Qui m’aime me suive !

Lecture Biblique : Marc 8, 27-36

 

Prédication

« Qui m’aime me suive ! »

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cet épisode sonne comme une déconvenue. On a l’impression que ça tourne un peu au vinaigre, qu’on passe du meilleur au pire … et … en un rien de temps.

En effet, tout commence bien, tout commence pour le mieux. Jésus demande à ses disciples qui il est aux yeux des gens. Et si les gens n’ont pas perçu encore qui il est véritablement, en l’associant à des figues aussi importantes et décisives que Jean-Baptiste, Élie, elle lui reconnaît plutôt une belle autorité et une très grande valeur.

Et lorsque Jésus précise sa question en leur demandant à eux qui ils pensent qu’il est, et qu’ils répondent au mieux c’est à dire qu’ils répondent par la bouche de Pierre qu’il est le Christ, on se dit que tout commence pour le mieux.

Jésus est bien vu par la foule.

Certes, elle n’a pas encore pigé qu’il est mieux qu’un prophète mais après tout c’est déjà pas mal, la popularité est déjà bonne et elle ne peut qu’augmenter et aboutir à la vérité à savoir qu’il est le Christ. Et du reste le fait que les disciples par la bouche de Pierre l’ont bel et bien perçu ainsi laisse semble-t-il augurer qu’en effet il finira par être ainsi reconnu par tous, sans exception.

Mais du coup, frères et sœurs, ce qui paraît incompréhensible, c’est bel et bien la suite, c’est bel et bien la réaction de Jésus à cet état de fait qui semblait pourtant si favorable.

 

Le texte nous dit que Jésus, après avoir entendu son disciple, Pierre, dire qu’il était le Christ « leur recommanda sévèrement de ne dire à personne ce qui le concernait ». Et là bien évidement on ne comprend plus grand chose.

Et non seulement on n’y comprend plus grand chose mais on se demande même si il ne faut pas lire les choses à l’envers.

C’est à dire qu’en fait quand la foule voit en lui Jean Baptiste ou Élie, il ne faut pas se dire qu’elle n’est pas loin et qu’elle a presque compris qui il était, mais il faut apparemment plutôt comprendre que tant mieux elle n’a pas encore saisi qui il est, tant qu’elle croit cela c’est bon, et les disciples eux qui ont compris du coup doivent se taire absolument.

On a l’impression que Jésus préfère ne pas être reconnu, et que s’il pose la question, c’est en préférant qu’une incompréhension demeure.

C’est un premier hic.

Un premier hic qu’on peut encore surmonter en se disant qu’après tout, Jésus n’est pas un orgueilleux et qu’a la différence de beaucoup de personnages célèbres ou importants, il ne cherche pas à être compris et reconnu dans sa grandeur.

Au fond, on peut se dire que c’est parce que Jésus sait trop bien comment l’humain aime les hautes marches des podiums qu’il refuse d’entrer dans cette logique.

Mais ça ne s’arrête pas là.

Il ne cherche pas seulement à rester masqué ou caché puisqu’il continue en allant plus loin, en annonçant sa chute : il annonce qu’il va souffrir, qu’il va être rejeté qu’il va être mis à mort.

Il annonce aussi qu’il va ressusciter le troisième jour, mais « ressusciter » ça ne veut rien dire pour des gens dans la situation des disciples.

Ce qui est sûr en revanche, c’est que pour des gens dans la situation des disciples, entendre cela c’est un renversement violent, c’est un choc. Et il n’y a absolument rien d’étonnant à ce que Pierre – le pauvre – n’y comprenne plus rien et exprime son désarroi.

Chez Marc à la différence de Matthieu (« à Dieu ne plaise, Seigneur, cela ne t’arrivera pas ») on ne sait pas ce que dit Pierre. Chez Marc il n’y a pas de détail, mais on peut se dire que peut être ce qui choque Pierre c’est qu’il n’est pas convenable que le Christ, le messie se laisse aller à une telle déchéance.

Certes il existe bien les prophéties d’Esaïe qui laissent entendre que le messie pourrait bien venir sous une forme inversée, c’est à dire en souffrant, mais c’est plus facile à entendre qu’à voir en réalité et surtout qu’à accepter réellement.

Surtout encore une fois lorsqu’il paraît évident que l’opinion publique par le biais de la foule emboîte le pas, est favorable à la cause, et que Jésus a manifestement un gros potentiel pour changer les choses (il parle bien, guérit, fait des miracles etc.).

Or, en réalité, dans l’évangile de Marc, c’est dès le début de son ministère que Jésus refuse d’être reconnu, et lorsqu’il l’est, il commande sévèrement de ne le dire à personne. Et bien évidement, les gens se mettent à parler quand même.

En théologie, on a l’habitude d’appeler cette spécificité, le fait que Jésus refuse qu’on révèle qui il est, qui encore une fois est surtout dans l’évangile de Marc, le « secret messianique ».

Ce matin je vous propose de rattacher ce secret et donc ce silence imposé à un autre silence qui est celui des femmes au matin de Pâques qui constatent le tombeau vide.

On nous dit en effet que ce matin là, après leur découverte, les femmes étaient tremblantes et hors d’elles-mêmes et qu’elles ne dirent rien à personne à cause de leur effroi.

Vous me demanderez quel rapport y a-t-il entre ce secret messianique qui ressemble peut-être un peu au secret des justiciers masqués tels Zorro, Superman ou encore Batman cachant leur identité pour rester efficace et libre et ce silence des femmes qui vient de la peur la plus crispée ?

Oui, finalement, quel rapport entre ne pas révéler que Jésus est le Christ et la découverte du tombeau vide ?

Le rapport, c’est le « hiatus », c’est la coupure, la discontinuité, la cassure, le temps d’arrêt.

Pause

Si Jésus ne veut pas qu’on dise qu’il est le Christ, ce n’est pas pour le cacher ou plus exactement pour le masquer comme Zorro ou Batman, mais c’est parce qu’on ne peut le comprendre que dans l’après coup, dans l’après coup d’un hiatus justement.

Et c’est pour cela que même si ça paraît étonnant et un peu fou, il faut dire que ce que les femmes ont vu en voyant le vide du tombeau qui les a mis dans le désarroi ce n’est pas rien, ce n’est pas un défaut.

Ce n’est pas une absence au sens qu’elles seraient arrivées trop tard lui étant déjà parti, mais au contraire elles ont vu tout ce qu’il y avait à voir.

Prenons un exemple.

Imaginons des gardes qui entrent dans une cellule, voient les barreaux sciés et donc le captif parti. Ils seront peut être étonnés : comment a-t-il fait pour scier ses barreaux alors qu’on l’avait fouillé ? Ils pensent certainement que si ils étaient arrivé un poil plus tôt, ils auraient entraperçu le postérieur de l’évadé en train de sauter de l’autre côté ou les semelles de ses chaussures.

 

Autrement dit, le vide de la cellule renvoie à la fuite, et cela peut être troublant si la fuite était considérée comme impossible mais dans tous les cas les gardes ne vont pas rester là sur place, ils vont immédiatement se mettre sur les traces du fuyard. Ils vont eux mêmes escalader la fenêtre pour tenter de voir quelque chose, ou éventuellement faire le tour s’ils sont trop gros ou maladroits.

Alors que le vide du tombeau, lui, ne renvoie pas à une fuite, il renvoie à l’impossibilité de capturer, de saisir, de figer Christ. Devant le vide du tombeau il n’y a pas de fuite, il n’y a pas de point de fuite, impossible de courir à la fenêtre ou vers une quelconque issue. Le vide du tombeau est en quelque sorte plein d’un mystère.

Pour préciser encore cette idée je vous ferais part de cette rêverie de théologien : je ne vois pas, je n’imagine pas Jésus ressuscitant sortir du tombeau comme l’évadé qui enjamberai la fenêtre de sa cellule pour partir, je ne vois pas, je n’imagine pas alors que la nuit est encore sombre et que le matin ne pointe pas encore, la pierre rouler et l’ombre de Jésus sortir (comme Lazare qui sort du tombeau).

Non pas parce que ce serait trop surnaturel mais parce qu’en effet la résurrection n’est pas une évasion, une fuite, une présence qui s’absente mais c’est une manifestation et donc la manifestation de quelque chose de présent, de quelque chose qui est là.

C’est pourquoi je dis que le vide du tombeau ne renvoie pas à la fuite, au corps évadé parti, enfui ailleurs. Mais le tombeau renvoie à la manifestation du vide en tant que tel c’est à dire à l’impossibilité de capturer, de saisir ou de figer Christ.

Et d’ailleurs nous savons bien que tous ceux qui vont rencontrer Christ après la résurrection ne le reconnaîtrons pas ce qui veut bien dire qu’il n’est pas cette espèce de fugitif, mais qu’il a en quelque sorte été transfiguré par ce vide du tombeau. Un vide encore une fois qui n’est pas rien mais qui est présence mystérieuse.

Du coup si j’ai fait ce détour un peu long par le tombeau et son vide c’est pour interpréter ce secret messianique.

Et avec ce que je viens de dire on peut du coup penser que si Jésus commande de ne dire à personne qui il est, c’est parce que d’une certaine manière il ne peut pas être dit.

Non pas parce que son nom comme celui de l’Éternel en hébreu n’est pas prononçable mais parce que ce terme « Christ » et surtout ce à quoi il renvoie ne peut pas être explicité dans la langue autrement que par le défaut de la langue.

Nous avons tous fait cette expérience où l’on dit « les mots me manquent », hé bien en un sens le terme Christ n’est invoqué correctement que s’il vient à la place où les mots manquent, et non pas lorsqu’il est invoqué pour désigner le portrait type du messie politique, du libérateur d’Israël, du Roi de Jérusalem.

Et si Christ ne vient pas pour répondre au désir ambigu des humains mais pour les libérer alors son identité vient à la place ou les mots manquent et cette place dérange, chamboule, bouscule. Et c’est bien évidemment ce que fait Jésus lorsque contre tout attente il précise par quoi le Christ doit en passer.

Ça veut donc aussi et surtout dire qu’on ne peut le reconnaître, reconnaître qui il est que dans l’après coup, dans l’après coup des effets de sa présence qui vide le tombeau, dans l’après coup des effets de son nom qui dérange la langue.

Christ est présent dans nos vies, il les visite mais c’est dans l’après coup que nous pouvons en prendre conscience et en reconnaître quelque chose qui soit vrai. Et on sait qu’en l’occurrence les disciples et Pierre en particulier ne sauront véritablement qui est leur maître que dans l’après coup de la croix et de la résurrection, après être passé par pas mal d’expériences et d’épreuves.

Croire cela c’est donc accepter une certaine patience, accepter l’imperceptible, accepter un indicible, accepter l’après coup et ses effets, accepter le dérangement (on peut penser au « téléphone en dérangement »).

C’est peut être bien cela porter sa croix et suivre Jésus.

Amen.

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