Le monde est fou

Lecture Biblique : Matthieu 25,1-13

Prédication

J’aimerais aujourd’hui réfléchir avec vous à partir de 3 questions que je reçois de la parabole que nous venons de lire et qui me paraissent particulièrement pertinentes aujourd’hui. Et je souhaite vraiment que vous interveniez sur le chat pour partager et construire avec nous cette réflexion.

  1. Sagesse et Folie. Qu’est-ce que c’est aujourd’hui ? Le monde est fou. Absurde et violent à la fois. Être sage ? Qu’est-ce que cela veut dire en ces temps troubles…
  2. Tenir sa lampe allumée. Comment ? Réfléchissons à l’invitation de la parabole à la vigilance. Quelle est donc cette lampe qu’il faut impérativement tenir allumée sous peine de rester à la porte ?
  3. Je ne vous connais pas. Pourquoi ? Que pensez-vous de cette porte close, de cette réponse de l’époux qui répond aux jeunes filles folles qu’il ne les connaît pas ?

 

  1. Sagesse et folie. Qu’est-ce que c’est aujourd’hui ?

Qu’est-ce que cela veut dire être sage dans un monde devenu fou ? Penser avec intelligence ? Peut-être tout simplement continuer à penser ? C’est-à-dire ne pas uniquement réagir avec ses émotions, dans une posture de soumission à l’événement. Pour être tenu pour responsable, il faut être en capacité de maîtriser son destin, ses décisions, son avenir. Mais comment est-ce possible quand tout vous échappe et que vous restez spectateur impuissant ? Le sage semble être celui qui est capable de prendre sa destinée en main comme un homme libre. Ainsi, quand on pense à la sagesse, on pense rationalité, éducation, connaissance, maturité, expérience, réflexion. Je voudrais vous lire quelques versets des Proverbes (Pr 8, 1-30) : 12Je suis la Sagesse. (…) Aucun trésor n’a autant de valeur. (…) 22Le Seigneur m’a conçue il y a très longtemps, comme la première de ses œuvres, avant toutes les autres. 23J’ai été établie dès le début des temps, avant même que le monde existe. (…) 27J’étais déjà là quand il fixa les cieux et traça l’horizon au-dessus de l’abîme. (…) Il posa les fondations de la terre. 30Pendant ce temps, j’étais à ses côtés comme architecte. Les Proverbes affirment que le monde a été conçu avec la sagesse comme architecte. Ce livre qui servait certainement à l’éducation des enfants des familles juives, enseigne donc que le monde a un sens, une structure logique, un ordre rationnel qu’il ne faut pas perturber au risque de le rendre absurde, insensé, fou. Dieu a ordonné le monde avec sagesse et il est possible de le découvrir par la raison. Par l’intelligence qui décrypte et dévoile la structure logique du monde, il est possible de découvrir qui est Dieu. C’est ce que l’on appelle la Théologie Naturelle. C’est ce que disait Aristote que le grand théologien Thomas d’Aquin a christianisé au Moyen-Âge. Parce qu’il est doué de raison, l’homme est « capable de Dieu ». C’est l’image de Dieu en lui. Il y a donc pour lui une continuité entre la Raison (humaine) et la Révélation (de Dieu). Ce raisonnement théologique est à la base même de l’humanisme chrétien qui structure toute la théologie catholique jusqu’à aujourd’hui. Petit à petit, au cours de l’histoire, les Lumières de la Raison vont couper le cordon avec Dieu et la religion. La raison se suffit à elle-même et elle n’a plus besoin de Dieu pour expliquer le monde. L’esprit scientifique est né de cette rupture. Luther, et avant lui Saint-Augustin et l’Apôtre Paul, vont jeter un énorme pavé dans la mare de cette vision irénique de l’homme sage qui prétend collaborer avec Dieu grâce aux lumières de sa Raison. Et ce pavé dans la mare fut de rappeler l’existence du mal. Non seulement le mal subi mais aussi le mal commis auquel l’homme participe de son propre chef. Le péché a détruit l’image de Dieu et la raison est devenue, dit Luther, « la putain du diable ». Et avec la raison, les hommes ont commis les pires horreurs. Il y a une différence radicale entre ce que pense l’homme et qui est Dieu. Mes pensées ne sont pas vos pensées et mes voies ne sont pas vos voies, déclare le Seigneur (Es 55,8). L’homme n’est pas Dieu et Dieu n’est pas compréhensible par l’homme. Voilà ce qu’affirme toute la Réforme. C’est aussi ce qu’affirme l’apôtre Paul dans l’épître aux Corinthiens quand il cite Es 29,14 : « Je détruirai la sagesse des sages, je rejetterai le savoir des gens intelligents. » (…) 21En effet, les humains, avec toute leur sagesse, ont été incapables de reconnaître Dieu là où il manifestait sa sagesse. Dans l’épître aux Romains quand Paul porte un jugement très dur sur la sagesse des hommes : Ils sont donc inexcusables, 21puisque, tout en ayant connu Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâce ; mais ils se sont égarés dans des raisonnements futiles, et leur cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres. 22Se prétendant sages, ils sont devenus fous.

C’est cette sagesse-là que Jésus vient mettre en question dans notre parabole des 10 jeunes filles. Étonnant, n’est-ce pas, de parler de jeunes filles pour évoquer la sagesse… Quand on pense à la sagesse on imagine un homme âgé barbu plein de son expérience, de sa connaissance accumulée comme des alluvions à chaque crue de la vie… La parabole, elle, nous parle de jeunes filles : qui a dit que la Bible était sexiste ? Des jeunes filles peuvent être sages, dit Jésus. La sagesse n’est ni une question de sexe, ni une question d’âge ni même une question de maturité ou d’expérience. La sagesse, dit Jésus, c’est d’être capable d’allumer sa lampe au bon moment, au cœur de la nuit, quand tout le monde s’est assoupi et que le désespoir a pris le dessus, quand la partie semble perdue et que tout le monde a baissé les bras. La sagesse c’est la capacité à ne pas se résigner à la défaite, à la victoire des ténèbres et de la nuit sans espoir. 24Ainsi, celui qui écoute ce que je viens de dire et le met en pratique sera comme un sage qui a bâti sa maison sur le roc. 25La pluie est tombée, les torrents ont débordé, la tempête s’est abattue sur cette maison, mais elle ne s’est pas écroulée, car ses fondations avaient été posées sur le roc. 26Mais celui qui écoute mes paroles et ne les met pas en pratique sera comme un fou qui a bâti sa maison sur le sable. 27La pluie est tombée, les torrents ont débordé, la tempête s’est abattue sur cette maison et elle s’est écroulée : sa ruine a été totale. » Voilà la sagesse dont parle Jésus (Mt 7,24-27) : elle porte en elle la solidité de ce qui supporte les vents contraires et les difficultés parce qu’elle a des fondations profondes qui ne sont pas ébranlables par les événements.

  1. Tenir une lampe allumée. Comment ?

Il s’agit donc d’avoir de quoi allumer sa lampe au bon moment, au cœur de la nuit, au bout du désespoir et de l’absurdité. Remarquez que tout le monde s’assoupit et que les 10 jeunes filles s’endorment. Il n’est donc pas question d’exiger une vigilance particulière qui sonnerait comme une interdiction de dormir (ce qui relèverait d’ailleurs de la torture), un devoir moral de rester toujours en éveil, sur le qui-vive, angoissés et inquiets en permanence par ce qui pourrait arriver. On se souvient des disciples que Jésus emmène avec lui prier juste avant son arrestation (Mt 26,38-46). Pierre, Jacques et Jean sont bien incapables de rester éveillés et ils s’endorment lamentablement… comme tout le monde ! Les chrétiens ont autant besoin que les autres de divertissement et de sommeil. Et les appels incantatoires au réveil de l’Église me laissent de marbre. Ne vous inquiétez pas de cela parce qu’au moment opportun, un cri va déchirer la nuit et nous réveiller tous… La vigilance qui est réclamée par Jésus ne se situe pas dans l’inquiétude mais dans la lampe allumée. L’enjeu se situe en amont. Il s’agit d’être équipé avant, de la même manière qu’il faut poser des fondations avant de construire sa maison sur le roc… En ce sens, il est inutile de dévaliser les rayons de supermarché. Ce n’est pas dans l’urgence que les choses se règlent mais en amont parce que l’urgence est toujours l’ennemie de la sagesse ! Souvenons-nous qu’il faut être reconnu par l’époux pour avoir accès au festin des noces. Et seul celui qui a sa lampe allumée est reconnu. Les autres non. Autrement dit : avoir sa lampe allumée c’est être connu de l’époux. Voilà pourquoi ça ne se partage pas. Je ne peux pas être connu à travers quelqu’un d’autre. C’est entre lui et moi. On se connaît ou on ne se connaît pas : voilà la fondation solide, voilà la réserve d’huile nécessaire. C’est le seul critère. Il n’y en a pas d’autre. C’est cela qui fait de nous quelqu’un de sage ou de fou. Il faut relire le début du Sermon sur la Montagne quand Jésus dit aux disciples : 14C’est vous qui êtes la lumière du monde. (…) 15On n’allume pas une lampe pour la mettre sous un seau. Au contraire, on la place sur le porte-lampe, d’où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. 16C’est ainsi que votre lumière doit briller aux yeux de tous, afin que chacun voie le bien que vous faites et qu’ils louent votre Père qui est dans les cieux. (Mt 5,14-16) Nous sommes des lampes mais si on ne sait pas qui est Jésus, nos lampes restent éteintes, inutiles, notre sagesse devient folie. Et la porte se claque.

  1. En vérité je ne vous connais pas. Pourquoi ?

La porte se claque à un moment ou à un autre : il y a un refus, un jugement qui n’est pas soluble dans la gentillesse, la bonté d’âme, la générosité ou la culpabilité… C’est sans doute le côté le plus dérangeant de la parabole : nous aimerions tellement que Jésus soit gentil et que le maître soit ouvert et généreux pour ouvrir grand son cœur et sa maison pour le festin des noces de l’agneau… Mais ce n’est pas ce qui est dit. Le refus est là, massif et sans appel. Sans doute est-il nécessaire de savoir dire non. A quoi devons-nous fermer la porte ? Qu’est-ce que nous devons laisser dehors ? Qu’est-ce qui n’a pas le droit de cité dans le royaume que Dieu dirige ? Je constate que le texte ne répond pas et qu’il nous laisse responsable de nos décisions. A nous de poser des principes intangibles sur les fondations qui nous ont été données. Souvenons-nous de l’affaire Michel Servet quand Sébastien Castellion s’oppose à Calvin qui a décidé de brûler l’hérétique, au nom d’un principe inaliénable : « Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. » L’enjeu est d’aller puiser à la source de la sagesse. Il arrive que l’Évangile se vive dans notre capacité à dire non, à résister, à nous opposer, à poser une limite : ça je refuse, ça je ne le fais pas, ce n’est pas négociable. Cela exige une colonne vertébrale. Ce n’est pas un exosquelette ou pire une attelle que l’on pose après-coup dans l’urgence. Il s’agit d’une structure interne, une source intérieure qui jaillit au moment où nous en avons besoin pour allumer notre lampe, pour que notre lumière brille parmi les hommes. C’est sans doute la plus grande justification de l’importance de la catéchèse… souvent les parents viennent en disant leur souhait de transmettre des valeurs chrétiennes. Mais il n’est pas possible de porter les fruits s’il n’y a pas d’arbre de même qu’il n’est pas possible d’allumer sa lampe s’il n’y a pas d’huile. Il n’y a pas de valeur chrétienne s’il n’y a pas de foi chrétienne !! Il n’y a pas de valeur chrétienne si on ne connaît pas le Christ. Trouver dans ma vie ta présence, tenir une lampe allumée, dit le cantique. Amen.

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