1. Avant de tenter d’effleurer le mystère du royaume de Dieu, arrêtons-nous un instant sur la beauté, la poésie du texte que nous venons de lire : « un grain de moutarde, lorsqu’on le sème en terre, est la plus petite des semences de la terre ; mais une fois semé il monte, devient plus grand que toutes les plantes du potager et poussent de grandes branches en sorte que les oiseaux du ciel peuvent habiter sous son ombre »
Sur la croissance de la plante née de la petite graine de moutarde, nous sommes invités à imaginer ou à voir : la plante plus grande que toutes les plantes du potager, et des branches si grandes que tous les oiseaux du ciel viennent nicher sous son ombre. N’est-ce pas une belle image du royaume de Dieu ? Un grand arbre, sous lequel les oiseaux que nous sommes seraient heureux de faire leur nid, de s’y abriter et de jouir du soleil à l’ombre de ses grandes et belles branches ?
2. Alors, posons-nous la question : Que nous disent du royaume de Dieu les paraboles et, en particulier, les deux rapportées par Marc : la première, celle de la semence de blé, – la seconde, celle de la graine de moutarde.
Deux brèves indications de terminologie d’abord :
– le terme de moutarde est la traduction de mot grec sinapi, c’est une graine de sénevé dans les traductions anciennes, le sénevé étant une variante de moutarde. Mais le terme de moutarde, dans les traductions actuelles, est évidemment plus parlant pour nous.
– l’expression le royaume de Dieu est aussi le royaume des cieux, et la traduction d’un terme grec qui signifie également le règne de Dieu ou la royauté de Dieu. Ainsi, dans le Notre Père, nous disons « Que ton règne vienne ».
Revenons à notre question fondamentale : – Qu’est-ce que les paraboles et, en particulier, la parabole de la semence et celle de la graine de moutarde, nous disent du royaume de Dieu ? – Est-ce que les paraboles nous aident à comprendre la Parole du Christ, l’annonce du royaume de Dieu, qui est au cœur de sa prédication ? En fait, cette question contient deux séries de questions : l’une sur les paraboles, l’autre sur le royaume de Dieu.
3. Première question : Qu’est-ce qu’une parabole ? Selon la définition traditionnelle :
- un récit utilisé pour illustrer un enseignement,
- un récit allégorique, qui permet de dispenser un enseignement moral ou religieux,
- un récit qui a recours à des images tirées de la vie quotidienne pour faire comprendre des idées ou des notions abstraites.
Cette définition classique est contestée pour les paraboles de Jésus et en particulier celles du royaume de Dieu.
4. Pour Daniel Marguerat : « La parabole n’illustre pas une vérité générale ou une leçon de morale. Elle n’explique pas le Royaume, elle ne l’illustre pas, elle ne le décrit pas non plus. Elle le signifie par une histoire singulière, qui prend valeur universelle.
La parabole rend visible le Royaume. »
5. Nous n’allons pas entrer dans une discussion linguistique et savante sur les liens entre le signifiant (la parabole qui est une figure de style littéraire) et le signifié (le royaume de Dieu). Mais retenons la très grande liberté de Jésus, son langage poétique, qui utilise toutes sortes d’images tirées de la vie quotidienne, pour nous rendre visible l’invisible, le royaume de Dieu.
Jésus n’hésite pas à interpeller ses auditeurs : Avant de passer à la seconde parabole, celle de la graine de moutarde, devant la foule, Jésus se pose la question à haute voix : « A quoi comparerons-nous le royaume de Dieu par quelle parabole le représenterons-nous ? ».
6. Il invite ainsi ses auditeurs, osons le terme, à entrer dans le jeu des paraboles, à le suivre dans ses comparaisons et ses métaphores. Le royaume de Dieu est comme une graine de moutarde ou bien, le royaume de Dieu est une graine de moutarde qui, lorsqu’elle est semée, est toute petite, et qui devient ensuite une grande plante.
Ainsi la plus petite graine devient une plante plus grande que toutes les plantes potagères. La moutarde devient un arbuste 1 à 2m. Ce n’était pas un cèdre comme dans la parabole d’Ézéchiel.
Notons que Jésus n’hésite pas non plus à donner une dimension extravagante, hyperbolique, à la parabole de la graine de moutarde.
La parabole vise aussi à créer un choc, un étonnement chez l’auditeur.
Plus que nous faire comprendre le royaume de Dieu, c’est nous faire voir et vivre le royaume de Dieu, sentir sa réalité vivante. Nous y reviendrons.
7. Poursuivons encore un peu, sur les questions relatives aux paraboles.
Les paraboles ne sont pas une nouveauté absolue dans le Nouveau Testament, même si Jésus en a fait un usage personnel et original. Elles existent dans la pensée juive et dans l’Ancien Testament.
Le psaume 78 commence ainsi : « Mon peuple, écoute mon enseignement, soit attentif à ce que je vais dire. Je dirai des leçons en paraboles. J’évoquerai les secrets du passé »
Notons déjà le lien entre les paraboles et les secrets. Mais nous pouvons déjà entrevoir que, pour Jésus-Christ, ce ne sont pas les secrets du passé qu’il va enseigner en paraboles, mais plutôt les secrets de l’avenir, de la fin des temps, du royaume de Dieu, mais qui peuvent être aussi les secrets du temps présent.
Le royaume de Dieu a une dimension futuriste mais aussi une dimension actuelle.
8. Après ce petit détour par l’Ancien Testament, revenons aux Évangiles et à l’utilisation des paraboles par Jésus-Christ, qui est à la fois systématique et nouvelle.
Pour Jésus-Christ, la parabole n’est pas une illustration, c’est le cœur de son enseignement, son mode de transmission.
Jésus parlait en paraboles aux foules nombreuses qui le suivaient. Les paraboles relatées sont nombreuses (49) dans les trois Évangiles synoptiques, de Matthieu, Marc et Luc. En particulier, les paraboles relatives au royaume de Dieu. L’Évangile de Jean rapporte plutôt des métaphores, qui opèrent une transposition imagée directe. Jésus dit, par exemple, « Je suis le bon berger » ou encore « Je suis le vrai cep, et mon Père est le vigneron ». Il s’agit aussi de paraboles, qui est une forme synthétique des figures de style. C’est le terme que Jésus utilise dans les dernières « leçons » à ses disciples. « Je vous ai parlé ainsi en paraboles » dit Jésus aux disciples, « L’heure vient où je ne vous parlerai plus en paraboles, mais je vous annoncerai ouvertement ce qui concerne le Père ».
9. Dans le passage de Marc, deux paraboles symbolisent le royaume de Dieu :
- la croissance progressive et inéluctable de la semence de blé en terre, l’herbe, puis l’épi et enfin le blé bien formé dans l’épi ;
- La graine de moutarde, si petite, qui donne une grande plante.
Si nous comparons ces deux métaphores narratives c’est au départ, la même chose, une petite chose : une semence, un petit grain de blé, ou une petite graine de moutarde. C’est ensuite, le même développement, la même croissance stupéfiante. Et sans que le semeur initial ait à intervenir, puisqu’il est dit de l’homme qui jette la semence en terre : « qu’il dorme ou qu’il veille, nuit et jour, la semence germe et croît sans qu’il sache comment »
Cela souligne d’abord le mystère de l’opération, transformant la semence en blé ou la graine en plante, et donc le mystère du royaume de Dieu, mais aussi l’action de la grâce divine.
Cela souligne ensuite que le royaume de Dieu est en croissance, en développement.
Enfin, cela signifie-t-il que nous devons rester passifs dans l’attente du royaume de Dieu ? Non, souligne Antoine Nouis dans son commentaire du Nouveau Testament, cela signifie la confiance dans la venue du royaume de Dieu, l’expression même de la foi.
10. Continuons la comparaison entre les deux paraboles, celle de la semence de blé et celle de la graine de moutarde. Le résultat final n’est pas le même. Pour la semence de blé, c’est la faucille et la moisson – c’est-à-dire le jugement dernier. La faucille et la moisson symbolisent le jugement dernier. On retrouve ce symbole dans l’Apocalypse de Jean [14. v14. 16]. Alors que pour la plante issue de la graine de moutarde, c’est le repos et d’une certaine manière le paradis, le royaume de Dieu absolu et éternel.
Aucune explication n’est donnée sur ces deux fins dissemblables.
11. Il est vrai que, dans l’Évangile de Marc, le récit est sobre et purement narratif. À la fin du texte que nous avons lu, Marc se borne à conclure : « C’est par beaucoup de paraboles de ce genre qu’il leur annonçait la parole, selon qu’ils étaient capables de l’entendre. Il ne leur parlait pas sans paraboles ; mais en privé, il expliquait tout à ses disciples. »
Matthieu, qui est l’évangéliste qui rapporte le plus grand nombre de paraboles, notamment sur le royaume de Dieu, note le même enchaînement : la parabole pour la foule des auditeurs, l’explication donnée ensuite, aux disciples. Ce qui laisse entendre qu’eux seuls, les disciples, compagnons de Jésus, pouvaient comprendre pleinement son enseignement.
12. Dans le passage précédant le nôtre, Marc relate la parabole du semeur et son explication aux disciples, par Jésus. Rien de tel pour les deux paraboles de la semence de blé et de la graine de moutarde. Matthieu n’en donne d’ailleurs pas davantage d’explication, ni Luc. Ne sont expliquées que les paraboles du semeur et celle du bon grain et de l’ivraie, qui sont aussi des paraboles du royaume de Dieu.
13. Alors, à nous de tenter d’éclairer le sens des deux paraboles de la semence du blé et de la graine de moutarde.
Revenons à la fin différente des deux paraboles : la moisson et la faucille, dans la première parabole ; les branches si grandes que les oiseaux viennent d’y abriter, dans la seconde.
14. À la fin de la première parabole, celle de la semence de blé, la mention de la faucille et de la moisson peut susciter une vision eschatologique du royaume de Dieu. C’est celle des fins dernières, selon laquelle le royaume de Dieu sera son règne à la fin des temps, à la fin du monde, et se manifestera par le jugement dernier. C’est la vision sévère de Matthieu et de Luc, dans le dévoilement du sens de la parabole de bon grain et de l’ivraie. Les méchants seront jetés dans la fournaise de feu « où il y aura des pleurs et des grincements de dents » dit Matthieu « Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père » . « Que celui qui a des oreilles entende » conclut Jésus. (ch13 v.41 à 43)
Ce n’est pas très rassurant, car aucun de nous n’est assuré d’être juste et d’être du bon côté du tri, d’aller au paradis et non pas en enfer. Nous connaissons tous les sculptures effrayantes des porches d’églises représentant le jugement dernier, ou les peintures tout aussi effrayantes du feu de l’enfer.
15. Dans la fin de la seconde parabole au contraire, nous l’avons vu au début, c’est une vision paradisiaque du royaume de Dieu.
Nouvelle question : Est-ce que ce sont deux branches d’une alternative ? Ou une contradiction manifeste ?Entre la menace du jugement dernier et la promesse du royaume de Dieu.
16. Trois petites observations pour tenter de répondre à la question.
Tout d’abord, la fin heureuse est celle de la seconde parabole – c’est donc l’espérance qui doit l’emporter sur la crainte du jugement dernier, et une espérance active.
Ensuite la seconde parabole n’est pas la fin de l’histoire. La récolte de la moutarde se fait généralement par destruction de la plante. Or, la fin de la parabole, c’est la plante encore en pleine vie.
Enfin, le plus important dans les deux paraboles, c’est la croissance de la graine semée, un mouvement dynamique, et dans la seconde parabole, l’arrêt sur image, celle de la plante de moutarde dans sa pleine maturité.
C’est donc nous dire le royaume de Dieu, c’est ici et maintenant.
17. Le royaume de Dieu est certes en lien avec la vie éternelle, mais ce n’est pas uniquement ni même principalement une promesse pour l’au-delà. C’est une espérance pour notre vie ici-bas, que traduit notre prière à Dieu « Que ton règne vienne», qui se comprend au temps présent.
18. Mais alors, est-ce que le royaume de Dieu ici-bas ne serait qu’une utopie, le rêve d’un monde où régnerait l’amour, la paix, la joie, la justice, la bienveillance et la douceur, à la place de la guerre, la violence, la haine et toutes les passions tristes ? Notre réponse de chrétien ne peut pas être celle du royaume comme utopie, mais celle de contribuer à « faire grandir dans ce monde les réalités du Royaume », comme nous y incite Louis Pernot, dans son bel ouvrage consacré au « Notre Père », dont le sous-titre est « Abrégé de tout l’Évangile ».
Il nous faut participer à l’avènement du Royaume de Dieu et de ses vertus dans notre monde, ici et maintenant, même si notre participation ne peut qu’être assez limitée.
19. Les Pharisiens, qui ne rataient pas une occasion d’essayer de mettre Jésus en difficulté, lui posèrent la question : « Quand viendra le royaume de Dieu ».
Et Jésus répondit : « Le royaume de Dieu ne vient pas de telle sorte qu’on puisse l’observer. On ne dira pas : voyez il est ici ou il est là. Car voyez, le royaume de Dieu est au dedans (au milieu) de vous ».
Il n’y a rien à ajouter à cette réponse. Seulement ceci, et je cite de nouveau Louis Pernot : « C’est qu’il nous appartient de préparer le royaume de Dieu, c’est à nous de le faire avancer ». A la fois, collectivement, au milieu de nous et, personnellement, au-dedans de nous.
Et encore ceci, pour terminer. Je ne sais pas si la défaite de l’Occident est avérée et certaine. Je ne sais pas si la cause de la défaite de l’Occident est la perte des valeurs protestantes, selon l’auteur de ce livre récent, Emmanuel Todd. Mais ce que je sais, et ce que je crois, c’est que nous devons continuer à cultiver nos valeurs protestantes. En particulier, celle que nous enseigne la parabole des talents. Ne mettons pas nos talents sous le boisseau, mais cultivons-les, pour les mettre au service de Dieu, au service d’autrui, et nous continuerons à faire avancer le royaume de Dieu dans notre monde, ici et maintenant.
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