« Les défis de la foi : il faut suivre ! »

 

Frères et sœurs,

On ne peut pas commencer une prédication sur Élie, une prédication où il est question d’Élie, sans rappeler la singularité de ce prophète à part.

Si les gens pensaient que c’est lui qui devait revenir, et si le Christ a été un temps confondu avec lui ce n’est bien sûr pas pour rien.

Élie est un prophète à part parce qu’il a au moins deux caractéristiques rares.

Premièrement c’est le seul prophète que Dieu n’envoie pas et qui prend seul l’initiative de prophétiser, et pour lequel Dieu intervient dans un second temps pour le mettre à l’écart, pour le cacher (au torrent de Kerith, nourri par les corbeaux) ceci de façon à ce qu’il ne se fasse pas tuer.

Étrange vocation : d’habitude les prophètes rechignent à se mettre en route pour assumer leur vocation, lui il fonce tête baissée et Dieu doit intervenir pour ne pas qu’il se prenne un mur.

Deuxièmement il fait partie des rares privilégiés qui n’ont pas connu la mort, puisque, comme vous le savez peut-être, Elie a été enlevé au ciel par un char de feu. Il a donc indiscutablement un côté extrémiste puisqu’à la différence des humains « normaux » il n’a pas peur de la mort pour défendre la cause de Dieu, ou en tout cas la cause qu’il suppose être celle de Dieu. Car à mon avis Dieu va justement chercher à lui montrer tout autre chose.

 

Pour bien comprendre notre récit d’aujourd’hui que vous retrouverez dans la Bible dans le premier livre des Rois (1 R 19), rappelons-nous qu’il suit immédiatement la fameuse révélation dans la grotte où Élie comprend que Dieu n’est pas dans la violence et la force mais dans la subtilité d’un silence, « dans un son doux et subtil ».

Et cette révélation met complètement en question la compréhension de Dieu que Élie se fait, parce que le moins qu’on puisse dire c’est que lorsque ce zélote d’avant l’heure égorge les prophètes de Baal sur le mont Carmel il ne porte pas vraiment une vision de Dieu comme silence subtil !

Et de toute façon, toute révélation de Dieu met en question la vision de Dieu qu’on se faisait auparavant, sinon ce ne serait pas une révélation.

Prétendre que Dieu s’est révélé à nous, prétendre avoir « trouvé dans sa vie sa présence » comme dit le cantique sans éprouver que cela implique d’en tirer des conséquences et que ça oblige à certains changements, serait une plaisanterie et une fourberie.

 

Qu’on soit comme Élie plutôt extrémiste, fou de Dieu, ou comme les gens « normaux » plus timorés, plus tièdes, qui rechignent devant l’interpellation, dans tous les cas, ce qui est sûr, c’est que personne ne peut prétendre être exempté de toute interpellation, de toute exhortation.

Dieu ne se révèle à personne pour lui dire : « c’est bien reste comme tu es, surtout ne change pas, surtout ne change rien ». Mais à tous, cette interpellation, cette exhortation de Christ demeure : « laisse les morts ensevelir les morts ; et toi va annoncer le Royaume de Dieu ».

***

Et au fond être chrétien ce n’est rien d’autre : on n’est pas chrétien parce qu’on a été baptisé, on n’est pas chrétien parce que dans la famille tout le monde l’est, on n’est pas chrétien parce qu’on va à l’Église ou parce que dans son calepin on a l’adresse du pasteur, de quelques conseillers presbytéraux et de connaissances de la paroisse.

On est chrétien parce qu’il y a cette révélation, cette interpellation qui a la fois nous fait du bien en nous apportant la paix, en nous donnant la vie, mais qui en même temps nous inquiète (ne nous laisse pas tranquilles, indemnes), ne nous permet pas de nous reposer sur nos lauriers, et parfois ne nous laisse aucun repos.

J’aime bien dire que la foi chrétienne est une inquiétude au sens d’une non-quiétude, et même si cette inquiétude peut donner une assurance incroyable et nourrir les plus saintes audaces.

Élie dans sa grotte subit donc cette révélation, cette interpellation, qui, du reste, ne lui indique pas une fois pour toute ce qu’est Dieu ou qui est Dieu.

En effet, Dieu n’est pas une fois pour toute un silence subtil, « un son doux et léger » (qu’est-ce que ça voudrait dire !?!) mais c’est ce qu’Il lui révèle à ce moment-là de sa vie, à cet instant de son existence ce qu’il doit absolument comprendre, absolument traverser et vivre pour grandir dans une foi authentique.

Et cette révélation continue dans notre récit avec cet ordre : « tu donneras l’onction à Jéhu, fils de Nimchi, comme roi d’Israël ; et tu donneras l’onction à Élisée, fils de Chapath, d’Abel-Mehola, comme prophète à ta place ».

Autrement dit Élie n’a pas non plus reçu sa révélation pour s’en gargariser, pour en jouir tout seul dans son coin, mais c’est pour la transmettre à d’autres que lui, et à d’autres qui prendront sa place.

Il ne faut pas se voiler la face, ce qui est annoncé là reste extrêmement dur à entendre pour tout le monde, il y a un travail à faire, il y a un travail sur soi à faire pour en accepter la perspective : nous ne sommes pas des petits dieux, nous ne sommes pas des immortels, et dès qu’on prend un peu de recul il n’est même pas dit du tout que notre petite personne ait à elle seule toute la valeur qu’elle prétend avoir, même si on se laisse volontiers bercer par cette illusion, véritable opium du monde.

L’interpellation, l’exhortation c’est ce qu’on est appelé à transmettre à d’autres, à d’autres qui devront prendre notre place même si ça ne nous fait pas plaisir, même si on préfèrerait s’accrocher de toute nos forces à cette place, ou même si on préférerait au moins qu’ils soient à notre image pour pouvoir survivre un peu à travers eux.

Or Dieu ne nous demande rien de moins que de diminuer, que de préparer notre succession, et même si ce n’est pas pour tout de suite (Élie va prophétiser encore un peu de temps avant d’être enlevé au ciel) de ne rien faire sans l’avoir à l’esprit et sans l’avoir préparé.

Ça revient en quelque sorte à dire que c’est peut-être quand on est prêt à partir, quand on en a accepté la perspective, qu’on est le plus apte à occuper notre place.

Se mettre ou se remettre à l’esprit que nous sommes de passage, étrangers et voyageurs, et que nous devons exister par rapport à cette limite voire à cette échéance ce n’est pas être sinistre ou austère même si ça va complètement à contre courant de la divinisation de l’humain prêchée dans la société.

Se mettre ou se remettre à l’esprit que nous sommes de passage, étrangers et voyageurs, et que nous devons exister par rapport à cette limite voire à cette échéance, c’est au contraire prendre la juste mesure des choses, c’est mettre et cultiver son espérance au bon endroit, et ainsi construire sur le roc sans s’exposer à la désolation de la désillusion.

Élie a un peu tendance à se croire le seul fidèle, le seul valable, il a tendance à penser que comme on dit : « après moi le déluge ! c’est la fin du monde », et voilà que Dieu lui demande de oindre (= de verser de l’huile) son successeur et lui dit qu’il y a en Israël sept mille hommes aussi « valables » que lui !

Là encore il s’agit de foi :

ô combien on peut dédramatiser, ô combien on peut se sentir rassuré, en paix, lorsqu’on lâche prise parce qu’on accepte de faire confiance à d’autres que soi, parce qu’on arrête de penser que le monde ne tourne que parce qu’on est là et qu’on découvre enfin naïvement que

« tiens oui c’est vrai il y en a d’autres qui ne sont pas moins capables que moi même si ils ne sont pas et ne font pas comme moi, et si je leur faisais confiance, et surtout si je rendais grâce à Dieu pour la fidélité qu’Il manifeste à travers eux et pour l’espérance qu’il donne ainsi ».

Si Dieu dit tout cela à Élie, qu’il doit oindre son successeur (« tu donneras l’onction à Elisée ») et qu’il y en à d’autres que lui aussi valables et capables, ce n’est pas pour l’humilier au sens moderne du terme, c’est pour l’humilier au sens biblique, c’est à dire pour le rendre plus humble, pour le sortir de son égocentrisme.

Et il y a de grandes chances pour que celui qui quelques temps avant demandait à Dieu de lui reprendre sa vie tellement il était enragé et fatigué par cette rage, la voit désormais complètement différemment une fois recadrée par cette humilité.

Les choses ont tout de suite beaucoup plus de prix lorsqu’on reconnaît leur fragilité et leur limite. C’est quand on se sait faible qu’on peut vraiment être fort, comme dirait l’apôtre. « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort » 2 Co 12, 10

C’est quand on se sait de passage, sur le seuil, qu’on peut pleinement vivre le temps et habiter son poste. C’est certes banal et facile de le dire, mais le mettre en pratique est une tout autre affaire…

« Élie partit de là et trouva Élisée, fils de Chapath, qui labourait. Il y avait devant lui douze paires de bœufs, et il était avec la douzième. Élie passa près de lui et jeta son manteau sur lui ».

Ici nous avons un bel exemple de communication de pouvoir : Élie ne dit rien, il ne transmet aucun savoir, aucune information, le manteau qu’il pose sur Élisée transmet un pouvoir, il transmet l’autorité prophétique et le pouvoir qu’a celui qui le reçoit de devenir prophète.

A partir de là soit Élisée accepte de répondre à l’appel, soit il n’accepte pas. Et ce qui est sûr c’est qu’il ne peut pas faire comme s’il n’avait rien entendu.

Élie ne lui dit rien, ne lui communique rien, il lui adresse un appel et ainsi le place devant un choix : répondre ou ne pas répondre, se mettre en route ou ne pas bouger. Mais je le répète, rien ne peut venir recouvrir ou effacer le choix, ne pas répondre c’est répondre.

Dans une communication de savoir en revanche, on peut toujours dire qu’on n’a pas eu une information, qu’elle n’est pas parvenue jusqu’à nous, qu’on ne l’a pas comprise, qu’elle a été altérée. Dans la communication de pouvoir, c’est impossible puisque nous sommes mis en position de réponse, de choix et quoique nous fassions, même rien, même nous dérober, c’est déjà une réponse…

Un dernier petit détail intéressant avant de conclure.

Élisée répond qu’il doit d’abord aller embrasser son père et sa mère, ce qui peut se comprendre, mais ce qui pourrait aussi cacher cette hésitation qu’ont tous les prophètes, cette tentation de justement se défiler.

Or si on lit le texte attentivement, il semble qu’il ne soit finalement pas allé embrasser père et mère et qu’à la place il va chercher une paire de bœuf pour l’offrir en sacrifice et nourrir le peuple avec la viande (ce qui est un geste très prophétique).

En effet il est écrit : « après s’être éloigné d’Élie, il revint prendre une paire de bœuf etc. ».

D’une certaine manière il a donc anticipé cette parole du Christ qui dit que celui qui regarde en arrière n’est pas bon pour le Royaume de Dieu. (Lc 9, 62)

Regarder en arrière c’est toujours ce qui risque de rendre impossible le saut, la décision, l’engagement. C’est vrai pour bien des choses, c’est encore plus vrai pour la foi.

C’est pourquoi, frères et sœurs, dans ce cas, comme dans bien d’autres, il faut partir d’abord et embrasser père et mère ensuite, seulement une fois qu’on a fait le saut, seulement une fois qu’on a choisi, une fois qu’on est passé du côté de la vie. Amen.

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