Lectures Bibliques : Matthieu 1, 18-25 et Philippiens 4,4-7
Prédication :
Soyez toujours dans la joie en étant unis au Seigneur ! Je le répète, soyez dans la joie ! Pourquoi le répète-t-il ? Paul ne s’adresse pourtant pas à des protestants que je sache… Parce que les protestants entretiennent en général une relation complexe et distante vis-à-vis de tout ce qui est festif. Et en particulier autour de Noël, nous mettons bien souvent en pratique cette maxime qui veut que chez nous, « tout est permis, du moment que ça ne fait pas plaisir ! » J’ai toujours eu l’impression que beaucoup viennent au culte au moment de Noël en espérant se faire bousculer… Ne faut-il pas y déceler un soupçon de masochisme mâtiné de culpabilité larvée ?
Nombreux sont ceux qui viennent au culte à ce moment-là pour entendre parler de ce bébé né dans une mangeoire au milieu des animaux parce qu’il n’y avait plus de place pour lui dans les chambres d’hôtel : au moment de faire la fête en famille, ils veulent alors se souvenir de ceux qui sont « sans » : les sans-abris, les sans-papiers, les sans-domicile-fixe, les sans-familles.
Nombreux sont ceux qui souhaitent retrouver à Noël la chaleur de la communauté de leur enfance sans oublier à ce moment-là le sentiment de solitude de ceux qui fêteront Noël seuls devant leur poste de télévision.
Nombreux sont ceux qui attendent que l’on dénonce l’hypocrisie de cette sorte de paix qu’on appelle « trêve des confiseurs » alors que la guerre fait rage dans notre monde.
Mais la dénonciation la plus attendue en ces temps de fête intensive, c’est celle de l’argent-roi… Nous avons tous dépensé des sommes folles pour faire des cadeaux, pour préparer un repas de fête ou pour venir de loin et nous venons au culte comme pour nous laver de cette débauche de consommation. Et nous sommes tous à l’écoute des déclarations publiques qui en appellent à résister au Noël consumériste parfois comparé à une dérive sectaire : « Nos parlementaires s’inquiètent des dérives sectaires dans nos églises alors que là, il y a une grande secte : le lavage de cerveau publicitaire avant Noël, dont le seul message est « Achetez ! ». Si vous n’achetez pas, vous n’êtes pas un bon citoyen ! C’est un lavage de cerveau dont personne ne s’offusque. Il y a un aveuglement. (…) Il faut résister ! » Et le pire, c’est qu’ils n’ont pas tort…
Mon Dieu, c’est vrai. Toutes ces dénonciations ont leur part de vérité : l’argent-roi, la frénésie des achats, le caractère absurde des fêtes obligatoires où l’on se doit de paraître heureux, la malédiction de la solitude des exclus, l’hypocrisie de la trêve des confiseurs… tout cela est juste. Il est important de faire entendre cette petite voix-là et nombreux sont ceux qui attendent que nous le fassions. D’ailleurs, il faut bien dire que la plupart des pasteurs sont plutôt mal à l’aise avec Noël… Passons sur la difficulté d’avoir à prêcher tous les ans sur les 2 mêmes textes (un chez Matthieu et un chez Luc), nous avons souvent le sentiment de nous retrouver dans la peau de ce brave Joseph qui, en homme juste obéissant à la volonté de son Dieu, se voit dans l’obligation de répudier cette fiancée fautive… Il peut arriver que nous soyons nous aussi tentés de répudier cette fête de Noël parce qu’elle ne correspond pas ce qu’elle devrait être, parce que nous avons le sentiment que la fête a fauté. Mais Joseph, en plus d’être un fidèle observateur de la Loi, est aussi un brave homme : pas d’esclandre, pas de scandale, pas de vengeance, c’est en secret qu’il veut de la répudier, en cachette, pour ne pas l’humilier en public… Et chaque année, la même tentation transparaît chez les prédicateurs : pas d’esclandre, pas de scandale, pas de vengeance… Juste une petite répudiation secrète, presque en catimini.
Mais est-ce vraiment une bonne chose ? Est-ce vraiment la volonté de Dieu ? Si nous continuons le parallèle entre notre histoire et celle du Joseph, c’est à ce moment-là que l’ange apparaît dans un rêve pour dévier le cours d’une histoire qui semblait déjà écrite… L’ange dit 4 choses à ce pauvre Joseph :
- N’aie pas peur : la peur ne mène à rien. Ne casse pas ce qui va naître.
- Ce qui arrive vient de Dieu même si tu as du mal à le croire.
- Il vient pour sauver et non pour condamner et rejeter.
- Il est Emmanuel, la présence de Dieu dans notre monde, ici et maintenant
Je vous propose de reprendre ces 4 affirmations aujourd’hui pour en quelque sorte réhabiliter la fête de Noël et faire en sorte que nous ne soyons pas des chrétiens honteux et mal à l’aise…
Je voudrais commencer par le dernier point : « Elle mettra au monde un fils. On l’appellera Emmanuel, ce qui veut dire « Dieu avec nous ». » Voilà ce que Dieu veut : être avec nous, tels que nous sommes et non tels que nous devrions être. Nous aimons Noël ? Soit. Notre façon de vivre cette fête est discutable ? Certes. Mais c’est justement là qu’il choisit de nous rejoindre. Notre Dieu ne vient pas nous visiter dans les cultes tristes qui culpabilisent ceux qui vont faire la fête juste après, non. Il veut aussi venir là où il y a de la joie partagée et du bonheur qui s’exprime. Parce que c’est là que nous vivons, c’est là que nous nous tenons, c’est là que nous existons, parce que c’est ce que nous aimons vivre. C’est donc là qu’il vient nous rejoindre. C’est un premier point important pour nous aujourd’hui. Il me plait, moi, que le christianisme ait donné naissance à cette immense fête populaire. Je déteste cette image qui colle à la peau des chrétiens de jouer les rabat-joie, les tristes sires. J’ai un souvenir terrible de cette question. Arrivant dans une nouvelle paroisse il y a plus de 15 ans, j’avais choisi les noces de Cana pour ma première prédication. Je voulais souligner combien il était important à mes yeux que Jésus ait changé l’eau en vin et non l’inverse. J’annonçais de la sorte mon souhait de prêcher un évangile joyeux et festif comme le vin distribué aux invités déjà ivres et non un évangile triste et culpabilisant comme l’eau qui sert à la purification des péchés. La présidente du CP de la paroisse avait reçu une très longue lettre remplie de colère d’un paroissien offusqué de ce que je puisse faire ainsi l’apologie de l’alcoolisme… Cela m’a beaucoup marqué mais je dois dire que je n’ai pas changé d’avis. C’est cet évangile-là que je voudrais partager avec vous. Voilà pourquoi je trouve important de fêter Noël sans culpabiliser. Pour ne pas se laisser fasciner par tout ce qui va mal dans notre vie, nous nous devons d’investir sur les moments joyeux et festifs pour leur donner une sorte de primauté, une première place. Pour ne pas laisser le dernier mot au manque et au malheur, à la difficulté de la vie de tous les jours, il est très important de « Se souvenir des belles choses », comme dit le titre d’un film.
L’ange du Seigneur dit une seconde chose à Joseph endormi : « L’enfant qui est dans son ventre vient de l’Esprit Saint. » C’est une énorme banalité mais Noël, c’est la fête d’un enfant. C’est la fête qui nous fait retrouver l’enfant qui sommeille au plus profond de nos vies. Dans l’évangile de Matthieu : « Jésus appelle un enfant et le place au milieu d’eux et il dit : je vous l’affirme, c’est la vérité : si vous ne changez pas pour redevenir comme un enfant, vous n’avez aucune chance d’entrer dans le Royaume des cieux. Si quelqu’un se fait petit comme cet enfant, il sera le plus grand dans le Royaume des cieux. » (Matthieu 18, 1-5) Voilà une chose essentielle que nous vivons à Noël : une sorte de rite de passage à l’envers où il s’agit de redevenir comme un enfant. Un temps à part où enfin on s’autorise à ne plus porter le poids des soucis financiers, des obligations sociales et des responsabilités professionnelles. Noël, c’est le moment où l’on a le droit de ne pas être sérieux… En préparant la fête, la veillée ou le culte de Noël, j’essaie toujours de raviver les souvenirs d’enfance des anciens par des chants traditionnels, par des lumières, par une ambiance à part. J’essaie aussi de marquer la mémoire des petits pour qu’à leur tour ils puissent dire : quand j’étais petit, on allait au temple pour Noël, il y avait une ambiance extraordinaire, c’était génial… La fête de Noël doit être un moment à part, un point de repère dans le déroulement de notre propre histoire, un anniversaire qui marque nos mémoires et qui permet de retenir le temps qui passe en faisant un pied de nez à l’angoisse liée à la fuite du temps, à l’inconnu de l’avenir.
Dans le rêve de Joseph visité par l’ange, vient alors le 3ème message que je retiens : « Joseph, fils de David, n’aie pas peur de prendre chez toi Marie, ta femme. » N’aie pas peur : quel beau message en vérité. Ne laisse pas la peur diriger ta vie… Il est vrai que le spectacle de la marche du monde a toutes les raisons de nous inquiéter. Et il faut regarder en face les difficultés que nous devons affronter : la guerre pour l’énergie fossile qui ne fait que commencer, la terre en voie de destruction massive pour cause de réchauffement climatique et autres insouciances écologiques, et la croissance exponentielle d’une population mondiale essentiellement dans des pays pauvres et impossible à contenir dans leurs frontières… C’est vrai, devant le spectacle de la marche du monde, nous avons toutes les raisons d’avoir peur… Et pourtant ! Parce qu’il met en scène un monde harmonieux et pacifié, Noël c’est un temps à part pendant lequel l’humanité se prend à rêver de bonheur et de douceur. Un temps entre parenthèse qui nous autorise à nous laisser guider par nos rêves et qui nous empêche de sombrer dans le pessimisme : non, tout n’est pas foutu ! Avez-vous vu ce film qui s’appelle Joyeux Noël et qui raconte cet épisode émouvant de la guerre 14-18 : des soldats français, anglais et allemands, sortant de leurs tranchées pour fêter Noël ensemble… Le rêve d’une humanité réconciliée… Quel beau rêve n’est-ce pas ? Oui, fêter Noël nous permet de dire à la face du monde que l’humain est capable d’être généreux, que l’amour est un guide de vie extraordinaire, que la paix du monde est possible… N’aie pas peur ! Qui pourrait se passer d’un tel message d’espérance ? C’est un médicament que Dieu utilise pour réparer les blessures du monde. J’ai à ce sujet un souvenir fondateur pour moi. Je suis arrivé au Maroc en tant que pasteur en plein Ramadan. Il était impossible de faire la moindre course : toutes les boutiques sont fermées. Mon premier contact avec les musulmans du quartier fut d’être invité au F’tour, repas festif qui commence par du lait et une date pour continuer dans la surabondance du partage, du don, de la joie, de l’hospitalité. Cela a marqué d’une manière indélébile mon regard sur l’islam. Je sais qu’il y a bien d’autres choses difficiles, violentes et terribles au sujet de l’islam. Mais je sais aussi qu’il y a autre chose. Et je l’ai découvert non pas chez les intellectuels, les théologiens, les gens importants, mais dans le petit peuple. Et ce quelque chose est festif ! Faites-vous inviter à l’Aïd : vous soignerez votre regard sur l’islam. La fête est le médicament du monde parce qu’elle nous permet de voir l’autre à travers ce qu’il a de meilleur, de plus beau, de plus généreux, de plus joyeux. La Fête nous permet de soigner au sens de prendre soin, pour réparer les liens, retisser les relations, faire corps, apprendre à vivre ensemble, faire communauté humaine. Notre monde en a besoin pour se soigner de la barbarie qui pointe son nez.
Me voici arrivé au 4ème message de l’ange à Joseph. A mes yeux, sans doute le plus important. Je vous le rappelle pour mémoire avant de vous expliquer pourquoi je l’ai gardé en conclusion : « Elle va mettre au monde un fils, et toi, tu l’appelleras Jésus. En effet, c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » Jésus, celui qui vient nous sauver… Mais nous sauver de quoi ? De quels péchés parlons-nous ? C’est ici que je retrouve la pertinence des dénonciations du début de mon message. Oui c’est vrai, notre manière de fêter Noël s’apparente souvent à faire nos dévotions religieuses de rigueur devant le dieu de notre temps : la croissance du pouvoir d’achat… Travailler plus pour consommer toujours plus… Il est de bon ton dans le christianisme de dénoncer le bien encombrant Père Noël en l’opposant au petit Jésus qui ne fait guère le poids… Au fond, n’avons-nous pas tort de crier au loup sur ce point ? Derrière cette mise en scène des cadeaux, ne devrions-nous pas nous réjouir devant ce qui rappelle que notre vie commence et se termine par un cadeau venu de Dieu ? Le Père Noël ? On ne sait rien de lui : ni qui il est ni d’où il vient. Ce que tous les enfants savent en revanche, c’est que sa raison d’être consiste à faire un cadeau à chaque être humain quel qu’il soit. Un cadeau sans aucune notion de mérite. Sommes-nous à ce point obtus pour ne pas y reconnaître une occasion formidable de faire comprendre de manière très concrète et très réaliste aux enfants et aux non-croyants ce que c’est que la grâce ? Et si nous disions cela en offrant nos cadeaux : je t’offre ce cadeau juste pour te dire qu’il y a de l’amour gratuit pour toi et que cet amour vient de Dieu… Toute notre vie, gardons l’envie de dire « merci », développons chez nos enfants et petits-enfants l’esprit de reconnaissance et d’émerveillement. Non tout n’est pas normal, tout n’est pas un dû : il y a des cadeaux dans la vie et fêter Noël nous rappelle que la vie peut être un cadeau. Joyeux Noël à tous !
Un commentaire
Merci Dieu est pour nous.