Moi non plus, je ne te condamne pas

 

La fin du ministère de Jésus approche.
Bientôt son entrée à Jérusalem (les Rameaux) ; bientôt ses derniers entretiens avec ses disciples ; bientôt sa mort et sa résurrection, la Passion et le matin de Pâques.

Au point où nous en sommes, dans l’évangile de Jean, à Jérusalem se déroule la fête des tentes (jean 7, 8), mémoire de la libération d’Égypte du peuple d’Israël.

Jésus est monté dans la grande ville en secret — mais la nouvelle de sa présence et de son arrivée va se répandre très vite — et c’est au grand jour qu’il va se rendre au Temple, pour enseigner, nous dit-on.

Ses paroles perturbent les esprits au point que les autorités cherchent à l’accuser et même à l’arrêter. Pourtant, il est encore libre et, le soir, alors que chacun retourne chez soi, il va passer la nuit au mont des Oliviers.

Puis, dès le matin, il retourne dans le Temple. C’est là que nous le rencontrons plus particulièrement ce matin.

Alors qu’une foule attentive s’est pressée autour de lui et écoute le Maître, voilà que du dehors surgit un groupe de scribes et de pharisiens. Ils font irruption dans le Temple, excités sans doute à l’idée de prendre Jésus en défaut et de lui tendre un piège. Ils veulent mettre Jésus à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser.

Jésus est assis ; eux restent debout, comme en situation de supériorité. La foule est toujours là, attentive et silencieuse ; eux arrivent bruyamment. Le contraste est étonnant.

Le groupe s’avance et presse Jésus de questions. Ils ont amené avec eux une femme surprise en flagrant délit d’adultère :

Moïse dans la Loi nous a prescrit de lapider de telles femmes ; toi, que dis-tu ?

 Jésus ne dit mot. Personne non plus ne répond. C’est le silence.

De cette femme on ne connaît pas le nom. Elle est là, simplement, au milieu, entre la foule, le groupe et le Maître, terrorisée sans doute… Jésus tient, semble-t-il, à marquer ses distances vis-à-vis de ceux qui l’interpellent ; pas question pour lui de se laisser piéger et d’accuser.

Après tout, est-ce que ces pharisiens et ces scribes ne sont pas, eux, les interprètes de la Loi ?… A eux donc de prendre leurs responsabilités… Alors, simplement, il se penche sur le sol et il écrit.

On s’est beaucoup demandé ce qu’il avait bien pu écrire. On a cherché bien des explications à ce mutisme et à ce geste qui reste énigmatique puisque le récit ne révèle pas la teneur de cette écriture.

L’une des explications plausibles, en fonction du contexte, est d’y voir une allusion à un passage de Jérémie (17/13) où il est dit que ceux qui ont abandonné Dieu seront écrits sur la terre.

Voici le texte : « Ainsi parle l’Éternel : ceux qui s’écartent de moi seront inscrits dans la poussière, car ils abandonnent la source d’eau vive, Éternel ».
Jésus ferait mine de comptabiliser les péchés de ses adversaires, de les graver sur la terre. A moins que, plus simplement, on puisse y voir un signe d’authenticité et penser que l’étrangeté du comportement de Jésus a frappé si fort les témoins de la scène que la tradition orale n’a pu éviter de transmettre ce détail.

Recevons-le ainsi, dans toute sa fraîcheur et sa vérité, comme venant de ce Maître qui toujours nous déstabilise, nous interroge et nous étonne.

Jésus, donc, penché sur le sol, écrit.

N’a-t-il pas entendu ?

L’un d’entre eux répète la question.

Jésus se redresse, et à ceux qui tentent de lui tendre un piège pour l’accuser, il dit ceci :

Si vous voulez appliquer les rigueurs de la Loi de Moïse, faites-le. Seulement, examinez-vous d’abord vous-mêmes par rapport à toutes les exigences de cette Loi. Que celui d’entre vous qui peut prétendre toujours vivre dans l’amour de Dieu, que celui-là jette le premier une pierre.

 Puis, se courbant à nouveau, il reprend son écriture sur le sol. Peut-être même, devant l’exigence de la Loi de ses adversaires, se courbe-t-il encore plus bas qu’il ne l’était déjà…

A la Loi de Moïse écrite sur la pierre, il oppose sa loi — une loi qui n’a plus la forme de mots, mais la dimension d’une personne, lui-même.

(Souvenez-vous, un jour, à ses disciples rassemblés, il a dit : « Je ne suis pas venu abolir la Loi, mais l’accomplir » !).

Dans le silence, Jésus écrit avec le doigt sur la terre. C’est un temps chargé d’attente et d’anxiété. Un temps de suspense (suspendu). Comment tout cela va-t-il finir ?

C’est le moment crucial où le récit va basculer.

Le péché est là, délimité, consigné, objectivement repérable, et pourtant, lorsqu’il y a un instant, le Maître s’est redressé pour parler, sa parole n’a pas désigné le péché, mais « celui qui est pécheur », celui qui peut prétendre toujours vivre dans l’amour de Dieu : « Que celui d’entre vous qui n’a pas péché lui jette la première pierre », a-t-il lancé avec force.

A ce moment, toute la personne humaine est montrée du doigt par Jésus. Toute la personne humaine est prise en compte dans ses actes, dans ses pensées, dans son cœur, dans tous les recoins de son existence, pour apprécier sa juste relation à Dieu.

Ce n’est plus le procès de Jésus qui se joue, mais celui de ses accusateurs contraints de rentrer en eux-mêmes. Un à un, ils reculent ; pas un seul ne résiste à l’évidence. Personne ne peut prétendre à une fidélité absolue à Dieu… et les plus âgés auraient les premiers beaucoup à dire ! Ces dialecticiens habiles à se justifier sont confondus. C’est la déroute et le trouble ! Le piège dressé contre Jésus a totalement échoué.

Jésus a fait voler en éclats la frontière rassurante qui sépare les honnêtes gens de ces « maudits » qui transgressent la Loi.

Le calme est revenu dans le Temple. Jésus se redresse à nouveau. Ne reste que la femme devant lui, face à face, seul à seul… et ce qui se joue maintenant entre eux deux n’est que tendresse.

Il lui donne la parole — ce que les autres s’étaient bien gardés de faire.

Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ?

Personne, Seigneur.

 Le verdict sera de grâce :

Moi non plus, je ne te condamne pas ; va et désormais ne pèche plus.

La relation est d’amour.

Le verdict, vous l’entendez est de grâce, mais Jésus n’encourage pas la femme à vivre comme par le passé. Cette femme, destinée selon toute probabilité à la mort, s’en va libre, mais libre pour une vie transfigurée. L’intervention du Maître lui a ouvert pour l’avenir une vie toute autre devant Dieu.

Il la renvoie pardonnée, mais appelée à changer de vie, et nous rappelle à nous tous la miséricorde de Dieu et la promesse sans cesse réaffirmée que nul n’est jamais enfermé dans ses échecs ; que la vie de chacun peut toujours être renouvelée et réinventée, dans une relation d’amour et de confiance avec Lui.

Dans le livre de l’Exode, Moïse avait dû monter vers Dieu, un Dieu écrivant la Loi d’en-haut. Jésus, lui, dans ce récit, s’abaisse. Il « efface » la Loi (Il s’efface) dans le mouvement même de son abaissement.
Jésus écrit à nouveau : il est lui-même la nouvelle Écriture, il est lui-même le nouveau, le seul moyen qui soit donné aux humains pour vivre devant Dieu d’une vie qui soit la vie, qui soit repos et joie, qui soit pardon sans cesse redonné, sans cesse reçu à nouveaux frais, sans cesse remercié.

La femme a compris : elle ne l’appelle pas Maître, Maître de la Loi, comme avaient fait les autres ; elle dit Seigneur. Elle sait que sa propre vie est là, devant elle, sous ses yeux. En Jésus, elle est là, sa vie abaissée, ruinée, tuée, mais destinée désormais à un relèvement, à une résurrection, à une vie glorieuse.

Elle sait que désormais elle n’est plus seule face à la Loi, mais qu’elle est accompagnée sur un chemin, accompagnée par celui qui a été accusée avec elle, et qui sera bientôt exécuté à sa place à elle.

C’est avec lui qu’elle marchera. Certes, elle « ne péchera plus », puisqu’elle ne marchera plus sur les chemins de la Loi, où l’on est classé selon péché ou justice. C’est sur les chemins de l’amour de Dieu qu’elle marche désormais, les chemins du pardon gratuit et immérité. Elle peut entendre librement cet appel que le Seigneur de la vie lui adresse : « Moi non plus je ne te condamne pas ; va, et désormais ne pèche plus » « Va ! »

Frères et sœurs, c’est à vous que ce « Va » est lancé : allez, vous aussi, sur les chemins nouveaux où Christ vous a précédés.

Mon frère, ma sœur, bonne nouvelle : les accusateurs ont disparu.

Personne ne te condamne.

Jésus nous le redit avec force ce matin : « Va, et désormais, ne pèche plus »

 

Amen.

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