Le diable existe-t-il ?

Lectures Bibliques : 2 Co 4, 1-5 + Esaïe 45, 5-7 + Job 1, 6-11 + Jean 14, 1-6

Prédication

Vous ne le savez peut-être pas mais nous avons donné aux catéchumènes la possibilité de choisir les sujets et les thèmes qu’ils souhaitent aborder cette année. Après « la guerre et la paix » en novembre, « Dieu existe-t-il » en décembre, ou « la question du surnaturel et des miracles » le mois dernier, la thématique du jour porte sur la question du MAL et du PECHE. Mais comment aborder cette question si difficile ? Est-ce une fatalité qui s’impose à nous ou est-ce qu’il est possible d’y échapper ? Est-ce qu’il y a quelque chose que nous pourrions faire pour lutter à armes égales ? Est-ce que Dieu pourrait l’empêcher ? Alors j’ai choisi d’entrer dans cette réflexion qui va nous occuper toute la journée par une question qui, j’en suis certain va intéresser nos jeunes. Je veux ce matin parler du Diable, du Satan, du Démon, de Lucifer… Quel que soit le nom qu’on lui donne, le diable existe-t-il ?

Je suis donc allé explorer les Ecritures à la recherche de textes emblématiques qui pourraient nous éclairer. Et j’ai découvert qu’il n’y a pas une mais trois manières très différentes de répondre à la question.

Tout d’abord, un certain nombre de textes, assez peu nombreux il est vrai, nous racontent un véritable combat cosmique, implacable entre les ténèbres et la lumière, le Bien et le Mal, Dieu et Diable. Le diable (« ce qui divise » en grec) joue ici le rôle de l’Adversaire qui fait tout pour que le projet de Dieu échoue. Il tente, il séduit, il ment, il essaie de nous faire perdre la foi, de nous éloigner de Dieu. La 2ème aux Corinthiens déclare : Notre Bonne Nouvelle reste cachée pour certains, pour ceux qui se perdent loin de Dieu et qui ne croient pas. Le Dieu mauvais de ce monde a rendu leur intelligence aveugle. Alors ils ne voient pas briller la lumière qui est dans la Bonne Nouvelle. Autrement dit, ceux qui ne croient pas, ce n’est pas de leur faute parce qu’ils sont victimes d’un combat entre un dieu du mal qui s’oppose à un dieu du bien. Et souvent le dieu du mal a été identifié au dieu de l’AT en opposition au Dieu d’amour qui se révèle en Jésus-Christ. Marcion a été le premier à opposer les deux et à essayer de nettoyer la Bible des scories laissées par ce dieu de la guerre et de la violence qu’il croyait déceler dans l’AT.

Faut-il adhérer à une telle vision de notre monde qui serait prisonnier, possédé par Satan ? Le gros problème, c’est que c’est totalement incompatible avec la foi chrétienne comme avec la foi juive : confesser l’existence d’un dieu méchant qui s’opposerait à notre Dieu revient, de fait, à sortir du monothéisme. Chacun croit ce qu’il veut mais c’est hors christianisme. C’est une hérésie fondamentale que, depuis l’Eglise primitive, nous appelons le dualisme manichéiste. Pour les chrétiens, Dieu seul est Dieu, et il n’y a pas de place pour un autre dieu, fut-il méchant.

Cela dit, ces textes bibliques nous disent une chose essentielle qu’il nous faut toujours garder à l’esprit comme une vérité forte : le mal s’impose à nous toujours de l’extérieur. Aucun être humain n’invente, ne commence le mal, on ne fait que le transmettre, le perpétuer. Celui qui fait mal est d’abord et toujours quelqu’un qui a mal. Il n’y a pas de gens qui seraient fondamentalement méchants, il n’y a que des gens qui ont subi le mal qu’ils s’évertuent à transmettre à d’autres. En ce sens, on peut parler d’une véritable « possession », une puissance qui s’impose, qui nous saisit, nous emprisonne et nous fait faire le contraire de ce que nous savons être bien. C’est le cri de l’apôtre Paul dans Romains 7 : Je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas. Si je fais ce que je ne veux pas, alors ce n’est plus moi qui agis ainsi, mais le péché qui habite en moi.  Malheur à moi ! Qui me délivrera de ce corps qui m’entraîne à la mort ?  Peut-être faut-il y voir le Tohu Bohu du récit de la Création (Genèse 1,2), cette matière informe et vide que Dieu organise de sa Parole, une puissance de néant qui gangrène le monde et le tire vers la mort ? Il serait tentant de le rapprocher du second principe de la thermodynamique, celui que les physiciens appellent l’entropie. Ainsi on peut dire que si le Diable n’est pas cet être fourchu et maléfique qu’on imagine dans les films ou la littérature, il y a réellement des choses, des événements, des situations et des personnes qui sont diaboliques au sens propre du terme. Tout ce qui nous divise et nous déchire de l’intérieur, voilà ce qui est vraiment diabolique.

Toute une seconde série de textes bibliques utilisent l’image de l’ange déchu : Lucifer, l’ange porteur de lumière en latin, choisit de faire le mal. Ainsi, dans la conception juive ancienne et dans le christianisme, les mauvais anges, et Satan en particulier sont des créatures de Dieu, comme le serpent de la Genèse, le plus rusé de toutes les bêtes sauvages que Dieu a faites (Gen3,1). Ainsi dans le livre de Job, Satan appartient à l’armée des anges de l’Eternel et c’est lui qui met le Seigneur au défi d’obtenir la preuve que Job le sert gratuitement, pour rien et non pour préserver ses intérêts. L’argument est classique. Dieu a créé le monde libre et les anges comme les hommes sont libres de faire le bien ou le mal, la vie ou la mort. Pour être libre, l’ange porteur de lumière a choisi le côté obscur de la force. Comme Goetz dans Le Diable et le Bon Dieu, la pièce de JP Sartre. Dans cette manière de penser, la liberté se conquiert par la force et passe inévitablement par une révolte contre Dieu.

Mais une question se pose : si Dieu a créé la possibilité du mal alors n’est-il pas, au fond, le véritable responsable ? Quand il s’agit de vie ou de mort comme dans le récit de la Genèse ou dans le livre de Job, cela devient difficile à accepter. Qui laisserait ses enfants jouer avec un poison mortel ?  Et pourtant, là encore il ne faut pas tout rejeter en bloc. Ces textes affirment une chose essentielle : toute créature, ange déchu ou homme qui fait le mal, porte sa part de responsabilité dans le mal qu’elle fait. Non, nous ne sommes pas innocents de tout, des pures victimes qui ne sont que des jouets entre les mains de forces obscures qui nous dépassent.  Nous ne sommes ni des marionnettes ni des robots manipulés. Même si ce n’est pas nous qui inventons le mal, nous portons la responsabilité de ce que nous faisons. Ainsi, si vous lisez le livre de Zacharie au chapitre 3, vous assisterez à un véritable procès devant Dieu qui juge. Satan (« l’accusateur » en hébreu) y joue le rôle de procureur qui nous accuse à juste titre ! C’est vrai, devant Dieu, nous sommes tous coupables de faire le mal et le Satan est celui qui met notre faute en pleine lumière, de manière implacable. Et il réclame la peine maximale : nous méritons de mourir parce que, comme le dit l’apôtre Paul (Rom 6,23), le salaire du péché, c’est la mort. Dans ce procès où Satan dévoile notre culpabilité, nous avons un avocat pour assurer notre défense. L’Evangile de Jean donne au Saint-Esprit le nom de Paraclet, littéralement « celui qu’on appelle à son secours. » Après avoir entendu l’accusation par Satan et la défense par l’Esprit-Saint, notre Dieu refuse de nous condamner comme nous le mériterions pour le mal que nous faisons. Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! dit Jésus sur la Croix (Luc 23,34). Et Dieu condamne le péché pour sauver le pécheur. Il dit non à la mort et oui à la vie. Par grâce, par amour. Alors, si le Satan n’est pas un dieu du mal, il y a des choses, des événements, des situations et des personnes proprement sataniques à ses yeux : tout ce qui nous accuse, nous rabaisse, nous humilie, voilà ce qui est proprement satanique.

Et puis, 3ème conception que nous trouvons dans la Bible, il y a toute une série de textes, et de loin les plus nombreux, à travers toutes les Ecritures, qui affirment que c’est Dieu, et lui seul, qui envoie le bien comme le mal. Dieu est souverain. Le Seigneur, c’est moi, et il n’y en a pas d’autre. Il n’y a pas de Dieu en dehors de moi. (…) Je forme la lumière et je crée la nuit, je fais le bonheur et je crée le malheur, disait Esaïe 45. Pensons au sacrifice d’Isaac que Dieu demande à Abraham (Gen22). Pensons aux 10 plaies d’Egypte et au cœur de Pharaon endurci par Dieu (Ex 7-12). Pensons à l’Esprit de Dieu qui pousse Jésus dans le désert pour être tenté par le diable (Matt 4,1), à la prière de Jésus à Gethsémané qui demande au Père d’éloigner cette coupe qu’il va boire (Matt 26,36-46), à Jésus sur la croix qui crie au Père : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? (Ps 22) Un Dieu qui a une face obscure et redoutable, un Dieu qu’on ne peut pas approcher de trop près, qu’on ne peut pas voir sans mourir comme dit l’AT, fascinant et terrifiant à la fois.

Ici, il faut faire très attention à ce qu’on dit. On ne s’avance sur ce chemin qu’avec crainte et tremblements, comme disait Kierkegaard… Voilà la vérité, pour beaucoup de textes de la Bible, il n’y a ni dieu du mal, ni ange déchu mais un Dieu souverain, Tout-Autre. S’approcher de Lui est une expérience vraiment redoutable. Qui sommes-nous pour nous imaginer dignes de nous présenter devant Celui qui est au-dessus de tout ce qu’on peut dire et imaginer ? Il n’est pas la vie, Il est Celui qui donne la vie. Il n’est pas un être parmi les êtres puisque tout ce qui existe vient de Lui. Il n’a ni passé, ni présent, ni futur puisqu’Il est le créateur du temps. Il ne peut être localisé ni ici ni là puisqu’Il est le créateur de l’espace. Au-delà de ce que nous croyons être le bien et le mal. Au-delà de tout ce que nous pouvons dire et penser de lui. C’est vrai qu’à trop vouloir nous approcher de Lui, dans sa sainteté, nous risquons de nous brûler les ailes comme Icare volant trop près du soleil. Tous les grands mystiques racontent ce qu’il en coûte d’approcher celui que le prophète Esaïe appelle le Dieu caché (Esaïe 45,15) : Origène, St Augustin, St Jean de la Croix, St François d’Assise, Luther, Calvin, Thérèse de Lisieux… Il faut entendre la réponse de Dieu à Job qui a osé l’accuser d’être responsable de ses malheurs : Le Seigneur interpella Job et lui demanda : Toi le contestataire du Dieu Tout Puissant, oses-tu critiquer ? (…) Veux-tu me donner tort pour avoir raison ? Veux-tu mettre en question le fait que je sois juge ? As-tu les moyens d’être aussi fort que moi ? (Job 40,1-2) Alors, devant l’immensité, Job se tait. Il ravale ses questions, ses pourquoi et ses souffrances devant la Toute-Puissance de Dieu. Si le Démon n’existe pas en tant qu’incarnation du mal, il y a des choses, des objets, des personnes, des situations véritablement démoniaques en ce qu’elles prétendent prendre la place de l’absolu, du divin, de l’Eternel dans notre vie. Dieu seul est Dieu dit Esaïe : Ainsi de l’est à l’ouest, tout le monde saura : il n’y a rien en dehors de moi. Le Seigneur, c’est moi, il n’y en a pas d’autre. Vouloir maîtriser Dieu et exiger de lui qu’il nous rende des comptes, tout ce qui prétend prendre sa place est véritablement démoniaque. Voilà ce que dit la Bible.

Est-ce là le dernier mot de notre histoire ? Une question trop difficile pour nous qui ne sommes pas grand-chose devant Dieu, avec notre petite cervelle embuée ? Mais il y a fort à parier que si nous ravalons nos questions et nos pourquoi, ils ressortiront d’une manière ou d’une autre, dans un retour du refoulé… Il est des souffrances devant lesquelles l’argument d’autorité ne fonctionne plus et le Dieu que je connais n’est pas celui qui nous cloue le bec en nous rabaissant…

Mais notre Dieu en a assez. Il en a assez de nous voir souffrir, nous ses enfants, nous dont les noms sont inscrits dans la paume de sa main. Tout ce qui nous blesse, nous divise et nous déchire est diabolique pour lui aussi. Tout ce qui nous accuse, nous rabaisse et nous humilie est satanique pour lui aussi. Tout ce qui prétend prendre sa place dans notre vie est démoniaque pour lui aussi. Alors il a voulu mettre un terme à toutes ces diableries et il a envoyé son Fils unique, son bien aimé pour nous révéler le visage qu’il a choisi pour nous. Si cette face obscure du Dieu caché ne nous regarde pas parce que nous n’avons aucune révélation à son sujet, par contre il n’a pas voulu nous réduire au silence. Le seul visage que nous ayons de Lui, c’est dans son Fils qu’il nous le donne et nulle part ailleurs. C’est ce que nous lisons dans l’Evangile de Jean : Personne n’a jamais vu Dieu. Mais le Fils unique, qui est Dieu et qui vit auprès du Père, nous l’a fait connaître. (Jean 1,18) Ne soyez pas inquiets, croyez en Dieu et croyez en moi. (…) Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie, dit Jésus. Personne ne peut aller au Père autrement que par moi. En Jésus, et en Jésus seulement, Dieu le Père se révèle en lui-même tel qu’il est, tel qu’il veut que nous le connaissions : un Dieu qui se charge de nos souffrances et nous libère de nos déchirures, de nos divisions, de ces culpabilités qui nous écrasent et même de toutes ces idoles qui veulent prendre sa place dans nos vies. Un Dieu qui donne sa vie pour ceux qu’il aime, capable de tout pour nous arracher aux griffes du Malin… Par la foi en Jésus et en Jésus seulement. Amen !

 

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