Le bon berger d’un troupeau en liberté

Lecture Biblique : Jean 10, 11-18

 

Prédication

S’il est une figure familière, pour le lecteur de la Bible, c’est bien celle du berger. Cette figure porte en elle plusieurs dimensions symboliques : le guide qui conduit, qui protège et qui mène vers les pâturages qui nourrissent.

  • Bergers de l’Ancien Testament, comme Abel, Abraham, Moïse, Saül ou même David, et comme nous l’avons chanté en commençant : « Le seigneur est mon berger, je ne manque de rien (Ps. 23)
  • Bergers du nouveau Testament, présents dans la crèche et Jésus, berger et fils de Dieu.

En histoire, le berger est aussi un personnage inspiré, voire illuminé, surtout quand il s’agit d’une bergère : à Domrémy, avec Jeanne d’Arc, et bien sûr à Lourdes, avec Bernadette Soubirou et ses visions.

Aujourd’hui, le berger a disparu de nos vies quotidiennes et nous sommes de moins en moins nombreux à avoir entendu les sonnailles de la transhumance. Cette réalité, notamment cévenole, des transhumances n’avait déjà que peu à voir avec la tradition pastorale en Palestine au temps de Jésus.

A l’époque de Jésus, les troupeaux avaient généralement une taille relativement modeste et les bêtes des différents troupeaux étaient parquées ensembles, pour la nuit, dans un enclos gardé. Le matin, chaque berger se présentait à la porte de l’enclos et appelait ses bêtes pour reconstituer son troupeau et le mener paître.

Ce qui nous reste du berger aujourd’hui est une image bucolique, un peu confite, et qui renvoie, pour nous, au rôle peu valorisant de mouton.

Dans le bouche de Jésus au contraire, l’image du bon berger permet à la fois de nous faire comprendre en relief (lui) et en creux (le mercenaire) ce que nous sommes pour lui, ce qu’il est le seul à être pour nous mais permet aussi d’induire la liberté que donne l’appartenance à son troupeau.

Les métaphores ne manquent pas pour désigner Jésus : « rempart », « cep de vigne », « avocat », mais aussi, comme Jésus l’exprimait dans le début du chapitre 10, « porte » et maintenant, dans le texte d’aujourd’hui, « berger » et plus précisément « le bon berger ».  Ici c’est plus qu’une métaphore, c’est l’essence même de Jésus, comme le pointe Dietrich Bonhoeffer dans une médiation sur ce texte de Jean.

 

1 – Jésus est tout d’abord celui qui connaît ses brebis et protège le troupeau (v.14)

Jésus ne nous voit pas comme un troupeau parce que chacun est unique à ses yeux.

Aux portes de l’enclos, le berger appelle ses brebis : ont-elles chacune un nom, tout comme nous avons un nom le jour de notre baptême, s’agit-il seulement d’une façon particulière de siffler, reconnaissable entre mille et les brebis ne s’y trompent pas.

Le verset 14 est clair : c’est bien les deux. Dans ce troupeau, chacun de nous est unique aux yeux de Jésus et si nous faisons partie de ce troupeau, c’est aussi parce que nous reconnaissons la parole de Jésus Christ.

Jésus prend des risques pour nous car son seul intérêt c’est nous.

Le bon berger s’oppose ici au mercenaire, celui pour qui s’occuper du troupeau n’est qu’un moyen de gagner de l’argent, et qui n’est pas réellement investi dans sa mission : « peu lui importent les brebis » précise le verset 13, pourquoi alors se donnerait-il la peine de les connaître, de les reconnaître, de les différencier ? Pourrait-on attendre du mercenaire qu’il prenne des risques pour aller chercher la brebis égarée, comme le fait le berger dans Esaïe (Es. 40 v.11), « quoi qu’il en coûte » dirait-on aujourd’hui ?

Pour le mercenaire prendre des risques ne fait pas partie du job. Lorsqu’il voit venir le danger, qui prend ici la forme du loup, il prend la fuite. Les brebis sont alors abandonnées, laissées à la merci du loup.

Et qu’advient-il ?  Sans berger, il n’y a plus de troupeau

Le loup « s’empare [des brebis] et les disperse » (v.12).

Le danger qui est décrit ici ce n’est pas la mort. Il n’est pas dit que loup mange la brebis. Ce qui arrive est bien pire : le danger disperse le troupeau et chacun se retrouve seul, sans le soutien de ses congénères et sans aucun berger. Et c’est à cause de cela, que, vraisemblablement, une brebis sera dévorée. Bien sûr, le loup ne mangera pas toutes les brebis d’un coup : il commencera par une, la plus facile à attraper, celle qui allaite, celle qui court le moins vite ou celle qui sera paralysée par la peur. Celle qui a le plus besoin d’un bon berger.

Et sans berger, on ne peut que redouter la suprématie de la morale de la fable :  la raison du plus fort… vous connaissez la suite.

 

2 – Le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis

Et le mercenaire est encore moins courageux que le loup : il prend la fuite car il n’envisage pas ce qu’il pourrait faire d’autre que de sauver sa peau. A l’inverse, « le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis ». C’est la toute première caractéristique que Jésus donne dès le verset 11 et reprend encore au verset 15 exactement dans les mêmes termes. Deux autres fois encore cette dimension de la vie donnée pour nous est mise en avant dans le texte : « je me dessaisis de ma vie pour la reprendre ensuite » et « je m’en dessaisis de moi-même ; j’ai le pouvoir de m’en dessaisir et j’ai le pouvoir de la reprendre ». C’est bien de Jésus dont il s’agit, et de son destin : mort et ressuscité. Dans ce texte si court, de huit versets seulement, cette dimension de la croix est centrale, juste posée, exprimée dans sa simplicité et dans son mystère. Et le bon berger devient agneau.

 Jésus connaît ses brebis, il donne sa vie pour ses brebis, et les accueille dans un troupeau « en liberté ».

 

3 – Jésus est le berger d’un troupeau en liberté

La liberté de vivre ce projet de Jésus qui entend former un troupeau unique.  « J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos et celles-là aussi il faut que je les mène : elles écouteront ma voix et il y aura un seul troupeau et un seul berger » (verset 16).

Les brebis du troupeau, celles qui dorment à l’abri dans l’enclos, reconnaissent la voix du berger, mais d’autres brebis aussi écoutent cette voix, la voix du Seigneur. Ces autres brebis ne forment pas un autre troupeau qui serait différent, qui serait à part : en écoutant le bon berger, les brebis se reconnaissent au sein du troupeau, de son troupeau. Ce n’est pas un troupeau à deux vitesses : le troupeau d’origine et un autre, ou plusieurs autres, le troupeau du peuple élu et le troupeau du reste du monde. C’est bien un même troupeau, à la manière d’un troupeau virtuel en quelque sorte, qui réunit au-delà du temps et de l’espace. Un troupeau en quatre dimensions, évolutif, accueillant.

Le troupeau dont Jésus est le berger n’est pas un entre-soi, c’est celui de la rencontre et de l’ouverture.

Jésus, le bon berger qui nous mène.
Tout le projet de Jésus pour nous tient dans ce verbe « il faut que je les mène ». Nous mener ? Nous mener où ?

Jésus décrit un troupeau unique, mais nos chemins sont multiples et cela Jésus le sait, car il connait chacun de nous. Un troupeau unique dans lequel chaque brebis est unique et chacune aura pu écouter et reconnaître la voix de Jésus.

Et pourtant, quel brouhaha ! Depuis le début du XIXe siècle, notre temps de disponibilité cérébrale (ce fameux temps de cerveaux disponible) a été multiplié par 8 du fait de l’allègement de la durée du travail et des tâches de la vie domestique. En deux siècles, qu’avons-nous fait de ce temps-là ? Notre cerveau n’a pas été laissé au repos, baigné de sollicitations accrues.

Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, des influenceurs, ces nouveaux bergers, galvanisent leurs adeptes (des troupeaux de followers) et les uns et les autres se multiplient et s’alimentent mutuellement, transposition d’une chaîne alimentaire qui dévore les esprits.

 

Nous avons besoin de reconquérir cette disponibilité cérébrale, ce temps spirituel sans lequel il est difficile d’écouter et de reconnaître la voix de Jésus, sans lequel il est difficile de sortir de l’individualisme de celui qui se croit assez fort tout seul.

Prenons un peu d’espace pour chercher, prenons un peu d’espace pour reconnaître la voix de Jésus, et lui confier nos pas, notre route.

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