Apprendre à lire les signes

Texte biblique : Jean 2, 13-22

Prédication pour l’Assemblée Générale :

Il faut apprendre à lire les signes. Toutes les diseuses de bonne aventure, les journalistes comme les économistes les plus chevronnés vous le diront : par eux-mêmes, les événements n’ont aucun sens. Seule compte l’interprétation qu’on en donne. L’interprétation d’un événement, d’une rumeur comme d’un texte biblique relève toujours d’un acte de la volonté. C’est un choix de celui qui cherche à comprendre et non une procédure scientifique de l’ordre de la connaissance ou d’un savoir démontrable et opposable. Interpréter les événements consiste à choisir de leur donner du sens.

L’Evangile de Jean relève qu’en changeant l’eau en vin « ce fut le commencement des signes de Jésus… Ce qu’il fit à Cana manifesta sa Gloire et ses disciples crurent en lui » L’événement vécu par tous les convives de la noce ne fut interprété comme un signe que par les seuls disciples. Pour eux, aucun doute possible : ce à quoi ils ont assisté ne pouvait être qu’une manifestation de la Gloire de Dieu. Qu’en est-il des autres convives ? Nous n’en savons rien. Par contre, la foi des disciples, elle, est née comme le fruit d’une relecture existentielle d’un événement compris comme un « signe », ou même mieux, comme la « signature », la trace du passage de Dieu dans leur vie.

Alors, quand Jésus chasse les marchands du temple en pleine fête juive de la Pâque, il crée l’événement qui va faire sensation. Comme on dit aujourd’hui, ça fait le buzz. Trace vraisemblable d’un fait historique avéré, il est rapporté par les quatre évangiles qui l’interprètent chacun à leur manière. L’Evangile de Jean, lui, met en scène deux groupes, « les disciples » et « les juifs » qui, chacun leur tour, cherchent à interpréter ce qui s’est passé. En citant le Psaume 69 : « La passion jalouse de ta maison me dévorera ! », Jean nous montre des disciples qui décident d’y voir une conséquence d’un zèle débordant qui brûle Jésus. Cherchent-ils à atténuer le scandale qui s’annonce ? En tout cas, en réagissant à chaud, ils y voient le signe que Jésus n’est après tout qu’un humain, tout comme eux, pétri de passion et capable de violence. Ils lui trouvent une excuse pour justifier ce comportement difficile à comprendre : « il a le feu sacré, comme on dit, il faut l’excuser… » Etonnamment, les juifs, eux, n’ont pas immédiatement une interprétation à donner. Mais plutôt que de se précipiter à accuser, à l’image de ces disciples qui se sont précipités pour excuser, ils commencent par questionner : Quel signe nous montres-tu pour agir de la sorte ?

La réponse de Jésus servira de point de bascule, ridicule pour les uns, mystérieuse pour les autres : Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai !  Ceux qui reçoivent ces mots au pied de la lettre ne peuvent y voir autre chose qu’une nouvelle provocation de Jésus qui se discrédite totalement à leurs yeux : il a fallu quarante-six ans pour construire ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèveras ? Qui peut affirmer des choses aussi grotesques, aussi manifestement contraires aux connaissances scientifiques ? Et les disciples ? En fait, il leur faudra attendre : Quand il se fut réveillé d’entre les morts, ses disciples se souvinrent qu’il disait cela et ils crurent l’Ecriture. Comme toujours, sur le moment les choses restent mystérieuses : impossible de donner du sens en restant collés aux événements, dans l’immédiateté, comme ces chaînes d’info continue. Apprendre à lire les signes demande du temps et de la distance. Ce n’est que dans l’après-coup, quand il est possible d’avoir un regard d’ensemble, que le signe se donne et que la vérité se dévoile.

C’est sans doute là l’enjeu majeur d’une Assemblée Générale et peut-être plus particulièrement de la nôtre aujourd’hui : un temps de bilan, de prise de distance, de discernement et de mise en perspective. Pour ma part, après 6 mois de présence en tant que pasteur du St Esprit, il était important de vérifier avec vous (et avec le CP) que nous étions dans la bonne direction. Pour comprendre la situation en finesse, il me fallait bien prendre 6 mois pour écouter, rendre visite et rencontrer les uns et les autres, prendre le temps de ne rien dire. Bon, je sais que j’ai un peu de mal à ne rien dire… mais j’ai écouté ! Je sais aussi que je prêche trop longtemps, c’est vrai et j’espère vraiment que vous ne vous ennuyez pas trop… mais surtout, j’ai la conviction profonde que l’essentiel n’est pas là : quels sont les événements significatifs que nous allons choisir pour faire sens ? Il faut relire notre histoire par-delà l’écume des jours. Qu’allez-vous choisir pour interpréter l’histoire de la paroisse du Saint Esprit ?

  • La croix recouverte de peinture bleue piscine (ou bleu marial selon les goûts) ?
  • Les repas paroissiaux nombreux et caractéristiques de l’ADN de notre Eglise (avec en point d’orgue le magnifique banquet Luther du mois de novembre)
  • L’exigence intellectuelle forte et le classicisme revendiqué pour les cultes et la musique, le tout dans une identité réformée voir calviniste assumée (l’année Luther c’est bien, mais Calvin c’est pas mal non plus !)
  • La perte lente mais, semble-t-il, inexorable des membres de l’Eglise qui constate le vieillissement de ses membres et les décès marquants qui laissent des trous béants dans la communauté (Simone Bernard, Françoise Alexandre, Liliane Bonvallet, Alexandre Peugeot…)
  • La sonorisation et l’éclairage défaillants du temple (on entend mal et on voit mal !) ?
  • L’absence de jeunes et notamment de jeunes couples avec enfants et poussettes ?
  • Le rayonnement indéniable du Cercle du Mardi depuis plus de 50 ans (un peu vieillissant lui aussi mais ô combien passionnant sur le fond et important pour l’Eglise)
  • Le conflit majeur avec le pasteur précédent qui a littéralement déchiré la communauté, provoquant des paroles dures, des jugements réciproques, des départs et surtout un traumatisme psychologique et spirituel majeur ?
  • Faut-il relever les absences étonnantes dans notre vie paroissiale ?
    • Absence de projet diaconal au service des plus vulnérables
    • Absence de vision pour la croissance numérique de l’Eglise qui ne touche plus l’extérieur mais reste centrée sur le petit troupeau de ses membres
    • Absence de temps/réunion de prière, médication, recueillement qui permettrait à l’Eglise de se ressourcer spirituellement…

L’Assemblée Générale c’est un temps nécessaire de retour sur soi pour prendre distance vis-à-vis de la vie courante, se donner un recul nécessaire et choisir les événements significatifs pour les relier et donner du sens à la vie de l’Eglise. Là réside la mission principale du Conseil Presbytéral et de son pasteur : donner une vision, une direction, tracer des perspectives en fonction d’une interprétation de l’histoire. Nous allons faire cela ensemble juste après notre culte. Mais si, justement, nous commençons par un culte, c’est bien parce qu’il est essentiel de laisser à Dieu la première parole à ce sujet, qu’il puisse intervenir et peut-être orienter, ré-orienter nos discussions, préoccupations, décisions… Et si nous mettons notre AG sous le regard de la Parole de Dieu, il me semble qu’il y a dans le texte biblique que nous avons lu dans l’Evangile de Jean pas mal de résonnance qui font écho à notre situation. J’y entends, moi, la proximité avec la fête de la Pâque, un épisode de colère et de violence qui secoue le Temple, la demande d’un signe de la part des responsables du Temple… et puis une parole mystérieuse qui doit faire sens : « Détruisez ce sanctuaire et je le relèverai en 3 jours ! »…

La première réaction consiste à résister : il a fallu 150 ans pour le construire et toi tu prétends le reconstruire en 3 jours ? Quel orgueil, quelle folie…

C’est ici que l’Evangile de Jean décide de sortir de son récit pour nous donner la clé. Ce n’est pas moi, le nouveau pasteur qui vais reconstruire le temple d’un coup de baguette magique. Non, il y aurait erreur sur la personne, usurpation d’identité et ce serait par trop orgueilleux de ma part de vouloir me mettre à la place de Jésus. L’Evangile de Jean rassure les inquiets et rabaisse les orgueilleux : Le sanctuaire dont il parlait, lui, c’était son corps. Il y a là un point déterminant, fondamental qui doit nous réorienter entièrement dans notre inquiétude et notre souci (légitime) de reconstruire l’Eglise. En fait, tous ces différents éléments que j’ai relevés, écoutés, analysés depuis 6 mois ne doivent pas nous masquer, nous cacher, s’interposer et faire écran devant l’essentiel : le Corps du Christ. Le sanctuaire dont il parlait, lui, c’était son corps et non le bâtiment de notre Eglise et encore moins ses institutions, projets, difficultés, sociologie et autres questions qui nous préoccupent. Tout cela n’appartient pas à l’essentiel, tout cela ne doit pas nous préoccuper plus que de raison. Ce qui doit tomber, tombera et ce qui doit vivre vivra. Mais le plus important c’est ce que le Christ nous dit aujourd’hui : en trois jours, je le relèverai. Voilà l’essentiel : le Seigneur va ressusciter, le Corps du Christ va ressusciter. Voilà la clé.

Chers amis, j’ai une bonne nouvelle à vous annoncer : vous êtes / nous sommes le Corps du Christ et le Corps du Christ c’est vous (1 Corinthiens 12,27) ! Autrement dit, ne vous inquiétez pas de ce que demain sera, de ce que vous allez manger ou de quoi vous allez vous vêtir (Matthieu 6, 25-34). Ne soyez pas soucieux pour demain : le Corps du Christ va ressusciter. Notre Eglise du Saint Esprit va ressusciter, elle va se relever, c’est une certitude ! Oui elle a souffert, ou elle a perdu, oui elle a traversé le désert et l’angoisse du lendemain financièrement, numériquement, spirituellement… Tout cela est vrai et j’allais dire, tant mieux ! Pour connaître la résurrection, il faut apprendre à mourir. Et c’est ce que vous avez fait.

Ainsi parle le Seigneur : Tout pouvoir m’a été donné, dans le ciel et sur la terre. Allez, de toutes les nations faites des disciples, enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai enseigné et voici, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ! (Matthieu 28,16-20) Seigneur, au nom de toute la communauté, je veux te dire que le moment est venu de tenir ta promesse, puisque tu as promis d’être avec nous jusqu’à la fin du monde…

L’heure vient, et elle est là, dit Jésus (Jean 4,23) Détruisez ce sanctuaire et je le relèverai en trois jours. Le sanctuaire dont il parle, c’est son corps, c’est vous, les membres de son corps. Alors, debout peuple de Dieu, Corps du Christ, la résurrection est là et elle t’attend ! Et quand vous le constaterez alors vous pourrez reprendre à votre compte les derniers versets de notre passage que nous avons lu dans l’Evangile de Jean : vous vous souviendrez de mes paroles, vous croirez en l’Ecriture et dans la Parole que Jésus a dite (Jean 2,22) !

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