Quels chrétiens allons-nous décider d’être ?

Lectures Bibliques :

Jacques 1,25 et 2,12-13 ; Romains 12,2 ; 1 Corinthiens  6,12 et 10,23-24

Prédication

Hier soir, je participe à une petite conversation sur Messenger avec des jeunes qui font référence à un article de Charlie Hebdo sur le rire comme première arme contre le totalitarisme et le manque d’humour réel ou supposé des croyants et notamment des chrétiens… Et mon interlocutrice de m’interpeler pour finir notre échange en me disant : « Mets-nous une bonne dose d’humour dans ta prédication demain, on en a besoin en ce moment ! Bises »

Me voilà dans de beaux draps ! Quiconque me connaît ne peut ignorer mon goût pour les blagues douteuses directement héritées de ma mère… Mais quand même ce que nous traversons une période assez peu propice à la franche rigolade.

Alors je vous pose la question pour ouvrir notre échange par le chat. Quel est votre état d’esprit ce matin ? Comment encaissez-vous ce double choc des fanatiques islamistes qui s’en prennent aux chrétiens et du re-confinement généralisé pour tenter de juguler cette pandémie que nous espérions derrière nous ? Parce que c’est un ascenseur émotionnel incroyable dans lequel nous sommes montés ces dernières semaines avec ces décharges à répétition provoquées par ces attentats qui se multiplient (Conflans Ste Honorine, Nice, Avignon, Lyon…) Ce genre d’émotion qui vous submerge et qu’il est nécessaire d’évacuer pour retrouver du sang froid, se retrouve immédiatement confiné sous une chape de plomb, un couvercle qui se referme par un enfermement aussi nécessaire que contraint. Et je ne vous parle pas ici de ce qui est presque devenu un bruit de fond venu de plus loin tel que la démocratie américaine au bord de la guerre civile, la crise climatique qui atteint des niveaux dramatique ou les agressions continues du président turc qui se cherche un ennemi au travers du président français…

Comment réagissons-nous ? Au moment où nous devions célébrer la fête de la Réformation (31 août 1517), quel est l’impact de notre foi protestante pour assumer ce qui nous arrive ? Allons-nous privilégier le combat de la liberté ou celui de la fraternité ? Ou plus simplement, quel genre de chrétien allons-nous être ?

C’est ici que j’aimerais faire appel à votre sens de l’humour. Et puisque le seul humour qui ne fasse de mal à personne c’est la capacité à rire de soi et l’autodérision, je vous propose un petit exercice de caricature. Quel genre de chrétien allez-vous décider d’être en cette période troublée ?

  1. Parce qu’il n’y a pas qu’une seule sorte de chrétien…
  2. Le chrétien sympathique (un peu naïf qui refuse de voir la réalité en face)
  3. Le chrétien conquérant (qui voudrait mener la bataille)
  4. Le chrétien adolescent (qui refuse toute limite à sa liberté)
  5. Le chrétien conservateur (qui rêve de revenir aux temps jadis)
  6. Le chrétien du dimanche (qui met sa foi dans un bocal à l’abri du monde et qui pense qu’on ne devrait pas parler de ça à l’Église)
  7. Le chrétien partagé (qui ne sait pas trop quoi penser)
  8. Le chrétien qui ne veut pas se mouiller (et qui aimerait rester neutre)
  9. Le chrétien compromis (qui accepte l’inacceptable soi-disant pour ne pas blesser les autres)
  10. La chrétienne soumise (qui a renoncé à penser par elle-même et qui va chercher dans la Bible des réponses toutes faites)
  11. Le chrétien homme-d’affaire (qui pense qu’on règlera le problème en libéralisant le commerce pour favoriser la prospérité de tous)
  12. Le chrétien exalté (qui pense qu’il suffit de prier très fort pour résoudre la question)
  13. Le chrétien qui se donne (qui n’a pas peur de s’engager, d’aller au plus près de celles et ceux qui souffrent pour les aider)
  14. Le faux-chrétien (qui fait semblant mais qui n’y croit plus vraiment – toutes ces religions sont dangereuses)
  15. Le chrétien ami-de-Dieu (qui fait confiance à la force de l’Éternel pour prendre sa défense face aux méchants de la terre)

Je voudrais vous faire réfléchir à partir de 3 petites citation du NT.

– Jacques 1,25 et 2,12-13 : 25 Celui qui a plongé les regards dans la loi parfaite, la loi de la liberté, et qui y demeure, non pas en écoutant pour oublier, mais en mettant en pratique, – en faisant œuvre – celui-là sera heureux dans sa pratique même. (…) 12 Parlez et agissez comme des gens qui vont être jugés d’après une loi de liberté, 13car le jugement est sans compassion pour qui ne montre pas de compassion. La compassion triomphe du jugement.

– Romains 12,2 : 2Ne vous conformez pas à ce monde-ci, mais soyez transfigurés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, agréé et parfait.

– 1 Corinthiens  6,12 et 10,23-24 : 12 Tout m’est permis, mais tout n’est pas utile ; tout m’est permis, mais moi, je ne permettrai à rien d’avoir autorité sur moi.  (…) 23 Tout est permis, mais tout n’est pas utile ; tout est permis, mais tout n’est pas constructif. 24Que personne ne cherche son propre intérêt, mais celui de l’autre !

L’Épître de Jacques (l’épître de paille…) : la loi de liberté ?

La Loi de liberté c’est d’abord celle de Dieu. Dieu est souverain et il n’est pas tenu par nos comptabilités ou par nos conflictualités : si Dieu seul est Dieu, alors il est souverain. C’est la grande affirmation de Calvin : Dieu est souverain. Il échappe à nos débats, nos constructions, nos définitions, nos dogmatiques et nos religions. Le pluralisme est une réalité incontournable et une conséquence directe de cette loi de liberté d’un Dieu absolument souverain qui n’est la propriété d’aucune religion.

La Loi de liberté ce doit être aussi la nôtre : la seule règle qui soit devenu un devoir c’est d’être libres, inventer de nouvelles manières de vivre notre foi – une cohérence de vie. J’aimerais qu’on dise de moi : il était protestant c’est-à-dire il était libre vis à vis du pouvoir, de l’argent, de la science, de la pression médiatique, des hurlements des loups.

L’Épître aux Corinthiens

Tout m’est permis. Nous sommes libres ! Mais vis-à-vis de quoi ? Je ne permettrai à rien d’avoir de l’autorité sur moi… Un combat spirituel de libération et d’exorcisme !

  • Les émotions trop fortes : colère, haine, peur, révolte, humiliation qui interdisent la pensée – Libres vis-à-vis de nous-mêmes
  • Le passé qui ne peut pas être changé (nos erreurs et manquements : la colonisation, l’humiliation des autres) culpabilité / pardon
  • Le futur déjà tout tracé comme un destin inéluctable : angoisse et dépression / sentiment d’enfermement et de blocage
  • Le Sacré comme divinisation du réel, du monde (la croissance, la Vie, la santé, la liberté d’expression, la religion…)
  • Les puissances et les autorités… sont les formes de ce que les chrétiens appellent « le péché »
    • La puissance nous asservit et nous contraint (quelles sont les puissances qui nous asservissent ?)
    • L’autorité emporte notre adhésion et notre collaboration (manipulation ? IA et le nudge technologique quand les algorithmes manipulent nos choix pour nous dire ce qui nous aimons entendre) idéologie de l’efficacité, du meilleur moyen de la croissance : la technique

Deux pôles dans notre réflexion : la double visée de notre liberté c’est l’amour du prochain et la gloire de Dieu

L’Épître aux Romains

Appel au non-conformisme ? Repérer les « mainstream » du consensus politique pour rester libres / ne pas céder au tsunami médiatique / ne pas hurler avec les loups / donner à penser et non seulement à invectiver /
Dietrich Bonhoeffer quand il écrivait de sa cellule de Tegel : « Ce n’est pas à nous de prédire le jour – mais ce jour viendra – où des êtres humains seront appelés de nouveau à prononcer la Parole de Dieu de telle façon que le monde en sera transformé et renouvelé. Ce sera un langage nouveau, peut-être tout à fait areligieux, mais libérateur et rédempteur ». (D. Bonhoeffer, Résistance et soumission, p.139-140)

  1. Description de la problématique : poser un regard théologique sur le monde c’est à dire à partir d’une parole de Dieu – Cf. Le prophète veilleur d’Ézéquiel ou la vocation de Jérémie : savoir regarder le monde avec les yeux de Dieu. Cette prise de distance nécessaire ne peut se faire que dans un temps de mise à l’écart, de retrait, de silence et d’écoute : là se trouve une place privilégiée pour la prière 🙏 Celui qui se met à l’écart dans sa chambre pour prier se laisse prendre par l’esprit de Dieu Cf. La prière de Jésus à Gethsémani : “non pas ce que je veux mais que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel”. (Mt 26,42) C’est un travail intérieur de libération, de renoncement et de dégagement vis à vis de notre instinct grégaire et notre appétence au conformisme, c’est à dire à caler notre avis sur celui des autres, sur le « on » ambiant. Réapprendre à être seul devant Dieu pour être disponible. “Nous qui prétendons au titre de chrétiens, nous ne devons pas lever la séance et partir. Nous devons prendre des directives d’action (mais d’action vraie, sociale, politique, morale, immédiate) auprès du Christ lui-même.” (Jacques Ellul, « Renonciation au monde », in Vivre et penser la liberté, p. 325.)
  2. Être chrétien face à cette problématique. Cf. Marc 8,27-33 : Qui dites-vous que je suis ? Jésus est-il un simple prophète précurseur d’un Royaume qui vient ou est-il Dieu lui-même qui intervient dans l’histoire des hommes pour en dévier le cours ? Seuls les chrétiens sont à mêmes de dire : tu es le Christ. Ce mot n’a aucun sens pour le reste du monde. Il ne peut être assumé que par des croyants et s’ils ne le font pas, personne ne le fera pour eux ! Il y a donc une responsabilité spécifique des chrétiens… et ce chemin passe par la Croix. La Croix comme principe de sanctification du monde : ce que le monde utilise pour humilier, pour torturer, pour détruire, pour éliminer ce qui gêne, c’est précisément ce que Dieu utilise pour en faire l’exactement l’inverse. Il transforme l’humiliation en glorification, la défaite en victoire, la mort en vie, la destruction en régénération. Nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les grecs (1 Co 1,23) En passant par la Croix, notre regard sur le monde est entièrement réorienté (converti ?) à partir des fins dernières et partir de la résurrection donc à partir de la victoire de la vie sur la mort : il est donc fondamental et essentiel de ne pas renier le Christ en prenant une posture laïque, philosophique, spirituelle sans être confessante. Sortir du diktat du temps et de l’urgence, de l’immédiat et du « tout-tout-de-suite ». Vivre sous le régime de la résurrection c’est remettre notre temps et notre époque (ses impératifs et ses urgences) entre les mains de Dieu.
  3. Comment ? Attention ⚠️ aux postures théoriques ! Il s’agit de dessiner un chemin réaliste et une possible expérience que je propose de résumer par trois verbes d’action :
    1. libérer (démystifier – profaner – désacraliser – relativer) – Rom 12,2 : “Ne vous conformez pas au monde moderne” : la Croix comme principe libérateur
    2. sanctifier (processus de détournement subversif pour en faire une offrande). La Croix comme principe sanctificateur (détournement subversif d’un objet de torture et d’humiliation pour en faire un principe de révélation de la présence de Dieu au cœur du monde)
    3. aimer (processus de régénération du monde, non pas contre le monde mais pour le monde – mettre au service du plus vulnérable et du prochain) – au service d’un NOUS ensemble ? Ne pas penser à la place des autres mais donner à l’autre les moyens de sa propre vie… La Croix comme révélation ultime de l’amour de Dieu pour le monde (pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis Jn 15,13) Philippe Chevallier, Être soi, p. 175 : « L’amour est un événement du monde : même si les choses semblent demeurer à l’identique, quelque chose est modifié, quelque chose de neuf advient. » Le Royaume de Dieu s’est approché.

 

 

 

 

 

 

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