Attente et confiance

 

 

Aujourd’hui — premier dimanche de l’Avent — commence pour les chrétiens une nouvelle année liturgique ; nous allons donc nous préparer, une fois encore, à célébrer Noël. Que cette entrée dans le temps de l’Avent soit pour nous tous une occasion de raviver l’espérance, une espérance qui fait éclater les frontières du temps, mais aussi une espérance pour notre temps. Le mot avent (adventus en latin) s’apparente aux mots avenir (advenir), venue, avènement. Il s’agit de l’arrivée de quelqu’un qui est attendu, ou de la réalisation de quelque chose qu’on espère, de l’accomplissement d’un projet.

On peut parler d’un triple avènement.

Ce sera trois façons différentes de concevoir Noël.

– Il y eut un premier avènement, il y a deux mille ans, avec la naissance de Jésus, en qui l’Eglise, par la suite, a reconnu le Messie et qu’elle a appelé Christ (le mot Christ, en grec, a le même sens que le mot Messie, en hébreu, « oint »). On célèbre cet avènement à Noël, par une reconstitution historique, et la lecture des récits bien connus de Matthieu et de Luc nous y aide. Mais personne n’est dupe ; on ne revit pas l’événement, car on sait très bien qu’il appartient au passé.

– A la fin des temps, il y aura l’avènement définitif du Christ-Roi qui viendra rassembler tous les hommes. Le retour de Jésus-Christ en majesté et en gloire suivra de grandes catastrophes, telles que la littérature apocalyptique les imagine et dont le texte de Luc donne quelques échos, nous invitant à être vigilant en vue de ce jour. Les premiers chrétiens attendaient un retour imminent de Jésus. Paul ne niait pas ce retour, mais, puisque nous ne savons ni le jour ni l’heure, il les sommait de reprendre leurs activités quotidiennes interrompues, de développer abondamment leur amour les uns pour les autres et de faire sans cesse de nouveaux progrès vers la sainteté. Le retour de Jésus-Christ demeure sûrement l’objet de l’espérance chrétienne ; il constitue le dernier chapitre de tous les ouvrages de théologie dogmatique, mais — il faut bien avouer qu’à part quelques communautés chrétiennes qui en font leur préoccupation essentielle — ce thème n’est plus au cœur de la prédication de nos églises ni même de notre réflexion religieuse, et ne mobilise plus les esprits. Il n’est plus vrai que nous attendons le retour de Jésus-Christ, ni que nous nous y préparons comme si la fin du monde était proche.

– Il existe un troisième avènement qui, lui, doit nous permettre de raviver notre espérance, et que j’appellerai l’avènement au quotidien, un Noël pour aujourd’hui, une espérance pour notre temps. J’y viendrai dans un instant.
Je voudrais auparavant m’arrêter au thème de l’attente messianique dans la prédication prophétique de l’Ancien Testament, dont le texte de Jérémie nous donne un exemple. Cette attente a constitué et constitue encore, je crois, l’espérance juive, et cela me semble très important. En effet, Jésus sait qu’il est l’accomplissement de l’espérance juive.

Cette espérance est typique et unique ; on ne la trouve que chez les Juifs, elle est fonction de leur foi en Dieu et de leur certitude que Dieu est le Dieu unique et vivant, tout puissant dans son action, résolu dans sa pédagogie divine à assurer la gloire et le bonheur de son peuple élu, après l’avoir châtié, éduqué, délivré de ses ennemis et sauvé. La venue du Messie et son triomphe ne sont que l’aboutissement et le couronnement de ce dessein grandiose de rédemption, poursuivi par Dieu, depuis qu’avec Abraham il a renoué avec l’humanité déchue.
Cela explique, me semble-t-il, la capacité du peuple juif à supporter, à travers l’histoire, déportations et persécutions toujours renouvelées, jusqu’à l’épouvantable et dernier holocauste en date, qui restera la honte de notre siècle.

Or, cette espérance messianique s’est incarnée dans la royauté avec David. Le roi, en effet, est la représentation visible du gouvernement de Dieu sur terre. Le messianisme juif est un messianisme temporel et politique. Si l’on relit, sans prévention, les prophéties messianiques d’Esaïe, au 8° siècle avant J.C., on ne peut s’y tromper : « Un enfant nous est né, un fils nous est accordé, la souveraineté repose sur son épaule… Son rôle est d’agrandir l’empire, d’assurer une paix sans fin au trône de David et à sa dynastie… » (Esaïe 9/5-6).
Plus tard, au 7° siècle, aux heures les plus sombres de l’histoire d’Israël, lorsque le dernier descendant de David est emmené en captivité, Jérémie n’hésite pas à proclamer la fidélité de Dieu envers son peuple et la restauration de la dynastie (Jérémie 23/5-6).
Et encore au 3° siècle, un prophète anonyme, en commentant ce texte de Jérémie, le reprend à son compte et parle toujours de la restauration de la royauté et de Jérusalem. C’est le texte que nous avons lu au début de ce culte (Jérémie 33/14-16).

Au temps de Jésus, le Messie que les Juifs attendent, doit être un roi temporel, dominateur, vengeur et libérateur ; il incarne toutes les rancœurs politiques d’Israël. On comprend que Jésus n’ait pas pu se faire reconnaître pour le Messie. Il ne contredit pas l’espérance juive mais la transforme complètement de l’intérieur. Jésus a bien conscience d’être Messie et Roi, mais pas au sens où l’entendent Caïphe ou Pilate. C’est pourquoi il recommande le secret à ses disciples. Politisée à l’extrême, l’espérance juive, oubliant sa dimension religieuse et morale, n’a pas su reconnaître son vrai Messie et s’est détournée de Jésus.

L’espérance chrétienne saura-t-elle ne pas manquer son but ?

Le thème du retour de Jésus et son avènement en gloire dans le royaume de Dieu ne mobilise guère les hommes d’aujourd’hui. Mais l’espérance de la vie éternelle et l’attente d’un au-delà n’y parviennent pas davantage.
Et la théologie traditionnelle, en forgeant un au-delà opposé à un ici-bas, n’a pas peu contribué à conduire beaucoup de nos contemporains vers l’athéisme. L’attente résignée d’une récompense ou la crainte d’une punition ne sont pas des moteurs valables pour une action digne de ce nom.

C’est pourquoi j’ai parlé d’une troisième dimension de Noël, d’un avènement au quotidien, d’une espérance pour aujourd’hui, car c’est aujourd’hui que Jésus vient et transforme ma vie. Il est vraiment le Messie-Roi, l’Emmanuel, « Dieu avec nous », le même hier, aujourd’hui, éternellement. Avec Jésus, nous sommes sur le chemin qui conduit à Dieu, artisans avec Dieu, et instruments de la réalisation de son projet pour l’humanité : bonheur, justice et paix pour tous les hommes. Qui de nous n’a rêvé d’un monde meilleur, plus juste, plus libre, plus fraternel, où l’homme ne serait plus méprisé, ni victime d’oppressions multiples ? Illusion mensongère ? Utopie romantique ou réalité possible ?

Une espérance chrétienne pour aujourd’hui n’est pas opposée à l’espérance humaine et ne la contredit pas.

Trop souvent, on a pensé qu’elles se situaient sur des plans différents. Le discours religieux doit pouvoir prendre en charge les espoirs, les luttes et les combats de l’homme. Ce n’est pas un hasard si les théologies de la libération sont nées en Amérique latine. Peut-être imparfaites au plan de la pensée, elles ont redonné espoir et joie à des populations opprimées.

Il faut commencer par réapprendre le sens et retrouver le contenu de mots simples comme vivre et espérer.

Qu’espérons-nous ? Qu’attendons-nous de la vie ?

Vivre, c’est aimer et agir de façon responsable. Espérer, c’est croire que l’on peut changer quelque chose. Mais sur quelle puissance s’appuie notre espérance ? Quelle énergie est capable de fonder notre espérance ? C’est là qu’il ne faut se tromper ni de but ni de moyens. Gardons-nous d’une attitude spiritualiste excessive qui donne de la foi une image désincarnée et déshumanisée. Mais tout autant d’une attitude trop progressiste où la foi se confond avec les engagements culturels, sociaux et politiques, une attitude qui confond et assimile royaume de Dieu et cité terrestre.
En fait, nous sommes « ici-bas » dans le « déjà commencé » du royaume et le « pas encore achevé » et nous sommes citoyens des deux cités, celle de Dieu et celle des hommes, équilibre difficile mais indispensable. Et pourtant il ne faut pas craindre les solidarités et les engagements temporels. Mais surtout, il importe de ne pas oublier l’ordre de Jésus : « Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu, le reste vous sera donné par surcroît » (Matthieu 6/33).

Certes, la tâche est immense, le chemin long et difficile mais, si nous laissons agir en nous la seule Puissance capable de transformer radicalement le monde, nous parviendrons au but sans nous laisser arrêter par la lassitude ou l’échec.

Sachons donc prendre, jour après jour, les décisions nécessaires pour vivre la promesse de Dieu :

– agir au plus pressé, certes, afin que régressent, dans l’immédiat, la famine, le chômage, la violence,

– mais aussi, être capable de critiquer une société qui engendre de tels fléaux et défigure l’humanité, où l’argent et la course au pouvoir ont tout avili.

Construisons un monde où Dieu retrouve sa place, car le souci de l’homme n’entraîne pas le refus de Dieu, un monde où l’homme, lui aussi, trouvera sa place, car l’affirmation de Dieu n’exige pas l’abaissement de l’homme.

 

Jésus a dit : « Vous aurez des tribulations dans le monde, mais prenez courage, j’ai vaincu le monde » (Jean 16/33).

 

Amen !

 

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