Les religieux meurtriers

LECTURES BIBLIQUES : Psaume 91 et Jean 8, 3-11

PREDICATION :

Ce fragment de l’Évangile de Jean est un vrai bijou on y rencontre un Jésus étonnant. Un Jésus que j’admire et qui me laisse rêveur…

On lui tend un piège. Des pharisiens ont amené une femme « surprise en adultère », avec cette interrogation : Moïse nous prescrit de lapider de telles femmes ; toi, qu’en penses-tu ?  Il ne peut quand même pas leur répondre que Moïse est fait pour être dépassé ! Ce serait alors lui qui serait lapidé sur-le-champ. Nous sommes dans une des cours intérieures du Temple. L’atmosphère est lourde, tendue, tragique, électrique. Comme à un check point autour d’une colonie juive de Cisjordanie, comme au passage d’une manifestation habillée de jaune et de noir : on sent que tout peut basculer d’une minute à l’autre. Avec l’arrivée de cette femme, on prépare une mise à mort. Certains apportent déjà des pierres. D’autres, spectateurs – déjà la société de spectacle –, attendent en se rongeant les ongles, tremblants d’émotion. La femme est là, tétanisée par la peur. Comment annoncer ici un Évangile ? Or, Jésus écrit, sur la terre, avec son doigt. Un peu comme quand il s’endormait en pleine tempête à l’arrière du bateau menacé par les vagues. Étonnant, ce Jésus. Paix. Rien que paix. Il est paisible et serein. Tranquille comme le pardon. Il est plus fort que la mort et plus fort que la religion. Il se sait fort comme l’amour. Un amour que rien ni personne ne peut ébranler.

Je veux me risquer à partager avec vous trois choses qui m’enchantent et m’émerveillent.

  • D’abord, je vois bien que l’auteur ici sourit. Il a, lui aussi, dessiné sur sa page une scène qui fait pamphlet : contre l’organisation super-masculine de cette société religieuse.
  • Ensuite, je vois aussi sourire Jésus. Il a trouvé la parade : il va jouer Moïse contre Moïse.
  • Enfin, et cela personne ensuite ne pourra plus l’oublier : sur le visage de cette femme libérée un sourire tout embué de larmes de reconnaissance.

 

Commençons par le pamphlet. Le sourire de l’écrivain.

Autour de cette femme blême de peur, rien que des hommes. Pour juger, pourquoi ne faut-il que des hommes ? Pour la condamnation, pourquoi seulement une femme ? Un adultère, surtout pris en flagrant délit, c’est quand même nécessairement une femme et un homme. Et les religieux disent en chœur : Moïse nous a prescrit de lapider de telles femmes. Voire. Même Moïse n’a jamais dit cela. Voilà ce que l’on peut lire dans le Deutéronome (Dt 22,22) : Ils mourront tous les deux. Oui, tous les deux. Et comme le code ancien, qui ignorait jusqu’au mot même de miséri­corde, prévoyait tout dans les détails, il était précisé (Dt 22,25) : Si cela s’est passé dans les champs, seul l’homme sera puni de mort.  Seul l’homme. Parce que, dans les champs, les cris des femmes abusées ne peuvent pas être entendus.

Religieux pleins de suffisance et de fourberie qui instrumentalisent les autres pour mener à bien leurs desseins secrets. C’est le propre de la perversion ordinaire que de se servir des autres comme des objets. L’autre n’existe pas d’ailleurs. Il n’a pas d’existence propre. Il ne compte que s’il peut être utile pour assouvir le projet, l’envie, le désir. J’en ai envie donc j’en ai le droit. N’est-ce pas là le propre de notre société ? Les scribes et les pharisiens se servent aussi bien de leur connaissance de loi de Moïse que de leur autorité de lettrés pour mener à bien leur projet. Alors quel poids peut bien avoir cette femme ? Rien d’autre que rien. Un outil entre leurs mains vengeresses. Vengeances de mâles qui se rassemblent, nombreux, pour abattre leur proie femelle. Parce qu’il faut être à plusieurs pour dissimuler ce crime qui se prépare sous le masque de la légitimité. Il n’y a ici que simulacre blasphématoire de justice, tyrannie masculine habillée de religion. Et je ne peux m’empêcher de penser à toutes ces femmes voilées, grillagées, couvertes de leur burqa ou de leur niqab, seul refuge contre ces hommes et leur regard assassin qui convoite et qui souille.

Oui, l’écrivain souriait. Son récit est bien monté. Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre !… Un par un, les forts vont devoir reculer devant l’Évangile. Rien que des hommes ? Oui, quand il s’agit de condamner. Mais un par un, ils doivent reculer, piteusement reculer devant une femme ! Et Jésus prend tout son temps. Ce qu’il écrit sur le sable se précise. Comme le dit si bien le prophète Jérémie (Jr 17,13) : Ceux qui se détourne de toi, c’est dans la poussière que leurs noms sont inscrits ; Car ils t’ont abandonné, Seigneur, toi, la source qui donne la vie. Et les derniers à leur tour perdent la face et reculent devant une femme. Et bien sûr devant Jésus, devant le Pardon qu’est Jésus.

Toute la société super-masculine est par terre : Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre… On souffle, et ce qui est poussière retourne à la poussière, et leurs noms s’effacent. Avec deux gouttes d’amour et de pardon, tous les privilèges masculins s’effritent. « Femme (ce mot si péjoratif en Israël – mais est-ce seulement en Israël ?), femme, dit Jésus, où sont-ils ? » « Ils » ce glo­rieux masculin pluriel a-t-il disparu ?… « Personne », ré­pond la femme. On souffle sur la poussière et tout s’efface. Baudruche qui se dégonfle. Pamphlet qui fait déjà sourire en attendant l’Évangile.

 

Et maintenant, le sourire de Jésus.

Sous leurs yeux, il va tellement embrouiller les Écritures qu’on ne verra plus où sont les bourreaux et où se trouve l’adultère. C’est qu’en matière de péchés, on ne peut parler que des siens propres. Où sont les pierres ? demande Jésus. Allez ! Que l’on commence ! Que soit constitué un flagrant délit ! Vous voulez du Moïse, eh bien, en voilà ! Voilà un beau flagrant délit ! Pas celui qu’on pense, mais un flagrant délit d’idolâ­trie. Vous parlez d’adultère et vous avez raison. Car l’Écri­ture appelle adultère l’idolâtre qui sert un autre dieu que le vrai Dieu. Et c’est ce que vous faites en vous mettant au service d’un Dieu qui m’est étranger, le dieu des punitions, des violences et du sang versé. Vous avez bien dit : adultère ? Eh bien, qu’on avance les pierres ! La lapidation, la peine de mort, hier comme aujourd’hui, c’est le cérémonial des idolâtres. Le véritable péché a été démasqué. Sous le masque des juges religieux, rien que des bourreaux, et des adultères. Car ils servent un autre dieu que le Dieu d’amour. Ils ont choisi un Dieu meurtrier. Faux dieu que ce dieu des tueurs de pécheurs. Idolâtres, dit Jésus. Avec votre goût de sang versé pour l’honneur de Dieu, vous trahissez Moïse, vous insultez Dieu lui-même. Vous dressez un autre Dieu en Israël. Idolâtres et donc, dit Moïse, adultères.

Cet épisode si précieux de l’Évangile de Jean nous dévoile comment et pourquoi la morale issue des religieux est en réalité porteuse de mort pour les bourreaux autant que pour la victime. Et Jésus lui-même en a subi les affres : condamné à mort pour blasphème par les gardiens du bien. En ce sens la petite Mila, cette jeune adolescente déboussolée autant qu’écervelée, qui a tenté d’échapper à la pression morale des religieux en insultant leur religion, est moins éloignée de l’Évangile que tous ceux qui s’offusquent de son manque de respect et la condamnent pour blasphème. Et cela est congruent avec ce que nous pouvons constater dans l’histoire des religions. À chaque fois que les religieux de tous bords se sont mêlés de morale ils n’ont fait que rabaisser, humilier et finalement condamner à mort.

Voici une nouvelle lecture de Moïse : sont idolâtres, tous ceux qui n’invoquent leur dieu que pour mieux dénoncer le péché des autres et si possible, les mettre à mort. Idolâtres et meurtriers, les serviteurs d’un Dieu de mise à mort ! En chaque religieux qui se veut impeccable sommeille un meurtrier. Pour qui la lapidation ? Pour la femme et son complice, parce que l’adultère est un mal redoutable ? Pour les accusateurs qui ont changé Dieu en idole, et tourné le dos au Dieu miséricordieux pour le remplacer par un dieu sanguinaire qui aimerait voir couler le sang des pécheurs ? Tous sont adultères. C’est clair aussi bien pour Moïse que pour Jésus il ne faut pas d’adultère, il ne faut pas d’idolâtrie et il ne faut pas se tromper de Dieu. Dieu est amour, rien qu’amour.

 

Et voilà le sourire plein de larmes de la femme.

Jésus s’est levé et, sous la pression des idolâtres, il s’est interposé : Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre. Mais est-ce vraiment ce que dit la loi de Moïse ? Selon Dt 17,5-7, Les témoins seront les premiers à lui jeter des pierres pour le faire mourir. Mais le verset continue : Tu feras ainsi disparaître le mal du milieu de toi. Là est bien l’enjeu : faire disparaître le mal du milieu… de moi ! En fait, Jésus ne dit pas autre chose. Ce n’est pas forcément le péché de l’autre qui doit me mobiliser pour jeter la pierre mais celui que je trouve en moi. Cesse de regarder la vie des autres. Cesse de scruter la morale de ton voisin. Cesse de te comporter en juge. Regarde ta propre vie, elle ne vaut pas mieux que la sienne. Toi aussi tu vis sous le règne du péché. Toi aussi tu vis sous le règne de la morale. Toi aussi tu vis coupé de Dieu. Ce faisant, Jésus s’interpose et entoure la pécheresse. Elle avait été instrumentalisée et placée au milieu de ses juges rassemblés telle un peloton d’exécution. Elle se retrouve désormais entourée par le Fils qui s’est interposé, par l’Esprit Saint qu’on appelle aussi Paraclet ou défenseur, et par le Père qui veille sur elle comme sur la prunelle de ses yeux. « Tu as du prix à mes yeux ! » lui dit le Seigneur dans Esaïe 42,1-12. Comment ne pas penser au Psaume 68 devenu le cantique fétiche de la Réforme : « Que Dieu se montre seulement, Et l’on verra soudainement Abandonner la place ; Le camp des ennemis épars, Épouvanté, de toutes parts Fuira devant sa face. Et l’on verra soudain s’enfuir Comme l’on voit s’évanouir Une épaisse fumée ; Comme la cire fond au feu, Ainsi des méchants devant Dieu La force est consumée. » Un Dieu qui s’interpose et prend les coups à notre place.

Jésus s’est levé. Il parle, et tout l’Évangile de la liberté et du pardon éclate comme un matin de Pâques.  Va et ne pèche plus !  Elle était morte, la voilà au seuil de sa résurrection. Et ce grand projet de résurrection ne vaut pas seulement pour la femme (quoique éminemment pour cette femme), cela vaut aussi pour les autres. Sinon, rien n’a lieu. Aux bourreaux aussi grâce doit être faite. Il faut toujours libérer et la victime et les bourreaux. Ce « va ! » est donc un singulier qui se veut personnel, pour toute personne, pour chacun en particulier. Le texte d’ailleurs le montre, par une incorrection voulue et organisée. Une fois que tout le monde est parti, une fois que tous les religieux idolâtres ont quitté la cour, alors il est écrit ceci : La femme était toujours là, au milieu. Au milieu de quoi ? Au milieu de qui ? Justement, elle est maintenant milieu exemplaire, centre exact, et chacun est là, comme elle, en elle, idolâtre ou adultère. Oui, elle est seule devant Dieu, mais elle représente chacun. Elle est ce que nous sommes tous : pas grande chose, petite chose, idolâtre ou adultère. Mais elle entend ce qui vaut pour tous : la promesse d’une vie renouvelée. Va et ne pèche plus !

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