Que la paix soit sur cette maison !

Luc 10, 1-20

Saint-Esprit – 7 juillet 2019

 

Que la paix soit sur cette maison !

 

Peut-être la plus grande expérience missionnaire du XXème siècle a-t-elle été l’évangélisation protestante de la Chine. L’Eglise de Chine – c’est le seul pays où quand on parle de « l’Eglise » c’est de la protestante qu’il s’agit-  l’Eglise de Chine comprend aujourd’hui pas loin de 55 millions de membres et son expansion date des années 70 du siècle dernier. Quand vous demandiez dans les années 80 à des protestants chinois l’origine de cette expansion la réponse était toujours la même. Au moment de la révolution culturelle de Mao Zedong des millions de personnes ont été envoyées en redressement culturel et politique au fin fond des provinces et là, ces personnes désemparées, isolées, coupées de leurs familles, ont souvent été accueillies par des chrétiens chinois protestants qui leur ont dit : « Que la paix soit avec vous ! ». Cela je l’ai entendu raconter de multiples fois quand j’ai eu la chance de participer à un voyage de la Fédération protestante en 1989 auprès de l’Eglise de Chine. Peut-être bien d’autres facteurs théologiques ou sociologiques ont contribué à cet essor mais le témoignage de ceux qui ont vécu cette période dramatique de l’histoire de la Chine contemporaine mérite d’être entendu.

 

Je rapproche cela de l’origine de la mission protestante française. Peut-être tout aussi mythique… mais qui figure dans notre historiographie de la Société des missions évangéliques de Paris. Avant d’envoyer quelques missionnaires en Afrique du Sud ou en Algérie, le comité des missions qui s’était constitué sous l’impulsion de la Mission de Londres a organisé en France des cercles de prière pour remettre devant Dieu le projet d’évangéliser le monde, et cela a duré deux ou trois ans avant que ne soient envoyés les trois premiers missionnaires protestants français.

 

Je vous propose donc ces deux récits en portail pour la réflexion que nous allons avoir à partir de l’envoi en mission tel que l’Evangile de Luc le rapporte ; la bénédiction et la prière.

Mais venons en à l’Evangile !

 

Quand on pense à la mission, le texte que nous connaissons tous et qui nous vient à l’esprit est celui de l’Evangile de Matthieu : « Allez, faites des gens de toutes les nations des disciples, baptisez-les pour le nom du Père, du Fils et de l’Esprit saint, et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai commandé. Quant à moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde ».

 

C’est à la fois un impératif : « Allez ! Baptisez !  Faites des disciples ! » ; un mode d’emploi : « Enseignez ! » ; et une promesse « Je suis avec vous ! ». De l’impératif, on sait ce qu’il en a été fait de tous temps, entre conquêtes coloniales et convictions de faire le bien des futurs baptisés. Aussi, suis-je toujours tenté pour parler de la mission d’aller chercher d’autres textes, moins « militaires », plus essentiels et qui affirment la grâce première de Dieu et l’appel à en être les témoins.

Mais en même temps je reconnais que c’est être un peu injuste à l’égard de l’impératif missionnaire de l’Evangile de Matthieu. Faire des disciples, enseigner ce que j’ai commandé, bénéficier de la présence du Christ… c’est, en quelque sorte, comme un résumé de tout l’Evangile.

Matthieu écrit pour une communauté qui se considérait comme un mouvement  de réveil au sein du peuple juif et qui découvre la rupture et la confrontation. Cela ira jusqu’à la persécution, mais ce sera plus tard. Il n’y a pas d’indice d’activité missionnaire vers les non-juifs, mais la mort de Jésus en fait une communauté de la résurrection avec une ouverture évidente vers les non-juifs. Toutes les nations deviennent une communauté eschatologique de Dieu. Jésus sauveur de toute l’humanité.

Pensez à la parabole des mauvais vignerons : la pierre rejetée est devenue la principale. Le règne de Dieu sera donné à une autre nation.

 

Apprenez-leur à garder tout ce que je vous ai commandé…

L’enseignement est un appel à la volonté des auditeurs, un appel à une décision concrète de suivre Jésus et de se soumettre ainsi à la volonté de Dieu.

A l’arrière plan, le Sermon sur la montagne où l’amour de Dieu et du prochain sont les critères de tout acte et de tout comportement. On y dépasse tout légalisme. L’amour du prochain est comme le test révélateur de l’amour envers Dieu.
Le Sermon sur la Montagne propose une justice supérieure,  pas seulement individuelle mais aussi politique : faire la paix, réconcilier, faire régner la justice, refuser de se venger, aimer ses ennemis.

 

Enfin les derniers mots de l’impératif missionnaire : Je serai avec vous… nous envoient à Emmanuel, Dieu avec nous.

La victoire sur le pouvoir du mal c’est reconnaître l’amour de Dieu et communiquer une nouvelle raison de vivre, une nouvelle vision de la réalité, une nouvelle vision de « Dieu avec nous » quand le chrétien s’engage pour la libération et le salut des autres.

 

Je vous le disais : Nous avons dans l’impératif missionnaire qui clôt son Evangile comme un résumé de tout cet Evangile. Mais pourquoi nous parlez-vous de Matthieu alors même que nous lisons aujourd’hui un texte de Luc ?

 

Et bien tout d’abord, pour que ce texte de Luc ne nous écarte pas d’une lecture plurielle du message évangélique. C’est un principe bien protestant que nous devons lire un texte biblique à la lumière critique du reste de la Bible. Ne jamais prendre un texte comme une vérité isolée, mais toujours chercher la vérité dans le jeu des textes bibliques les uns avec les autres…

 

Mais avec ce chapitre de Luc que nous avons lu tout à l’heure nous sommes dans l’exact parallèle de l’impératif missionnaire de Matthieu. Ou plutôt dans sa mise en œuvre expérimentale. Du coup, si vous me permettez cette apparente critique, on n’est plus dans la théorie de la mission mais dans le vécu. On n’est toujours dans « Le règne de Dieu s’est approché » mais comme « les agneaux au milieu des loups ». C’est la même chose mais c’est dit autrement, dans le quotidien de nos existences. Car ce récit d’un premier envoi de 72 disciples n’a de sens que s’il est destiné aux auditeurs/lecteurs de l’Evangile

 

J’en retiens trois dimensions dont la plus importante tient sans aucun doute dans la salutation qui est proposée : « Que la paix soit sur cette maison ! »

La paix, chacun le sait, n’est pas seulement l’état de non-guerre. C’est un sentiment beaucoup plus profond. Le sentiment d’être dans son « intégrité » physique, morale, intellectuelle. Il évoque le bonheur, la prospérité, la santé, la sécurité… tour ce qui va bien. Que la paix soit sur cette maison… c’est tout cela qui est souhaité de prime abord. Plus riche qu’un simple « bonjour ».

Mais ce ne serait pas une paix évangélique si elle n’offrait le chemin d’une telle intégrité. Dans les versets qui suivent notre texte du jour, après s’être réjoui avec les disciples d’avoir vu « Satan tomber du ciel » Jésus est transporté d’allégresse, sous l’action de l’Esprit saint et il dit : « Je te célèbre, Père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que tu as caché ces choses aux sages et aux gens intelligents, et que tu les as révélées aux tout-petits. Oui, Père, parce que tel a été ton bon plaisir. Tout m’a été remis par mon Père, et personne ne sait qui est le Fils, sinon le Père, ni qui est le Père sinon le Fils et celui a qui le Fils décide de le révéler ».

Il y a là la clé de la paix. Ce chemin qui du Père va au Fils et du Fils à ceux à qui cette proximité de Dieu est révélée. Ce chemin c’est le chemin de la paix. L’impératif missionnaire de Matthieu renvoyait au Sermon sur la montagne et à l’enseignement du Christ. Chez Luc il nous faut plutôt qu’un enseignement entendre une présence, et cette présence est celle du Fils qui conduit au Père, de la séparation qui est désormais abolie, de la réconciliation qui est désormais offerte.

Matthieu fait de nous des enseignants et des officiants. Luc fait de nous des témoins de la paix qui vient de Dieu.

J’ai rencontré il y a quinze jours une de ces témoins : elle revenait de Centrafrique ou pendant deux semaines elle a permis a des femmes victimes de la crise militaro politique qui ensanglante le pays depuis 7 ans de se parler les unes aux autres, raconter leurs drames, leurs familles dispersées, les maris assassinés, leurs solitudes, mais aussi la force donnée par un geste d’amitié, un téléphone prêté pour renouer une relation, un champs mis à disposition pour sauver une famille, et la force retrouvée de résister et de porter secours aux plus faibles. J’en parle comme d’un témoin pas pour ce qu’elle en dit de ces deux semaines ou trois de rencontres et de prières communes, mais pour ce qu’elle fait de ces « séminaires de paix » : des lieux de réconciliation et d’apaisement.

Voilà je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups, sans rien avec vous, sinon la paix qui vient de Dieu.

 

En évoquant les femmes de Centrafrique j’ai anticipé sur la deuxième dimension de la mission pour l’évangéliste Luc, la guérison : « Guérissez les malades et dites-leur : Le Règne de Dieu s’est approché de vous. »

Vous accepterez, je pense, que je ne fasse pas une lecture littérale de cet ordre de mission donné par Jésus à ses disciples. Vous aurez remarqué que dans le Nouveau Testament « être malade » ou « être pécheur » sont quasiment synonymes. Jésus sauve de la maladie comme du péché. Nos mentalités sur ce point ont pas mal évolué et jamais je n’oserais aujourd’hui aborder, même le plus fidèle des fidèles, en lui disant « Si tu est gravement malade c’est parce que tu as beaucoup péché ». Mais dans les maisons où Jésus envoie ses missionnaires la maladie est la marque la plus forte de ce qui met en question votre pleine humanité, devant Dieu et devant les hommes.

Ma lecture de cet ordre de mission sera donc exactement de même nature si je dis que tout ce qui met en cause cette pleine humanité, et qui fait que vous êtes pauvre, oublié, méprisé, tombe sous le jour de ce que Jésus nous appelle à vivre. C’est un ordre de mission profondément politique. D’ailleurs les autorités politiques de l’époque ont bien compris cela de Jésus. Cet homme qui dit « Guérissez les malades » et qui commande de dire : « Le règne de Dieu s’est approché ! » que nous annoncera-t-il ensuite ? Que les puissants sont renversés de leurs trônes ?

Ma question, dans la mesure où je laisse aux médecins la maladie, est : Que nous dirait Jésus aujourd’hui ? Donnez à manger aux migrants qui passent nos frontières ? Evitez qu’ils se noient en Méditerranée ? Ouvrez leur vos plages ? Donnez un logement à celui qui ne peut pas payer de loyer ? N’ayez pas peur que l’on vous prenne pour des séditieux car le Règne de Dieu s’est approché… Et non seulement s’est approché mais il viendra puisqu’il est déjà venu.

Quand nous prions « Que ton règne vienne » nous nous engageons à poser des signes qui anticipent la pleine manifestation du règne de Dieu.

 

La paix, la guérison et … la poussière ! « Dans toute ville où l’on ne vous accueillera pas… dites : La poussière de votre ville qui s’est attachée à nos pieds, nous la secouons pour vous la rendre ; sachez pourtant que le règne de Dieu s’est approché. »

La bénédiction : « La paix soit avec vous » ; la guérison ou si vous préférez la prière engagée et combattante ; et maintenant la malédiction, ou ce qui y ressemble. Fait-elle aussi partie de la mission.

Je vous l’avoue, j’ai bien du mal avec ces formules ; un peu comme avec les psaumes lorsqu’ils se répandent en imprécations contre les ‘mauvais’, et dont j’interromps mentalement la lecture pour arriver à des versets plus apaisés.

Devons-nous secouer la poussière de nos chaussures lorsque notre message n’est pas accueilli ? Pourquoi ne pas recommencer, persister, nous dire que nous n’avons pas été assez convaincants ? Tout cela me semble possible et juste.

Mais je retiendrai deux éléments : Il faut nous rappeler sans cesse que la mission ne dépend pas de nous. Nous ne sommes pas le semeur. Et il lui arrive de semer sur des terrains infertiles. Ne soyons donc pas culpabilisés par les échecs, même dans nos propres familles. Par contre restons porteurs de la question ultime… le règne de Dieu s’est approché de vous, qu’en avez-vous fait ?

Je pense très sincèrement que secouer la poussière de nos chaussures n’est pas alors nécessaire !

 

Tout cela je pouvais le dire en une seule phrase : Jésus nous appelle à être une bénédiction pour nos contemporains, tous, sans exception, parce que le règne de Dieu s’est approché pour eux comme pour nous.

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