Lectures Bibliques : Ézéchiel 37,1-10 ; Jean 10,27-30 ; Actes 13,14-52
Prédication :
Qu’est-ce qu’une prédication réussie ? Quand Paul prêche ce jour-là dans la synagogue d’Antioche de Pisidie, il semble bien que sa prédication ait été d’une redoutable efficacité : « A leur sortie de la synagogue, on leur demande de revenir le sabbat suivant, et de parler des mêmes choses (…) Et le sabbat suivant, presque toute la ville se rassemble pour entendre la parole du Seigneur. » Presque toute la ville !! Quel redoutable prédicateur ce Paul ! J’envie son efficacité…
Alors j’ai essayé de décortiquer sa prédication pour en démonter le mécanisme et essayer d’y repérer ce qui la rendait apparemment si efficace. D’abord, je remarque que Paul répond à l’invitation des chefs de la synagogue : « Frères, est-ce que vous voulez dire quelques mots aux gens pour les encourager ? » Autrement dit, il ne force pas le passage, il répond à une demande, à un besoin, un manque. Autant il est difficile de donner à boire à quelqu’un qui n’a pas soif, autant il est important d’entendre les besoins et les demandes d’où qu’elles viennent, quelles qu’elles soient. Voilà un premier point qui me tient à cœur : nous n’avons pas à juger les demandes qui nous sont faites, à faire le tri, à juger, à mépriser les unes pour honorer les autres. Toutes les demandes doivent être accueillies parce qu’elles sont autant d’occasions de faire entendre l’évangile. En disant cela, je pense aux gens qui viennent pour un mariage, un baptême ou un enterrement. Je pense aux gens qui visitent notre temple le jeudi midi. Autant d’occasions d’annoncer la parole du Seigneur.
Alors, comment va-t-il faire pour les encourager ? Si je reprends sa prédication, je découvre que Paul va essayer de toucher personnellement ses interlocuteurs en s’adressant à eux directement. Il ne va pas déverser un discours préétabli mais il va chercher à les toucher là où ils en sont dans leur vie. Plusieurs fois il s’adresse à eux directement en les incluant dans un « nous » : « Frères, c’est à nous tous que Dieu envoie cette parole pour nous sauver. (…) Et nous, nous vous annonçons cette bonne nouvelle : la promesse faite à nos pères. » Il faut savoir pour bien comprendre que, pour un juif pieux, la période du roi David fonctionne comme un âge d’or, un temps mythique de l’histoire d’Israël où le peuple était libre et en paix sur sa terre, le seul moment de toute son histoire d’ailleurs. Un temps béni où la terre promise n’était occupée par aucune puissance étrangère. Paul remonte alors toute l’histoire du peuple élu depuis l’origine : la libération de l’esclavage en Égypte, le don de la terre promise, un roi qui protège le peuple de ses ennemis. Le temps du bonheur et de la liberté. Et c’est là précisément qu’il va leur parler de Jésus, fils de David. « C’est dans la famille de David que Dieu a fait naître, comme il l’avait promis, un Sauveur pour le peuple d’Israël. » Jésus, le nouveau David. Mais avec une différence majeure de Jésus par rapport à son ancêtre. « Quand David est mort, on l’a enterré auprès de ses ancêtres et il a pourri dans la tombe. Mais Jésus n’a pas pourri dans la tombe : Dieu l’a réveillé de la mort. » Le roi David est mort et avec lui le rêve de bonheur et de liberté du peuple. Avec Jésus, fils de David, cette espérance et cette promesse deviennent une réalité qui ne disparaîtra plus jamais puisqu’il est ressuscité. Autrement dit, la résurrection de Jésus vient rendre éternel le bonheur qui avait été vécu lors du règne du roi David. Voilà une clé essentielle à mes yeux. Vous avez besoin d’encouragement dans votre vie ? Alors remontez dans votre histoire jusqu’à votre dernier souvenir de bonheur, votre dernière sensation de bien-être, de liberté, de joie et de douceur. (…) Vous y êtes ? Vous avez en vous ce souvenir ? Eh bien, c’est cette réalité-là que Jésus vient rendre définitivement vivante pour chacun d’entre nous. Une prédication d’un bonheur et d’une liberté qui ne peuvent pas se perdre… Voilà la seconde clé d’une prédication réussie.
On en arrive même à oublier celui qui prononce la prédication pour ne retenir que l’essentiel : « Toute la ville se rassembla pour entendre la parole du Seigneur ». Voilà, nous dit Luc, le cœur d’une prédication réussie, quand les auditeurs ne viennent plus écouter un discours donné par un orateur, si brillant théologien soit-il, mais quand ils se rassemblent pour entendre la parole du Seigneur. Une bonne prédication fait parler directement le Seigneur. Une prédication réussie rend concrète la présence du Seigneur dans nos vies. C’est la définition même de la prédication donnée D. Bonhoeffer à ses séminaristes de l’Eglise Confessante qui, de 1935 à 1937, venaient se former dans le séminaire pastoral clandestin de Finkelwalde. « La Parole prêchée est le Christ incarné lui-même. (…) Elle est le Christ lui-même marchant comme Parole au travers de sa communauté.[1] » La prédication, ce n’est pas un discours qui explique Dieu. Ce n’est pas non plus un cours de théologie, ni une exégèse biblique, ni une méditation philosophique, ni une analyse géopolitique, ni une conférence historique, ni un cours de morale. C’est une Parole qui fait venir Dieu dans nos vies et qui par-là même fait advenir le Corps du Christ. Il n’y a pas de prédication réussie tant que vous n’entendez pas le Christ lui-même vous parler. Il n’y a pas d’Eglise tant que nous n’avons pas conscience d’être en présence du Christ qui vient dans sa Parole et par sa Parole faire « toutes choses nouvelles ». C’est ce que dit Jésus dans l’Évangile de Jean : « Mes moutons entendent ma voix. Moi, je les connais et ils me suivent. Je leur donne la vie avec Dieu pour toujours ; ils ne mourront jamais, et personne ne pourra les arracher de ma main. »[2] Une présence réelle et efficace qui change la vie : « Ainsi en est-il de ma parole qui sort de ma bouche : elle ne retourne pas à moi sans effet, sans avoir exécuté ma volonté et accompli avec succès ce pour quoi je l’ai envoyée. »[3] La présence de Dieu vient changer notre vie réelle et concrète. Bref, la Parole est efficace.
Mais moi, je crois que c’est précisément ici, sur ce point, que les choses se compliquent et deviennent difficiles… D’ailleurs, dans notre récit des Actes des Apôtres, c’est précisément quand l’apôtre commence à mesurer l’efficacité de sa prédication que la situation se dégrade et que la machine se grippe. Non pas tant à cause du contenu de ce qu’il dit, mais à cause des résistances qui sont nées à ce moment-là, face à l’efficacité de la parole qui change nos vies. « Quand les juifs voient cette foule, ils sont remplis de jalousie, ils se mettent à dire tout le contraire de Paul et ils l’insultent (…) Les juifs entraînent avec eux des femmes de rang élevé qui adorent Dieu ainsi que les notables de la ville. Ils poursuivent Paul et Barnabas pour leur faire du mal et ils les chassent de leur pays. » L’efficacité de la Parole provoque donc des résistances et des oppositions. Elle n’est ni long fleuve tranquille ni un chemin pavé de roses. Suivre le Christ c’est aussi rencontrer l’adversité, l’opposition, le rejet. Est-il possible de « mesurer » l’efficacité de la Parole aujourd’hui encore ? Je sais que ça ne se fait pas. Il faut laisser ce genre de discours au monde des affaires et à la société de consommation. C’est sans doute vrai mais je ne peux pas m’empêcher de me poser la question quand même. Qu’est-ce qu’une Parole de Dieu qui ne produirait aucun fruit ? Qu’est-ce qu’une prédication qui se contenterait de discourir pieusement sur le sexe des anges ? Efficacité, projets, croissance numérique, cible financière, mission, évangélisation… Faut-il bannir tous ces mots de notre vocabulaire ecclésial ? Le mot prosélytisme est devenu tabou. Et pourtant… Bien entendu il n’est pas question de s’adonner au « forcement des consciences » comme le disait Sébastien Castellion. Mais si j’en crois le dictionnaire, le prosélyte est celui qui s’approche, celui qui vient vers vous. Sur le seuil, il voudrait rentrer… Et moi, je ne peux pas m’empêcher de tressaillir de joie quand quelqu’un entre dans notre église et découvre le Seigneur dans sa vie. C’est ça le prosélytisme : le résultat d’une prédication efficace. Rien d’autre… Et s’il ne se passe rien quand nous prêchons, devons-nous en conclure que nous n’annonçons pas la Parole de Dieu ? La difficulté est là. Pour moi, la parole de Dieu est efficace.
Mais une autre question se pose, bien plus cruciale. Comment parler d’efficacité de la Parole de Dieu face à des situations désespérées qui nous échappent totalement. Il m’est arrivé d’accompagner des paroissiens qui se savaient en train de mourir. J’ai en mémoire un père de famille atteint de la SLA, qui, inexorablement, voyait ses membres se paralyser l’un après l’autre. Avec son épouse et sa fille qui était de mes catéchumènes, nous savions qu’il allait mourir étouffé. Quelle parole de Dieu efficace dans ce cas-là ? Lui, dans son fauteuil roulant, perdant toute autonomie mais conservant toute son acuité intellectuelle, son épouse qui, tout en assumant au jour le jour, sentait ses forces et sa volonté faiblir et l’abandonner face à sa fille adolescente qui hurlait sa colère et sa révolte. Qu’est-ce que c’est qu’une Parole de Dieu efficace dans ce cas ? Je me sentais terriblement démuni, vide, impuissant… J’ai enterré ce paroissien. Et pourtant, 10 ans plus tard, l’adolescente révoltée, après s’être perdue sur des chemins de traverse, est devenue une brillante avocate au barreau de Lyon. Elle m’a demandé de célébrer son mariage l’été dernier et elle en a profité pour témoigner devant tous les invités combien la Parole de Dieu que nous avions partagée ensemble dans ces temps de désespoir, avait été efficace pour elle, en transformant sa vie.
Aujourd’hui la même question cruciale se pose dans les temps troublés que nous traversons. Qu’est-ce qu’une Parole de Dieu efficace face au désespoir dévastateur autant qu’irrationnel des gilets jaunes ? Qu’est-ce qu’une Parole de Dieu efficace face à la montée inexorable des extrémismes nationalistes ? Qu’est-ce qu’une Parole de Dieu efficace face à la catastrophe inéluctable provoquée par le réchauffement climatique ? C’est ici que je retrouve le prophète Ézéchiel emmené par la main de Dieu dans la vallée d’ossements complètement desséchés. Et Dieu nous dit devant ces situations qui nous laissent véritablement impuissants : « Humain, ces ossements pourront-ils revivre ? » Vous me connaissez suffisamment pour savoir que je ne suis pas soupçonnable d’être particulièrement attiré par les miracles et la pensée magique. Alors dans la question de Dieu à Ézéchiel, moi j’entends une question fermée qui n’appelle qu’une réponse claire : « Non Seigneur, des ossements ne peuvent pas revivre. Toutes ces situations personnelles, humaines, politiques et planétaires sont, à vue humaine, sans issue. » Et pourtant, ce n’est pas ce que répond le prophète : « Seigneur Dieu, c’est toi qui le sait ! » N’est-ce pas effronté et impertinent de répondre de la sorte ? Sans doute ! Mais surtout, c’est d’une part le signe d’une impuissance assumée : « Je ne peux rien faire par moi-même pour redonner vie à ces ossements, cela dépasse mes compétences. », mais d’autre part aussi le signe d’une ouverture totale et confiante : « Si toi tu peux faire quelque chose, alors fais-le ! » L’aveu d’impuissance est aussi l’aveu d’une confiance infinie dans la puissance de la Parole de Dieu. Et justement, Dieu demande au prophète de prophétiser sur les os : « Tu leur diras : ossements desséchés, écoutez la parole du Seigneur ! » C’est quand même étonnant de demander à des os d’écouter la Parole de Dieu… Et bien je dois vous avouer que j’ai envie de le faire pour toutes ces situations critiques auxquelles nous sommes confrontés. Je veux en appeler à la puissance de vie de la parole de Dieu. Si sa parole est efficace, alors, pourquoi pas pour eux, pourquoi pas maintenant ? Voilà la vérité, je voudrais prier pour la guérison de toutes ces situations désespérées qui me laissent impuissant.
J’ai vraiment envie de prier pour ces guérisons, et en même temps, j’en ai terriblement peur : peur de donner de faux espoirs, peur de me décrédibiliser si ça ne fonctionne pas, peur de la pensée magique, peur de me prendre trop au sérieux. J’ai terriblement peur et en même temps, du plus profond de mon être, je crois à l’efficacité de la Parole de Dieu. Pas à mon efficacité personnelle, non ! Je me connais bien, et je sais que je n’ai aucun fluide dans les doigts… Mais je suis témoin que la Parole de Dieu prend corps dans notre monde pour le changer, pour le transformer, pour le sauver.
Alors, Voilà les questions qui me traversent en ce moment. A la question du Seigneur : « Ces ossements peuvent-ils revivre ? » Moi je réponds comme le prophète : « Seigneur Dieu, toi tu le sais ! » Moi je ne le sais pas. Moi je me sens totalement impuissant et en même temps totalement confiant en l’efficacité de ta Parole. Oui, Seigneur, que ta volonté soit faite ! Amen.
[1] D. Bonhoeffer, La Parole de la prédication. Cours d’homilétique à Finkenwalde, Labor et Fides, p.23-24.
[2] Jean 10,27
[3] Esaïe 55,11
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