Prédication sur Matthieu 6, 24-34
Il est étrange ce passage du Sermon sur la Montagne. Est-ce qu’il nous faut véritablement entendre un appel à nous comporter comme les oiseaux du ciel et les lys des champs et à ne rien faire en nous contentant d’attendre que « cela nous tombe tout cuit dans le bec » ? Est-ce que vraiment Jésus dit quelque chose comme : « Si tu me suis, tu verras, tous tes problèmes seront réglés ? » Une sorte de théologie de la prospérité : « Si tu pries bien comme il faut en quantité et en sincérité, Dieu exaucera tous tes besoins et tu n’auras plus aucun souci à te faire ? » Est-ce bien ce que dit Jésus ce jour-là à ses disciples dans sa première prédication ? Chers amis, lequel d’entre nous croit cela sincèrement et réellement ?
Et pourtant, à ses disciples qui l’écoutent, Jésus dit 5 fois de suite « Ne soyez pas inquiets ! » Il ne dit pas : « Ne faites rien parce que je vais tout faire à votre place. » Non, il dit et il répète « Ne soyez pas inquiets ! » J’ai tendance à penser que si Jésus insiste autant c’est que le problème doit être vraiment important. Il faut prendre conscience que l’inquiétude dont parle Jésus, ce n’est pas la peur. Non. Jésus parle ici du souci, du tracas, de l’angoisse, du tourment intérieur. Ce qui nous empêche de dormir et qui provoque notre agitation, ce qui nous trouble l’esprit et l’âme et provoque notre anxiété. Il paraît que c’est le premier médicament consommé en Europe : l’anxiolytique, ce qui va détruire ou essayer de maîtriser l’angoisse, l’inquiétude. Bref, en un mot, l’absence de paix intérieure.
Immédiatement, le Seigneur pointe droit au but, sans détour, sans faux-semblant : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent » Nul ne peut servir deux maîtres. Autrement dit, l’inquiétude que je ressens est toujours un symptôme d’un trouble spirituel. D’un seul coup, on sort de la psychologie pour entrer immédiatement dans la profondeur : le malaise (mal-être) caractéristique de l’inquiétude est toujours un problème spirituel : c’est le signe que quelqu’un essaie de prendre la place de Dieu dans notre cœur et cela crée en nous trouble et agitation. C’est le signe d’un combat intérieur qui crée de la souffrance, un combat spirituel en nous entre Dieu et quelqu’un ou quelque chose qui veut prendre sa place (l’argent, le sexe, le pouvoir, la réussite, la reconnaissance, le savoir, la puissance spirituelle… etc.)
Alors, Jésus va nous aider à mener ce combat spirituel pour m’amener à la paix intérieure : « Voilà pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n’amassent point dans des greniers ; et votre Père céleste les nourrit ! Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ? »
La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture, le corps plus que le vêtement ? Une question de bon sens, purement rhétorique. La réponse est évidente : bien sûr que oui ! Jésus nous invite à faire appel à notre intelligence pour évaluer, soupeser, apprécier la valeur des choses et des enjeux. Autrement dit, en vérité, notre inquiétude relève d’une erreur de jugement et d’appréciation. Nous regardons seulement l’emballage (la nourriture et le vêtement) et nous négligeons l’enjeu véritable (la vie et le corps) ; nous sommes impressionnés par l’apparence, la superficialité des choses, l’écume des jours. Ce qui est secondaire prendre le dessus. Une fois de plus, Jésus fait mouche : combien de fois il nous arrive de regretter une parole malheureuse prononcée sans faire attention, un email écrit dans la précipitation pour répondre à un agacement, une écoute trop superficielle, malheureusement à chaque fois trop tard !
Apprendre à discerner, à soupeser, à évaluer la valeur des choses et l’importance des événements nécessite d’abord que nous soyons à notre place et que Dieu soit à sa place de Dieu. C’est aussi ce que Paul met en avant dans l’épître aux Romains : « Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bien, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait. » (Romains 12,2). Si Jésus est notre Seigneur et notre Dieu, alors RIEN d’autre ne peut-être absolu dans notre vie : ni le travail, ni les études, ni la famille, ni ma réussite, ni mon argent, ni mon image sociale… Et si nous ratons quelque chose dans notre vie, nous savons que nous ne perdons rien d’absolu, rien d’essentiel à notre vie parce que le seul absolu et la seule personne essentielle à notre vie c’est le Christ et rien d’autre. Le salut de notre vie est en Christ et nulle part ailleurs. Tout le reste est relatif, même nos échecs, même nos erreurs, même nos difficultés, même notre bonheur, même notre inquiétude, même notre bien-être… Vanité des vanités, dit Qohéleth, tout est vanité et poursuite du vent. Le mot que l’Ecclésiaste utilise pour évoquer la superficialité des choses, c’est le mot qui a donné le nom de ABEL, la buée, ce qui n’a pas de consistance, ce qui part en fumée, comme « l’herbe des champs, qui est là aujourd’hui et qui demain sera jetée au feu. » Il nous faut donc apprendre humblement à ne pas nous arrêter à ce qui est superficiel pour rechercher l’essentiel, le fondamental, le plus important, ce qui est solide et qui a du poids, de la valeur. En hébreu, le mot employé pour évoquer ce qui est lourd et important, c’est KAVOD, qui signifie la Gloire de Dieu. Chers amis, voici une chose importante pour notre vie : quand nous sentons l’inquiétude et le souci nous ronger de l’intérieur, il nous faut essayer de retrouver la gloire de Dieu, autrement dit rechercher sa présence, et nous demander ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas vraiment. C’est pour nous un véritable enjeu de liberté que de ne pas se laisser envahir par ce qui est relatif, conditionné, contingent. Quand la Réforme affirme « A Dieu seul soit la Gloire ! » elle ne dit pas autre chose.
Mais Jésus ne s’arrête pas là :
« Et qui d’entre vous peut, par son inquiétude, prolonger tant soit peu son existence ? 28 Et du vêtement, pourquoi vous inquiéter ? Observez les lis des champs, comme ils croissent : ils ne peinent ni ne filent, 29 et je vous le dis, Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’a jamais été vêtu comme l’un d’eux ! 30 Si Dieu habille ainsi l’herbe des champs, qui est là aujourd’hui et qui demain sera jetée au feu, ne fera-t-il pas bien plus pour vous, gens de peu de foi ! »
Qui d’entre nous peut, par son inquiétude, prolonger tant soit peu son existence ? Nouvelle question rhétorique dont la réponse est évidente : personne en effet, personne. Non seulement l’inquiétude est une erreur de jugement et d’appréciation qui fait confondre le superficiel et l’essentiel, le relatif et l’absolu, le mortel et l’éternel mais en plus, dit Jésus, l’inquiétude s’avère totalement inefficace et improductive. Je pense ici aux managers qui utilisent la pression et le stress pour essayer d’augmenter la productivité de leurs équipes et qui n’hésitent pas à humilier, à rabaisser, à détruire en public en pensant ainsi atteindre les objectifs qui ont été fixés par leurs N+1. Mais la réalité des chiffres prouve que la souffrance au travail n’engendre qu’une baisse de productivité et de l’absentéisme. Je pense aussi à tous ceux qui pensent évangéliser par la dénonciation du péché et la peur de l’enfer. Je suis absolument convaincu que toute conversion obtenue par la peur, la force, la contrainte, l’angoisse de la mort ou l’inquiétude est une conversion forcée qui ne vaut rien. Parce qu’au fond, en ce qu’il force les consciences, le prosélytisme s’apparente à de la torture : il en partage les modalités et les principes. Chacun sait que des aveux ou des informations obtenus par la torture, que la souffrance soit physique ou psychologique, n’ont strictement aucune valeur ni aucune réalité tout simplement parce qu’une personne qui souffre perd toute capacité d’autonomie et de volonté propre.
Jésus réaffirme clairement que l’inquiétude ne sert à rien. Elle ne produit rien, elle ne crée rien, elle ne donne la vie à rien. L’inquiétude est stérile. C’est une énergie perdue, gaspillée. Aucun fruit n’en sort. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle est centrée sur nous. Celui qui est rongé par l’inquiétude ne produit rien de bon parce qu’il est préoccupé par ce qu’il ressent, obnubilé par ses émotions, son humeur, sa souffrance. Incurvatus in se comme disait Martin Luther. Le ressenti émotionnel est pris comme norme, c’est le degré zéro de l’analyse, de la compréhension, de l’intelligence et du discernement. Et du coup, il détourne son regard du danger réel et il ne voit pas l’ennemi qui vient l’attaquer par derrière pour prendre la place de Dieu dans son cœur. On peut prendre ici l’image du lapin qui est pris dans les phares de la voiture la nuit sur la route et qui reste là pétrifié face au danger qui approche, incapable de faire le moindre mouvement, de bouger une oreille. Voilà la vérité, l’inquiet est comme un lapin qui reste pétrifié face au danger qui fonce tout droit sur lui et qui reste là, incapable de bouger.
Alors il est temps d’arrêter cet engrenage infernal : en laissant l’inquiétude dominer ton cœur, tu te comportes comme un païen, pointe Jésus : « Tout cela, les païens le recherchent sans répit » Arrête de t’angoisser. Ne te laisse pas envahir par l’inquiétude, l’agitation, l’angoisse et la colère. En faisant cela, tu laisses la place dans ton cœur à l’ennemi. Il te vole ton énergie vitale et tu ne produis plus rien de bon. Ce que le Seigneur pour nous, c’est la paix intérieure, la quiétude, l’assurance et la sérénité. Voici le chemin :
« Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. »
- CHERCHE : Lève-toi et marche ! Il s’agit de faire un effort. Il y a comme un arrachement, un combat à mener, une quête à entreprendre. Lève-toi et marche… Mets-toi en route, je vais te montrer la direction, l’orientation, ce sera ton moteur intérieur, ton espérance
- D’ABORD: Va et ne pèche plus ! Il s’agit ici de déterminer ses priorités, d’établir une hiérarchie entre ce qui est essentiel et secondaire, absolu et relatif, fini et infini, entre toi et Dieu. Il y a là un choix à poser, un « oui » et un « non », un discernement, un jugement. Tu dois prendre position : J’en prends aujourd’hui le ciel et la terre à témoin contre vous : c’est la vie et la mort que j’ai mises devant vous, c’est la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie pour que tu vives, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix et en t’attachant à lui. (Deut 30,19)
- LE ROYAUME de DIEU et SA JUSTICE : Souvenez-vous de Jean-Baptiste prêchant dans le désert : Le Royaume des cieux s’est approché. Et dès qu’il fut baptisé, Jésus sortit de l’eau. Voici que les cieux s’ouvrirent et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et voici qu’une voix venant des cieux disaient : Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis toute ma joie. (Matt 3,16) Voilà le Royaume de Dieu et sa justice. Jésus le rend présent et par lui le ciel s’ouvre et l’Esprit de Dieu descend sur nos vies. Par lui arrive la joie de Dieu.
- ET TOUT LE RESTE VOUS SERA DONNE EN PLUS : Tout le reste reprend alors naturellement sa place seconde dans notre vie, une place normale qui ne provoque plus d’angoisse insurmontable. Je peux de nouveau agir, travailler, faire mes études, mon travail de pasteur. Je suis désormais dans la paix pour aujourd’hui : « Ne vous inquiétez donc pas pour le lendemain : le lendemain s’inquiétera de lui-même. A chaque jour suffit sa peine. »
« Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre. » (Jean 14,27) Je ne sais pas si vous vous sentez concernés ou non ! A vous de voir… Moi je suis en paix. Amen !