Marc 12, v. 38-44 : « Il vint aussi une pauvre veuve, et elle y mit deux petites pièces, faisant un quart de sou … »

Dimanche 12 août 2007 – par Clotaire d’Engremont

 

Chères Sœurs, Chers Frères,

Quelques versets avant ceux que je viens de vous lire au chapitre XII de l’Evangile de Marc, Jésus répondait à un scribe qui l’interrogeait sur ce que serait le plus grand commandement de la manière suivante :

a) « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force. Voici le premier commandement.

b) Et voici le second qui lui est semblable : tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-là ».

Bien sûr vous connaissez par cœur ce passage. Et l’histoire de la veuve qui met deux pièces dans le tronc du Temple constitue une réponse possible, une mise en pratique du double commandement que je viens de rappeler.

A mon sens, Jésus Christ pose ainsi la question de ce qui est authentiquement évangélique ; il s’attache à différencier radicalement la réalité de l’apparence. Ainsi, les scribes, parfois, feraient semblant de prier, dit-il. Ils aimeraient plutôt jouer les importants dans leur longue robe et souhaiteraient être les mieux placés au Temple et à la table du festin.

La description est d’autant plus sévère que Jésus Christ les oppose, ces religieux imbus de leur personne, à la veuve qui, bien que placée au dernier rang de l’échelle sociale, donnera quelques piécettes qui, pour elle, constituent le nécessaire et non le superflu. Le contraste est saisissant. Malgré la sévérité de la description, ce passage de l’Evangile n’est pas, à proprement parler, une simple diatribe contre les puissants, n’est pas non plus une simple défense des petits contre les grands, encore moins une façon de dresser une classe sociale contre une autre. Après tout, heureusement, il existe des « scribes » respectés et respectables et des « veuves » pauvres et insupportables.

Dans ce passage, il s’agit bien pour Jésus de démontrer qu’il y a un lien indéfectible entre l’amour pour le prochain et l’amour pour Dieu ou l’inverse. En effet, nous ne pouvons pas nous « lancer » dans de longues prières et prétendre ainsi aimer Dieu, si l’on méprise les autres, et notamment les plus faibles. C’est l’amour pour son prochain qui donne un sens à l’amour pour Dieu. Notre amour pour Dieu passe nécessairement par une manière d’être avec autrui ; notre amour pour Dieu doit engager notre existence, de manière intime, même si ce n’est pas d’une manière aussi radicale que celle de la veuve qui, elle, se sépare du nécessaire.

A l’inverse, sans aller aussi loin que dans l’Evangile de la veuve, Dieu même si l’on ne parle pas de LUI explicitement se retrouvera aussi dans chaque geste posé sincèrement, même le plus petit, même le plus humble. Par exemple, on peut estimer qu’une visite ou qu’un appel téléphonique à une personne souffrante valent plus aux yeux de Dieu que certaines prières directement prononcées… On peut encore estimer qu’il plaît à Dieu que l’on soit simplement poli avec le passant qui demande sa route, au lieu de passer rapidement, après une réponse distraite, car nous sommes toujours pressés, n’est ce pas ? Nous pouvons encore estimer qu’il est important d’inviter à sa table familiale « quelqu’un » que nous sentons en peine. J’ai bien dit « quelqu’un », c’est-à-dire un quidam, c’est-à-dire selon les circonstances vous ou moi. Loin de moi de dire que la prière est inutile ! Mais pour le dire autrement, l’amour pour Dieu est véritablement authentifié par l’amour pour autrui. En effet, je n’imagine pas que l’on puisse être chrétien tout seul. Être chrétien, c’est vivre avec les autres, c’est-à-dire, à sa mesure, entendre et écouter autrui.

Loin de moi aussi de tomber dans, ce qu’il est d’usage d’appeler ces derniers temps, le « relativisme ». Le mot est lâché : le « relativisme » serait ce que l’eau tiède, sans saveur mais douce, car tiède précisément, serait à la tolérance forcément « molle ». Etre attentif aux autres, sans questionnement, sans explication, serait selon certains tomber dans un laxisme presque coupable. Il faudrait pour eux afficher des convictions fortes, dures, et bien entendu pures, cela va de soi ! Je ne suis pas sûr que l’intransigeance absolue soit une vertu évangélique ! Le soldat romain, épris de compassion devant la Croix, le bon samaritain qui aida un quidam malmené par les brigands et aujourd’hui la veuve qui met des petites pièces dans le tronc en se privant du nécessaire, ont ainsi posé un geste qui les dépasse, qui les relie à Dieu le Père, sans qu’il y ait besoin de prière sacerdotale prononcée par les grands prêtres en robe longue.

Aux yeux du Seigneur, les gestes du soldat romain, du bon samaritain et aujourd’hui de la veuve, sont ainsi magnifiés. En apparence rien de bien extraordinaire et pourtant la manière d’être de ces trois anonymes – en effet, leur nom n’est jamais cité, ce sont le « soldat », le « samaritain », la « veuve », sortes d’archétype – les fait accéder à la dignité d’individu unique et irremplaçable aimé de Dieu car aimant Dieu. Nous sommes passés du « paraître » à « l’être ».

Alors, chères sœurs et chers frères, il n’y a plus de rupture entre le monde sacré et le monde profane, entre le monde religieux et le monde laïque ; il y a le monde tout entier, aimé par Dieu, hier, aujourd’hui et demain.

Amen.

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