L’apôtre Paul est un personnage qui ne fait pas consensus.
Pour les uns c’est un génie (la justification par la foi, l’ouverture de l’évangile aux païens et pas aux seuls juifs), pour les autres c’est un « réac’ » (il dit que les femmes doivent se taire dans les assemblées, il insiste sur l’universalité du péché), certains se réclament de lui en bouleversant leur temps et les croyances de leur temps (St Augustin, Luther, Kierkegaard) d’autres en citant à la lettre certains de ses versets justifient leur position ultra-autoritaire (en citant les versets où il condamne l’homosexualité, ou ceux concernant le silence des femmes etc.).
Ce qui est certain, c’est qu’il fait partie de ces personnages qui ont bouleversé et bouleversent encore l’histoire humaine : à chaque fois qu’on relit Paul sérieusement ça entraine des bouleversements importants.
Sa pensée n’est pas de celle qui se laisse capturer facilement, et même quand elle est utilisée pour soutenir des positions rigides et fermées en général elle n’est pas invoquée en entier parce qu’elle finirait par se retourner contre lesdites positions.
En effet il est certainement l’auteur qui est le plus marqué par l’Évangile. Ce qui fait que sa pensée ne se laisse pas instrumentaliser facilement et qu’au contraire elle sert régulièrement de fondement pour des mouvements d’émancipations, de libérations, de protestations.
Le passage que nous avons entendu illustre parfaitement la puissance de cette pensée travaillée par l’Évangile : paix, grâce, fermeté, gloire, espérance, tribulations (épreuves), persévérance (résistance), fidélité, amour.
Autant de mot qui renvoient l’humanité dans ce qu’elle peut vivre de plus vrai et de plus profond. Paul ne fait pas de blablabla, il ne baratine pas. Tout de suite il aborde l’essentiel : ce qui fait vivre (l’espérance, l’amour) et ce qui peut menacer de faire mourir (l’épreuve, les tribulations). Et du reste lorsqu’il déplie cette chaine qui part de la tribulation, qui entraine la persévérance, qui entraine la fidélité éprouvée, qui entraine l’espérance, il rappelle quelque chose d’évident, de connu, mais que personne n’aime voir et sur laquelle personne n’ose épiloguer : c’est quand on est face au danger, au malheur parfois, quand on est face à ce qui oblige à choisir son camp que l’humain grandit ou diminue, qu’il est héroïque ou lamentable, courageux ou pitoyable.
Paul ce n’est pas du discours pieux ! Il n’endort pas les gens avec des « dormez tranquille on s’occupe de tout, on s’occupe de vous ! Faites ce qu’on vous dit et tout se passera très bien », mais il va à l’essentiel, il va là où personne n’aime aller mais où il est nécessaire d’aller. Et il a ces formules étonnantes, paradoxales, presque incompréhensibles si on ne passe pas du temps à y réfléchir.
Notamment dans notre texte il écrit : « Or l’espérance ne trompe pas ». Entonnant ! Paradoxal !
A première vue l’espérance nous semble au contraire ce qui est le plus susceptible de tromper ou en tout cas de décevoir. Qui d’entre nous n’a pas du revoir ses espérances à la baisse au cours de son existence ? Qui d’entre nous n’a pas été obligé de renoncer à certaines espérances pour espérer pouvoir continuer sans sombrer avec ? De nombreux épisodes de l’histoire collective ou individuelle ont effectivement démontré qu’il ne faut pas trop rêver comme on dit. Alors comment peut-on soutenir comme Paul que l’espérance ne trompe pas ?!
La première chose pour comprendre ce que dit Paul à travers cette formule étonnante c’est de saisir avec précision ce qu’il appelle espérance. En effet derrière le mot espérance on peut mettre pas mal de chose. Comme dans cette blague où un homme prie Dieu pendant des années « Seigneur fait que je gagne au loto, fais que je gagne au loto » où donc l’espérance semble immense et où Dieu lui répond « d’accord mais commence par acheter un ticket ! ».
L’espérance si elle n’a aucune assise, aucun fondement solide et sérieux ne peut pas prétendre être une espérance digne de ce nom, tout juste un fantasme, une rêverie, un bavardage ou une excuse pour justifier son immobilisme. « Un jour ceci, un jour cela… J’espère ceci j’espère cela » autant d’incantations vides qui servent surtout à éviter tout amorce de changement concret.
Chez Paul l’espérance c’est à mon avis deux choses, c’est le mélange de deux choses : d’une part l’espérance est une attente, on espère ce qui n’est pas encore là et donc ce après quoi on aspire, on espère, on attend, et d’autre part l’espérance c’est une anticipation à partir de quelque chose qu’on a déjà ressenti, qu’on a déjà partiellement connu.
Et après tout c’est assez logique : on ne peut pas espérer quelque chose dont on a absolument aucune idée, il faut nécessairement être touché par quelque chose, par un préalable, quelque chose qui donne une sorte d’avant goût.
L’espérance c’est donc l’attente de quelque chose qu’on a partiellement connu et dont on attend la réalisation totale et parfaite. C’est pourquoi l’espérance dont parle Paul n’est pas une vague espérance, une croyance dans le père Noël ou quelque chose de délirant ou de puéril, mais c’est au contraire une espérance fondée sur une expérience précise, une expérience concrète, quelque chose qu’on a déjà connu : c’est l’expérience de la justification par la foi.
Paul l’écrit « étant justifié par la foi nous avons la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ ».
Autrement dit l’expérience de la justification par la foi produit un sentiment de paix à l’égard de Dieu qui du coup entraine une espérance très précise, l’espérance de la gloire de Dieu (la réalisation totale et parfaite de cette paix), et c’est une espérance qui ne trompe pas.
La justification par la foi nous connaissons ce que cela veut dire même si on ne peut probablement jamais dire qu’on en a fait le tour ou qu’on l’a parfaitement intégré.
La justification par la foi c’est le fait de s’en remettre à Dieu, de croire que lui seul donne, que lui seul accueille, que lui seul par grâce fait de nous des fils et des filles bien aimés et pas des individus dans le collimateur en attente d’un jugement, des individus qui devraient s’échiner en vain pour échapper à la condamnation.
Et donc la justification par la foi implique un renoncement, le renoncement de la foi : je ne cherche plus à mériter l’amour de Dieu, mais je le reçois, je ne cherche plus à plaire à Dieu par peur de ce qui pourrait m’arriver si ce n’était pas le cas, mais j’accepte qu’il fasse de moi son fils ou sa fille bien aimée, bref j’accepte non pas de faire, de mériter, de plaire, mais de recevoir, d’écouter, de répondre, je ne me fais pas le soi-disant dieu répondant au supposé Dieu mais je me vis fils/fille répondant au père, à celui qui donne pour que je vive.
Bref l’expérience de la justification par la foi n’est pas quelque chose de théorique, d’abstrait, de lointain puisque c’est quelque chose d’éminemment existentiel, d’éminemment intime, (vivre sous la peur du jugement et de la condamnation ce n’est pas vivre avec confiance !) c’est quelque chose comme dit l’apôtre qui procure la paix, et la plus grande paix qui soit puisque la paix avec Dieu. Et c’est justement à partir de cette expérience que l’espérance va se construire. L’espérance n’est donc pas fondée sur quelque chose de flou, de lointain mais au contraire sur quelque chose de concret puisque cela touche l’existence, l’intime de l’existence.
« Or, l’espérance ne trompe pas, parce que l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint Esprit qui nous a été donné » écrit l’apôtre.
Effectivement cet amour de Dieu qui nous fait sentir que l’espérance ne trompe pas est bel et bien issu de l’expérience, ce n’est pas une promesse lointaine, c’est une réalité que l’on expérimente dans la justification par la foi. C’est en expérimentant cet amour paternel qu’on le saisit, donc qu’on le connait et donc qu’on le reconnaît pour être ce après quoi on aspire totalement.
Frères et sœur l’espérance ce n’est pas un truc parmi d’autre dans la vie chrétienne. L’espérance est littéralement le temps de la foi. En effet la foi nous fait vivre un déjà : le déjà de Christ qui révèle Dieu comme Père, qui révèle la justice croyante comme foi dans ce Père, qui révèle l’amour de Dieu, bref qui révèle absolument tout, et en même temps nous ne vivons pas encore totalement pleinement de cet amour, de cette filiation, de cette confiance, et si nous ne le vivons pas encore pleinement il est clair que le monde, ce monde que Dieu a tant aimé au point de lui envoyer son fils, lui en est encore loin.
Et c’est ce « pas encore là » qui fait que nous aspirons au delà du monde et des choses, que nous espérons vers un horizon qui du coup agrandit la vision que nous avons du monde. Aussi l’espérance est ce temps au travers duquel nous vivons le temps du monde, ce temps qui nous permet de continuer de croire, de continuer d’y croire alors que si souvent tout semble démontrer que cet espoir est vain.
Assurément ce temps de la foi, cette espérance au travers de laquelle nous traversons le temps et ses afflictions et ses tribulations sans renoncer, sans céder, est bel et bien un don de Dieu, un don de l’Esprit. Frères et sœurs il faut continuer, il faut persévérer, il faut résister.
Et tout autant il convient de se laisser inspirer, se laisser guider, se laisser déplacer. C’est cela qui s’appelle espérer.
Amen.
Un commentaire
Merci
Très beau dimanche