Ne jamais oublier d’éteindre son micro…

 

Les prédicateurs et les prédicatrices vivent dans la hantise d’un jour parler dans un micro qu’on
croyait éteint alors qu’il était en fait allumé. Et voilà que le micro livre à toutes les oreilles le petit
commentaire sarcastique, la blague un peu douteuse, les secrets qu’on ne disait qu’à quelques
intimes. Vous aurez beau frapper frénétiquement sur le micro, il est trop tard, vos commérages
résonnent dans tout le temple. Et il n’est rien que vous puissiez faire pour les arrêter… Mais
rassurez-vous ! Cette humiliation que n’ignorent pas les plus maladroits d’entre nous, est même
arrivée à Jésus. J’en veux pour preuve ce texte. À y regarder de plus près nous avons deux histoires.
Deux discours. La premier est celui de Jésus, magnanime, qui enseigne une foule. Mais une fois la
leçon terminée, notre scribe, l’évangéliste Matthieu, à juger bon d’aussi écrire les apartés. C’est
ainsi que nous entendons Jésus commenter ces propres paroles.

Dans le micro d’abord ; ou la barque, comme vous voudrez, bien fort face à la foule attentive, Jésus
raconte l’histoire ; une parabole pour parler du royaume des cieux.

C’est l’histoire d’un semeur, sortit pour semer. Je l’ai dessinée plusieurs fois sur mes brouillons. Mes
grains ressemblaient à de petits confettis de toutes les couleurs qui tombent le long d’un chemin. Un
oiseau bleu se pose non loin et les picore un à un. Sur la page, des graines colorés continuent de
tomber sur un sol rocheux cette fois. Et elles grimpent vers le ciel faute de sol auquel s’accrocher,
mais le soleil pointe le bout de son nez et elles finissent par griller. D’autres confettis tombent dans
les ronces qui les déchirent et les étouffent avant même qu’il aient eu le temps de pousser. Une
larme tombe sur mon cahier. Mais fort heureusement, quelques précieuses semailles, (les élues ?),
tombent dans la bonne terre et on imagine un jardin grandir ; l’herbe fraîche, un arbre, des fleurs…
Chaque graine donne la plante pour laquelle elle avait été semée.

C’est ainsi que Jésus veut nous parler du Royaume des cieux. Nous sommes donc en droit de nous
demander : qui sont les élus ici ? Qui sont les choisis ? Qui entrera dans ce royaume ? À côté de
mon petit dessin j’écris dans ma Bible ce gros mot protestant : PRÉDESTINATION ? (Point
d’interrogation !). Cette idée que certaines seraient sauvées quoi qu’elles fassent, et que d’autres
quoi qu’ils fassent ne le seraient pas. Soutenant la thèse que les voies de Dieu sont impénétrables et
que personne ne sait comment fonctionne sa justice. Cette idée nous la devons à Jean Calvin, grand
réformateur protestant, dont nous avons l’effigie en poster dans ce temple. Alors Jésus serait-il
calviniste ? Tout dépend de notre compréhension du Salut.

Petit point définition si vous me permettez : le salut, nom masculin
– Façon de se saluer pour se dire bonjour ou revoir,
– Mais également le mot qu’on prend pour parler du fait d’être sauvé·es.

Mais sauvé·es de quoi me direz-vous ? Eh bien la réponse, c’est que nous ne sommes pas tous
d’accord. Pour nos frères et sœurs catholiques, nous serions sauvé·es de la mort. Et donc en fait on
ne mourrait pas vraiment, mais on pourrait accéder au Paradis et ainsi éviter une damnation
éternelle.
Le paradis, l’enfer, le salut, le royaume des cieux… c’est sans doute l’un des plus grands fantasmes
chrétiens. Et pourtant, nous autres protestants, nous regardons toujours ce sujet d’un œil un peu
circonspect. Si nous parlons dans nos églises et nos temples d’être sauvé·es, en réalité nous ne
disons jamais ce qui viendra après. Une façon d’admettre humblement… qu’en fait on n’en sait
rien. Et Calvin d’en remettre ça à Dieu en disant : c’est lui qui décide ! Nous ne savons pas.

Jésus quant à lui semble avoir une idée de ce qu’est le royaume des cieux et il en parle toujours de
la même façon. En paraboles. Ce mode d’enseignement populaire, dont il raffole. Dans les 4
évangiles nous comptons pas moins de 43 paraboles différentes. Elles sont des petits récits de
fiction qui empruntent la réalité de l’audience, pour en fait parler d’autre chose. Ici Jésus utilise une
métaphore agricole pour parler du Royaume des cieux. Et libre à nous d’interpréter…
Le royaume est-il ce beau jardin qui grandit ? Qui sommes-nous ? Des ronces ? Une bonne terre ?
Sommes nous à un endroit ou avons nous tout ces lieux en nous ? La graine semée est-ce la parole
de Dieu ? Est-ce la parabole ? Serait-ce nous-mêmes ?

Puis Jésus sort de scène. Il éteint le micro et le pose. Zoom sur le micro. Le petit voyant vert indique
qu’il est toujours allumé. Le public le sait, mais Jésus, lui, ne le sait pas. Et c’est alors qu’on
l’entend parler avec ses disciples. Les disciples qui s’étonnent ; pourquoi leur maître parle-t-il en
paraboles ? Ne serait-il pas plus simple d’aller droit au but ? De dire clairement quel est ton
message. Mais Jésus leur confie : « Parce qu’il vous a été donné, à vous, de connaître les mystères
du royaume des cieux, mais qu’à eux cela n’a pas été donné ». C’est comme si Jésus, muni d’une
craie, traçait un trait très net entre lui et ses disciples d’une part, et la foule d’autre part, agglutinée
sur le rivage. La foule ne peut pas comprendre, « c’est pourquoi je leur parle en paraboles », sinon
ils ne comprennent rien. Alors je ne sais pas dans quel camp vous vous situez, si vous vous sentez
plutôt foule ou plutôt disciples. Personnellement, je ne suis pas disciple. Je n’ai pas vendu ma
maison pour suivre Jésus, ni abandonné ma famille et mes amis, je n’ai pas tout quitté pour le suivre
à travers villes et champs, vivant de quatre pains et deux poissons pour proclamer sa bonne parole.
Moi je suis dans la foule, et j’accours vers toi Jésus pour t’écouter, car j’aimerais comprendre ce
que tu as encore à nous dire aujourd’hui. Et j’avoue être un peu vexée, quand tu me parles comme à
une enfant de 3 ans pour m’expliquer qu’une petite graine qu’on plante dans de la bonne terre
pousse mieux que quand on la plante dans un milieu hostile. Et comme ça ne suffisait pas, Jésus
jette sa craie et prend une pelle cette fois et creuse. Il creuse un fossé entre la foule, et lui et ses
quelques élus.

Et il dit :
On donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance. Il aura encore plus.
Mais à celui qui n’a rien en revanche, on prendra tout.

Ce qui se sentent d’humeur solidaire seront sans doute un peu étonnés, voire agacés, par ces propos.

Ceux qui n’ont rien en revanche risquent fort d’être révoltés par une telle sentence. Et pourrons-
nous leur en vouloir ? De risquer de tout perdre alors qu’on vient de leur dire que, de toute façon, ils
n’auront rien ? Pourrons-nous leur en vouloir d’hurler à l’injustice plutôt que d’attendre que la
justice fasse son travail ? Si les paroles de Jésus sont difficiles, il n’est pas difficile pourtant de
constater à quel point elles sont vraies. Si on regarde autour de nous et qu’on fait un peu attention ;
force est de constater qu’il est plus facile de recevoir quand on a déjà reçu ; que quand on n’a jamais
rien eu. De quoi ébranler nos idéaux de méritocratie… j’en suis à peine désolée. En mai 2022
l’INSEE publie un rapport sur l’ascenseur social en France. Sous-titre : il est cassé… les enfants de
parents diplômés ont 17% de chance de s’élever socialement, tandis que les enfants de parents non
diplômés ont seulement 10% de cette chance. Les femmes quant à elles, toutes catégories sociales
confondues, ont deux fois moins de chance qu’un homme de réaliser cette ascension. De même que
vous avez peut-être déjà fait l’expérience d’offrir quelque chose à une personne, et que cette
dernière refuse votre cadeau. Peut-être parce qu’elle n’a jamais reçu gratuitement, et que don pour
elle équivaut à contracter une dette envers vous. Donner, recevoir, sont des joies et des gestes qui
s’apprennent. Et certains qui n’ont jamais appris ce qu’était que le don, le vrai, le gratuit, celui fait
par amour sans condition, sont parfois dans l’incapacité la plus totale de le recevoir. C’est terrible.

Et cela crée des injustices immenses entre nous ; entre celles et ceux capables de donner et recevoir
et celles et ceux qui ne le sont pas.

(Je me permets une petite parenthèse ; c’est terrible, mais ce n’est pas une fatalité. On peut
apprendre à tout âge que le don peut être gratuit. On le reconnaît aux sentiments qu’il fait naître en
nous : la gratitude et la joie. S’il fait naître quoi que ce soit d’autre : redevabilité, angoisse, peur…
ce n’est pas un don. C’est un calcul, une manipulation. Il faut s’en aller.)

Revenons-en à nos plantes, la Bible, et Jésus avec elle, entérinerait-elle pour toujours ces injustices
innombrables entre nous ? Entre ceux qui ont reçu d’un côté et ceux qui n’ont rien reçu de l’autre ?
Entre celles qui recevront tout, et celles qui ne recevront rien ? Devons-nous lutter contre ces
injustices ? Il fut un temps, où certains calvinistes ont développées l’idée selon laquelle nos
réussites, économiques, sociales, étaient le signe d’une élection divine. C’était la preuve qu’on
serait sauvés. Alors sauvés de la misère du monde, sans doute. En revanche sauvés dans le royaume
des cieux, j’en doute. Pour leur défense la sociologie n’existait pas encore, pour ne pas les défendre
en revanche ceux qui ont théorisés cela était surtout des hommes privilégiés qui ne reculaient
devant pas grand chose pour défendre leurs intérêts bien gardés. C’est également au nom de ce
principe d’élection divine et visible, que des protestants ont justifié et perpétué l’esclavage. Mais je
ne vais pas vous refaire la grande et triste histoire des mauvaises théologies… tout du moins pas
aujourd’hui. Et je m’en remets à l’une de mes pasteures plus jeune qui me disait : il y a toujours
deux façons de lire la Bible. Il y a la pire, je crois que je viens de vous le prouver. Et il y a la
meilleure. Alors sans transition mesdames et messieurs, voici la meilleure.

Qui sont les élu·es ? Sont-ce les graines qui sont tombées dans la bonne terre et qui elles seules ont
poussé ? Si c’est le cas, pourquoi alors le semeur sème-t-il partout ? Pourquoi sème-t-il sur le bord
des chemins ? Sur les sols rocheux ? Dans les ronces ?! D’ailleurs qui est le Semeur ? En français ça
rime drôlement avec Seigneur. Que chacun l’appelle comme il veut ; la vie, l’amour, père, mère,
pour ma part je t’appelle Dieu. Ce Dieu dont ton fils Jésus nous dit que tu sèmes partout. Et il nous
le dit dans une parabole. Et ce que j’aime avec les paraboles c’est que, passées nos premières
vexations, on est pas des nœuds-nœuds tu peux nous parler comme à tes disciples, en fait dans les
paraboles, il y a toujours quelque chose d’extravagant. J’en fais un verbe, quand il parabole, Jésus
utilise des éléments de la vie quotidienne des gens à qui il parle. En l’occurrence ici il s’adresse
sûrement à des personnes qui ont l’habitude de travailler au champ. Elles ne s’amusent pas à jeter
des grains dans les ronces, ni dans les sols infertiles, encore moins sur les bords des chemins pour
nourrir les oiseaux. Qu’est ce que ce semeur amateur ? qui jette des graines partout ? mais surtout
n’importe où ! sans tenir compte d’aucune réalité géographique ?

Deuxième étrangeté, Jésus parle des graines semées qui produisent un rendement fou, comme ça,
toutes seules. Il parle à des personnes qui labourent la terre, qui plantent des graines, qui arrosent,
qui récoltent. Donc il parle à des gens qui savent que ça ne se fait pas tout seul. Certes il y a une
petite part de chance quand la terre est bonne, mais enfin il y a surtout quand même une part
immense de travail agricole et de volonté humaine. À la question : faut-il lutter contre les injustices
dans nos vies, de terrain ? Je réponds, ne savons nous pas arracher les ronces ? Rendre les sols
fertiles quand il le faut et planter des épouvantails dans nos champs pour éloigner les oiseaux ?

Dieu sème partout nous dit Jésus. Et il ne désertera aucun endroit. Le Salut ce n’est donc pas de
tomber dans la bonne terre. Être sauvé·e, c’est être semé·e. Et c’est ainsi qu’advient le royaume des
cieux, graine par graine, plante par plante, homme par femme. Il se déploie jusqu’au ciel, mais il
advient ici bas. Il commence ici.

Mais il recule aussi, chaque fois qu’une graine est étouffé, qu’une pousse est arrachée ou qu’un
arbre est froidement abattu… Chaque fois qu’un de tes enfants est privé de ton projet pour lui. C’est
tout ton royaume qui souffre Seigneur. Puissions-nous faire pousser des jardins bien plus grands,
Puissions-nous nous rapprocher de toi, et que nos branches touchent enfin le ciel d’où tu sèmes.

Frères et sœurs, notre Seigneur est un semeur complètement fou et insensé. Et il ne se résignera
pas. Il continuera à semer jusqu’à ce que chacune de ses graines germe. Si l’on peut tout prendre à
celui qui n’a rien, Dieu lui nous fait un don que nul n’a le droit de reprendre. Nous sommes partie
de son royaume. Il nous appelle chacun, chacune par notre nom. Quel que soit l’endroit où nous
sommes. Car nous sommes ses enfants. Nous prions pour chaque graine ; pour toutes celles qui
n’ont pas pu germer, pour toutes celles qu’on a déracinées, pour toutes celles déjà plantées, pour
toutes celles qui germeront. Nous prions pour toutes ces vies. Sous ta loi, aucune ne vaut plus
qu’une autre.

Frères et sœurs, notre Seigneur est un semeur complètement fou.
Il ne se résignera pas.

Il continuera de semer
jusqu’à ce que chacune de ses graines germe.

Amen.

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