Qui es-tu ?

Prédication donnée le dimanche 20 mars 2022, église de la Madeleine, Paris 8ème

 

Ainsi s’ouvre le livre de l’Exode (« chemot » en hébreu = les noms) :

« Voici les noms des fils d’Israël, venus en Egypte avec Jacob,

            chacun vint avec sa famille ».

Frères et sœurs en Jésus-Christ, vous l’entendez, le début du livre de l’Exode établit un lien avec le livre de la Genèse en redonnant les noms des Israélites venus en Egypte. Ils sont les ancêtres du peuple qui va vivre « l’exode », mot qui vient du grec « exodos » (route de sortie), passage de l’oppression à la liberté.

Un peu avant le passage dont nous avons entendu la lecture tout à l’heure (en premier), nous lisons au chapitre 2 de ce même livre de l’Exode le verset suivant :

« L’appel des Israélites du sein de la servitude monta jusqu’à Dieu.

  1. entendit leurs soupirs.
  2. se souvint de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob.
  3. regarda les Israélites et prit conscience de leur situation ».

Frères et sœurs,

Quand nous demandons à quelqu’un son nom, il s’agit le plus souvent de beaucoup plus que d’un simple relevé d’identité. Derrière le nom, c’est la personne que nous cherchons : tout dépend donc de qui cherche qui. Pour dire l’ascendance, il faut deux noms, celui du père et de la mère.
Il y a le prénom, qui dit l’affection.
Et des noms plus doux encore, qui en disent long… Des p’tits noms, des surnoms, …
Qui livre son nom, livre déjà une partie de lui-même à qui va le connaître. Pouvoir nommer quelqu’un, c’est pouvoir le saisir, le retenir, le définir. D’ailleurs, parce qu’on ne peut pas enfermer Dieu, ni le saisir, ni le retenir, ni le définir, les Hébreux s’interdisent de prononcer son nom. La façon de l’écrire, ce qu’ils appellent le tétragramme, 4 consonnes, YHWH, est imprononçable. Et selon la même logique, dans le livre de la Genèse, c’est en leur donnant un nom que Dieu et Adam créent toutes les autres créatures.

S’il est interdit de nommer Dieu, dans notre texte en revanche, Moïse, lui, est interpellé par son nom répété deux fois : « Moïse, Moïse ! ».

Faut-il y voir ici, le signe d’une grande tendresse ou plutôt une impérieuse insistance ?
Voilà que celui qui vient d’appeler Moïse depuis le milieu du buisson ardent se présente lui-même :       « Je suis le Dieu de ton père, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob ! ».

Moïse frémit de regarder ce Dieu ! Pour lui, c’est une rencontre complètement nouvelle. Il a été le fils adoptif de Pharaon, il est maintenant le gendre d’un lointain descendant d’Abraham, et esclave hébreu en Égypte. Comment aurait-il pu connaître ce Dieu qui prétend être celui de son père ?

Et voilà que ce Dieu lui révèle un projet de libération :

« Va maintenant, je t’envoie vers Pharaon

            pour faire sortir mon peuple d’Égypte ! ».

A cette injonction, naturellement, Moïse va, à son tour, questionner Dieu sur sa propre identité :

« Qui suis-je devant Pharaon, et qui suis-je

            pour faire sortir des esclaves et des fils d’Israël ? ».

A la très grave question de Moïse, Dieu semble ne pas répondre. Il ne distribue pas d’étiquette. Il fait beaucoup mieux ; il propose une relation, une confiance :

« Je suis avec toi ».

Une phrase que Matthieu mettra plus tard dans la bouche de Jésus et dont il fera même le thème final de sa Bonne Nouvelle : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20)
Dans le livre de l’Exode :« Je suis avec toi » ou bien : « je serai avec toi », puisqu’il n’y a pas de futur en hébreu… Phrase inépuisable, qui éveille et qui sauve.

Dieu ne s’adresse pas à Moïse comme un maître, mais déjà comme un père.
Et pourtant, il emploie le verbe servir :

« Quand tu feras sortir le peuple d’Égypte,

            vous servirez Dieu sur ce mont ». (vous lui rendrez un culte)

 Servir, le seul mot que connaissent les esclaves. Mais en servant Dieu sur ce mont de l’Horeb, encore appelé Sinaï, c’est une loi d’hommes libres qui leur sera donnée. Le peuple d’Israël va passer du statut d’esclave sous la servitude de Pharaon, au statut d’homme libre, de serviteur d’un Dieu qui n’est pas un Pharaon. Un Dieu qui ne recherche nullement la domination, mais qui offre sa présence, comme une porte toujours ouverte, comme une libération toujours possible. « Je suis avec toi ».

Alors, assuré de la présence de Dieu, Moïse l’interroge à nouveau. Pas directement, pas comme un « Qui es-tu ? », mais en faisant un détour par l’avenir et par les autres :

« S’ils me disent : « Quel est son nom ? », que répondrais-je ?».

Il a besoin d’une garantie qui lui permette d’invoquer, d’interpeller, de convoquer Dieu. Et la réponse divine est tout, sauf claire : « Je suis qui je serai ». (Je suis celui qui suis)
Dieu nous invite à ne pas le retenir sous un nom, une forme qui ne seraient pas ouverts. Ouverts à l’avenir, à un avenir commun. Je suis qui je vais être avec toi : il suscite une relation de confiance.
Tu voulais m’enfermer dans un nom, un temps, un lieu ? Je t’offre l’assurance d’une présence, qui ne cesse pas, qui demeure au-delà du temps et de l’espace. Je t’offre un avenir qui repose dans le présent. Présent permanent qui exprime la durée et prolonge la promesse. Comme un baiser ou un mot d’amour peuvent prolonger un moment même limité en une promesse d’amour éternel.

De la même façon qu’il s’était présenté à Moïse au début de notre texte, Dieu recommence, cette fois-ci, pour tous les fils d’Israël :

« Tu parleras ainsi aux fils d’Israël :

                        L’Eternel, le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob,                 m’a envoyé vers vous… ».

Comme si ce Dieu dont on ne pouvait pas parler, dont on ne pouvait pas prononcer le nom se présentait désormais comme le Dieu des hommes, situé dans l’ascendance de Moïse lui-même, dans celle de tous les Hébreux, dans les termes de leur généalogie, avec toutes les caractéristiques d’un ancrage humain.

Une part nouvelle d’humanité, mobilisée pour que tout son peuple puisse reconnaître que le Dieu interdit est leur Dieu. Dieu qui s’est adressé à l’un d’eux, qui a parlé à l’un d’eux, un Dieu qui s’est approché de l’un d’eux, pour se donner à connaître par tous.

Frères et sœurs en Jésus-Christ, le Dieu du buisson ardent, inaccessible, est en même temps le Dieu qui se manifeste à eux dans l’humanité, dans le but de les libérer.
Les libérer, c’est leur faire connaître que le Dieu du buisson ardent est celui qui n’en finit pas d’être, dans un présent permanent. Il est. Et il demeure un Dieu de libération, qui accepte d’avoir un nom, d’être nommable, d’être nommé. Pouvoir le nommer, c’est ne plus être esclave, mais libre.
Moïse ne se construit pas lui-même son identité. Il la reçoit, comme on reçoit son nom de son père.

Il ne bâtit pas sa vie à la force de son bras ou de ses mérites. Il commence par se « dégonfler », par se vider, par reculer face au projet qui lui est proposé.

Il sait son incapacité à le réussir par ses propres forces. C’est seulement quand Dieu aura réussi à établir une relation de confiance avec lui, que Moïse pourra sortir de cette impossibilité de réaliser ce projet de libération par lui-même.

C’est seulement quand il se sera vidé de toute illusion, quand il aura compris que jamais, par ses propres forces, il ne pourra réussir, que la grâce de Dieu lui rendra tout projet possible. Il peut alors être nommé fils de Dieu. Et Dieu peut-être nommé, à son tour.

Tu croyais que ta confiance ne pouvait reposer que dans tes certitudes…
Et si, finalement, ta certitude ne reposait que dans une confiance ? …

Amen.

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