’est le chemin de l’humour sur soi et de l’autodérision qui apparaît comme le plus fructueux et le plus efficace accomplissement de la béatitude bien connue : « Bienheureux ceux qui savent rire d’eux-mêmes : ils n’ont pas fini de rigoler ! » Mais, bien entendu, pas de ça chez les protestants : « Chez nous tout est permis, du moment que ça ne fait pas plaisir ! »

Allez, puisque c’est les vacances, me permettez-vous une dernière boutade ? #Canicule#astuce : « Puisqu’il fait plus frais dans les Eglises, cette semaine passez-y au moins une heure par jour : cela vous fera du bien ! » Et là, un vieux monsieur très bien se penche vers son épouse et lui glisse à l’oreille : « Comme si le dimanche ne suffisait pas, maintenant il voudrait introduire la religion dans notre vie de tous les jours ! »

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4 commentaires

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