« Mon royaume n’est pas de ce monde » 36
« Quiconque est de la vérité écoute ma voix » 38
Vous voudrez bien, chères sœurs, chers frères, garder à l’esprit ces deux versets comme deux fils rouges, tout au long de notre méditation. Mais avant d’en venir au face à face entre Jésus et Pilate, il convient de rappeler que dès les premiers versets du chapitre 18, la lecture du quatrième évangile entre dans le récit de la passion qui va mener inexorablement Jésus Christ, le Messie, Fils de Dieu, vers le Golgotha pour que s’accomplisse la crucifixion, après la trahison de Judas, après la livraison de Jésus aux gardes du grand prêtre et après le reniement de Pierre…
Ces trois événements qui précèdent le face à face avec Pilate entrent, selon Jean, dans le processus qui mène effectivement à l’accomplissement des écritures. Jésus, en effet, se laisse arrêter en interdisant à ses disciples et à Pierre notamment de le défendre. D’ailleurs, les trente premiers versets du chapitre 18 sont ponctués de paroles de Jésus rapportées par Jean, qui nous indiquent que le Seigneur est conscient du destin qui est le sien en sa qualité de Fils du Père.
Dès la trahison de Judas, Jésus demande que ses disciples ne soient pas arrêtés car (verset 9) dit Jean : « c’était pour que s’accomplit la parole que Jésus avait dite : « Ceux que tu m’as donnés, je n’en ai perdu aucun » »
Plus loin, au verset 14 : « Pierre, remets ton épée au fourreau. La coupe que le Père m’a donnée ne la boirai-je pas ? » Plus loin encore au moment où les autorités juives mènent Jésus chez Pilate au prétoire en espérant qu’il sera condamné à mort selon la loi romaine, pour sédition, c’est-à-dire la crucifixion, Jean rapporte : « Les juifs dirent à Pilate il ne nous est pas permis de mettre quelqu’un à mort » et « c’est ainsi que devait s’accomplir la parole par laquelle Jésus avait signifié de quel genre de mort il allait mourir » Jean affirme donc la prescience de Jésus, à qui rien n’échappe ! A ce stade, et juste avant de méditer sur le face à face entre Jésus et Pilate, je me permets de vous citer un extrait d’une somme écrite par un théologien de la deuxième partie du XXe siècle sur l’évangile de Jean, Xavier-Léon Dufour : « Si les grands prêtres apparaissent les premiers responsables du crucifiement, celui qu’ils entendent supprimer demeure maître de sa mort ;… l’acte destructeur de ceux qui ont rejeté Jésus deviendra paradoxalement la manifestation au monde de sa victoire » et le théologien continue : « Par avance donc, Jean supprime du récit tout suspense sur l’issue qu’aura le procès romain. Seul son déroulement reste à découvrir, pendant lequel le lecteur est conduit à contempler le « Roi »
Découvrons donc le déroulement du face à face entre Pilate et Jésus tel qu’il ressort de la lecture de tout à l’heure.
Ce face à face doit, me semble-t-il, être regardé comme une véritable dramaturgie. Certes, Jésus apparait comme piégé entre le marteau et l’enclume, entre les autorités de la synagogue qui veulent sa mort et le gouverneur romain qui, lui, cherche à savoir s’il a affaire à un dangereux rebelle ; pourtant face à son accusateur, c’est Jésus qui semble mener l’entretien. En tout cas, l’habileté de Jésus est là flagrante car à la question : « es-tu roi des Juifs ? » Jésus refuse de répondre puisqu’il demande à Pilate de qui il tient cette information. Pilate est manifestement surpris et courroucé de cette répartie qui prouve à l’évidence que par cette initiative, Jésus n’est pas victime de ses ennemis mais, pardonnez cette formulation, joue avec eux de manière théâtrale. A partir de là, c’est Jésus lui-même qui semble mener cet entretien, ce face à face. Pilate contraint d’avouer d’où vient l’accusation, n’a d’autre possiblité que de demander au Christ : « Mais qu’as-tu fait ? » sous entendu de mal bien sûr et d’avouer ainsi son ignorance sur la question qu’il pose. Mis au défi, Jésus ne répond pas explicitement qu’il n’a rien fait mais déclare, ce qui est dans la mémoire de tous les chrétiens depuis lors : « Ma royauté n’est pas de ce monde ».
En répondant ainsi de manière négative, Jésus donne la clef de sa mission : il convient d’admettre que celle-ci est royale mais pas au sens que Pilate et ses ennemis de la synagogue l’entendent : la mission du Messie n’est pas nationale, n’est pas politique. Elle est uniquement liée à l’événement de la révélation. Si cette royauté n’est pas de ce monde, d’un point de vue originel, elle se déploie sur et dans le monde, c’est-à-dire partout, mais n’a rien à faire avec la royauté en usage parmi les êtres humains que nous sommes. En fait, la royauté du Christ est bien une royauté eschatologique, c’est-à-dire liée aux fins dernières, éternelle dans le temps et dans l’espace…
Décidemment, le gouverneur romain et l’Envoyé de Dieu ne sont pas du même monde ! Car Pilate retient de la réponse de Jésus, qu’il a encore parlé de royauté, d’où la même question répétée par lui sous forme affirmative : « Tu es donc roi ? »
Puis sans chercher à se justifier, sans même chercher à convaincre Pilate, ce païen qui ne saisit pas ce langage quelque peu mystérieux, Jésus proclame ce pourquoi il est là, à savoir pour rendre témoignage de la vérité. Il le fait de telle sorte que l’on comprend que sa mission d’attester la vérité a une portée totalement universelle ; d’ailleurs, il continue et dit : « quiconque est de la vérité écoute ma voix ». En outre, l’identité royale du Christ est explicitée par le deuxième paragraphe du verset 37 après sa proclamation : je suis né et je suis venu pour cela, c’est-à-dire pour témoigner. Les verbes naître et venir employés ici ne le sont pas par hasard, compte tenu de leur forte connotation théologique, liée à l’Incarnation. Le verbe naître atteste que Jésus est né homme et porteur de la condition humaine, le verbe venir atteste dans le langage de Jean que Jésus, pour sa mission, ne relève pas du monde car il est l’Envoyé de Dieu. Jean Zumstein, professeur de la faculté de théologie de Zurich, un autre exégète réputé de l’évangile de Jean qui relève les deux verbes, remarque avec finesse qu’ils font référence au prologue qui chantait l’incarnation du Logos, c’est-à dire le verbe éternel précisément incarné . Pensons surtout au verset 14 du prologue : « Et le logos est devenu chair et il a habité parmi nous et nous avons contemplé sa gloire, gloire comme celle que tient du Père le Fils unique, plein de grâce et de vérité » .
Dans le texte qui nous préoccupe la vérité ne peut pas être isolée de celui qui est venu dans ce monde pour la répandre. La parole de Jésus-Christ n’est pas une théorie, elle est un appel qui, pour celui qui le reçoit, touche les profondeurs de la personne humaine. La vérité chez Jean est ce à quoi on peut faire confiance ; c’est alors en définitive tout simplement la réalité de Dieu qui demande a être accueillie par la Foi.
Jésus, roi messianique et témoin de la vérité ne sait pas se soumettre à une vérification prétendument rationnelle. Seul celui ou celle qui abandonne certaines prétendues évidences de ce monde d’ici bas pourra se laisser en confiance habiter par Dieu, saura reconnaître Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, Consolateur et porteur de l’Amour et du Pardon. C’est le mystère, chères sœurs, chers frères, de la grâce qu’il nous faut accepter avec humilité, car Jésus-Christ n’est jamais aussi grand que dans la fidélité au Père, l’Alpha et l’Oméga, qui a été, est, et sera de toute éternité.
Amen
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