L’Ascension : une fête joyeuse ?

  1. Les deux textes que nous venons de lire rapportent les dernières paroles de Jésus et ses apôtres et racontent brièvement son Ascension. Dans ces deux textes, je vous propose de retenir une phrase :

« Quant à eux, après l’avoir adoré, ils retournèrent à Jérusalem, le cœur rempli de joie »

Et de retenir particulièrement la fin de la phrase « le cœur rempli de joie ». En effet, l’Ascension est une fête et une fête joyeuse. Nous allons voir pourquoi.

  1. A priori, ce n’est pas évident et pour plusieurs raisons.

Pendant longtemps, l’Ascension n’a pas été fêtée. Jusqu’au IVème siècle.

Depuis qu’elle est fêtée, l’Ascension fait figure de parent pauvre, cousine de province, entre la Pâques et la Pentecôte, 40 jours après Pâques et 10 jours avant la Pentecôte. C’est une fête mobile, qui n’est pas un dimanche et qui dépend donc de Pâques. Et pourtant, l’Ascension est une fête importante, et pas seulement à cause du « pont de l’Ascension ».

Qu’est-ce-que l’Ascension ? C’est la montée de Jésus-Christ, son retour au ciel. Ainsi Dieu, qui a envoyé son fils en gage d’amour, l’enlève en quelque sorte pour le reprendre. L’Ascension paraît ainsi briser la nouvelle Alliance de Dieu avec l’humanité en Jésus-Christ.

  1. Alors comment penser l’Ascension en tant que fête et joie ?

Reprenons le récit de Luc. Tout d’abord, le récit de l’Ascension elle-même, le seul récit qui existe, c’est dans l’Évangile de Luc.

Il est vrai que l’Évangile de Marc fait une brève allusion à l’Ascension :

« Le Seigneur, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu ». [ch 15 v 19]

Matthieu n’en parle pas. De même, dans l’Évangile de Jean, pas de récit de l’Ascension, mais des propos qui l’évoquent. Dans le récit de la Résurrection, Jésus dit à Marie-Madeleine : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Mais va vers mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (ch. 20, v. 17)

Plus largement, dans les chapitres consacrés aux derniers entretiens de Jésus avec ses disciples (les chapitres 13 à 16), le Christ annonce les événements à venir, de manière qui nous paraît significative, pour nous qui connaissons la suite, mais sans doute obscure pour les apôtres.

« Dans peu de temps vous ne me verrez plus ; puis encore un peu de temps, et vous me reverrez » (ch. 16, verset 16)

Ou encore, au même chapitre 16 et au verset 22 :

« Vous de même, vous êtes maintenant dans la douleur, mais je vous verrai de nouveau, alors votre cœur sera rempli de joie, et cette fois, personne ne pourra vous l’enlever ».

Ces paroles de Jésus font référence à la temporalité de l’Ascension. Elle est particulière dans la vie de Jésus Christ, avant de l’être dans les fêtes chrétiennes et l’année liturgique.

Rappelons-nous, l’Ascension a lieu 40 jours après la Résurrection, notre fête de Pâques. Pendant ces quarante jours, les événements ont été stupéfiants pour les disciples et les apôtres. Après l’effroi et la douleur du procès, de la condamnation et de la crucifixion, il y a eu la fuite des apôtres, la stupeur des femmes et celles de Pierre et de Jean devant le tombeau vide. Puis les apôtres ont vu Jésus-Christ, ont marché et partagé un repas avec lui et ils ont eu un certain mal à le reconnaître et à croire. C’est lors de ce repas d’ailleurs que Jésus prononce ces paroles que nous avons lues. Voici que, de manière assez brutale, Jésus les quitte et leur est enlevé.

Vous avez noté ensuite que le récit de l’Ascension est particulièrement bref et sobre à la fin de l’Évangile de Luc et un peu plus détaillé au début des Actes des Apôtres, tout en restant bref.

Un seul verset à la fin de l’Évangile selon Luc (le verset 51) :

« Pendant qu’il les bénissait, il se sépara d’eux et fut enlevé au ciel »

Notons une double action :

  • Un geste actif de Jésus qui bénit les apôtres (ils ne sont plus que onze à ce moment-là, en raison de la trahison de Judas) et, qui se sépare d’eux ;
  • Un geste passif de Jésus qui est enlevé et aspiré en quelque sorte par le ciel. Ce double mouvement, actif et passif est repris dans les Actes des Apôtres :

« Après avoir dit cela, il fut enlevé pendant qu’ils regardaient, « et une nuée le déroba à leurs yeux » (verset 9).

Le texte des Actes ajoute deux autres personnages, dans la scène qui se déroule entre Jésus, qui les quitte, et les apôtres, qui ont « les regards fixés vers le ciel ». Il s’agit de deux hommes en vêtements blancs, ce qui est la représentation classique des anges, comme dans le récit de Jean de la visite de Marie de Magdala, au tombeau, le troisième jour après la crucifixion.

Ces deux hommes en blanc adressent un message aux apôtres :

« Vous Galiléens, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ? Ce Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, reviendra de la même manière dont vous l’avez vu aller au ciel ».

De nouveau, dans les Actes, il est fait allusion à cet enlèvement de Jésus-Christ. Luc évoque :

« Le temps que le Seigneur Jésus allait et venait avec nous, depuis le baptême de Jean, jusqu’au jour où il a été enlevé du milieu de nous » [chap. 1. v.21]

L’Ascension de Jésus est ainsi exprimée, non comme un départ volontaire du Christ, mais plutôt comme un enlèvement, un retour à Dieu ou une reprise par Dieu le Père, de son fils envoyé sur terre.

On pourrait donc penser que cet événement devrait plonger les onze apôtres dans le désespoir ou au moins la tristesse, celle d’une séparation qui, d’une certaine manière, est définitive. Ces sentiments, ce sont ceux qu’exprime une cantate de Jean-Sébastien Bach, dans l’Oratorio de l’Ascension.

C’est la cantate BWV 11. Je cite ce passage :

« Ah ! Reste donc douceur de ma vie.
Ah ! ne t’éloigne pas encore de moi.
Tu pars et me quitte si tôt
Que les plus grandes douleurs s’emparent de moi.
Ah ! reste encore ici ;
Ou la douleur me submergera tout entier ».

Alors, pourquoi, à la suite des apôtres qui sont repartis pour Jérusalem « le cœur rempli de joie », fêtons-nous l’Ascension dans la joie ?
Parce que l’Ascension est porteuse d’un triple message d’espérance, de confiance et d’élévation.

Message d’espérance, tout d’abord
Après l’enlèvement de Jésus, les apôtres sont repartis le cœur rempli de joie, parce qu’ils se souviennent de ses paroles :  « Cependant, je vous dis la vérité : Il est avantageux pour vous que je parte, car si je ne pars pas, le Consolateur ne viendra pas vers vous ; mais si je m’en vais, je vous l’enverrai » [Jean chap 16 v.7]
L’Ascension remplit de joie les disciples, car Jésus le leur a dit, son départ est nécessaire pour que lui succède l’envoi du Saint-Esprit, l’envoi de sa puissance et de son soutien, ce que traduit le terme de Consolateur (Paraclet). L’ascension c’est donc l’attente, mais dans l’espérance et la certitude.

Message de confiance, ensuite
Ainsi, l’Ascension n’est pas l’abandon des apôtres et des hommes par le Christ. C’est le début de « la mystérieuse présence de l’absence ». Cette très belle formule, je l’emprunte à Michel Leplay, dont nous gardons tous le souvenir.
Dieu est à la fois absent très souvent de nos vies, absorbés que nous sommes par toute sortes d’activités, qui ne font aucune place à Dieu. Nous pouvons aussi avoir le sentiment, de ne connaître que l’éternel silence des cieux, de la Divinité.
Dieu est redevenu invisible et silencieux.
Mais Dieu est aussi toujours présent dans nos vies par le mystère de la grâce et de la foi.

Le paradoxe est là : L’absence, la perte visible, est celle qui crée la mystérieuse présence de l’absence. L’Ascension participe du mystère de la Trinité, Dieu. Jésus-Christ, le Saint-Esprit et nous fait percevoir l’éternité de Dieu. N’oublions pas cette parole de Jésus :

« Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde » [Matthieu, chap. 28, v. 20].

N’oublions pas cette assurance qui nous est donnée, et qui est source de confiance et donc de foi. C’est à nous qu’il incombe de savoir accueillir, chaque jour, la grâce divine.

C’est enfin un message d’élévation, enfin.

Ce message d’élévation, nous le trouvons, tout d’abord, dans le sens littéral de l’Ascension, qui est précisément celui de la montée. Ensuite, le message d’élévation, nous le trouvons dans les parallèles entre les fêtes liturgiques et d’abord dans les événements de la vie de Jésus sur terre, épisode que clôt l’Ascension.

Le premier parallèle auquel on peut penser est celui avec l’autre fête liturgique, qui est à date fixe dans notre calendrier, le 25 décembre… la fête de Noël. Le parallèle de la Nativité, et de l’Ascension est clair. La Nativité c’est l’incarnation, Dieu fait homme en Jésus, Dieu descend vers l’homme en Jésus. À l’Ascension, à l’inverse, Jésus achève son parcours terrestre, l’homme est élevé à Dieu en Jésus. C’est un double mouvement inversé.

Autre parallèle, le thème de l’élévation se retrouve souvent dans la vie du Christ. Que ce soit matériellement ou symboliquement : le Sauveur sur la montagne, le Mont des Oliviers, ou, pour les apôtres dans le récit de Luc, après l’Ascension et le retour à Jérusalem par le Mont des Oliviers, la montée dans la « Chambre haute où ils se tenaient d’ordinaire » (Actes du 1 verset 13).

À l’instar de Jésus, l’Ascension évoque la fin de notre vie terrestre, image de l’élévation de notre âme immortelle vers Dieu. Comment ne pas penser à l’air de Marguerite à la fin de l’opéra « Faust » de Gounod :

Vous connaissez ces deux vers :

« Anges purs, anges radieux
Portez mon âme jusqu’aux cieux »

Et, dans la vie présente, c’est le sens permanent de la nécessaire élévation vers Dieu. Dieu ne nous abaisse pas, ne nous condamne pas, mais au contraire nous élève. L’Ascension est l’élévation de l’homme par Dieu en Jésus.

L’élévation peut être aussi comprise comme une autre expression de la grâce divine, de l’étincelle divine en chacun de nous qui nous fait tenir debout. La grâce contre la pesanteur.

Notons aussi un dernier parallèle. L’Ascension, répétons-le, a lieu 40 jours après Pâques, temporalité qui renvoie aux 40 jours de solitude et d’épreuves de Jésus dans le désert, après son baptême dans le Jourdain et avant son ministère en Galilée (Luc chap. 4, v.1 à 13).

Le ministère de Jésus avait commencé 40 jours après son baptême. Il se termine 40 jours après la Résurrection.

L’Ascension, c’est donc à la fois la fin du passage sur terre de Jésus-Christ, la fin de son ministère, et le début de l’après Jésus, une étape nécessaire avant la Pentecôte. La Pentecôte, ce sera l’envoi du Saint-Esprit, le début du christianisme et du temps qui est encore le nôtre. Temps d’espérance, de confiance et d’élévation, en dépit des doutes, des difficultés et des souffrances.

Terminons avec Luther qui écrit :

 « Telle est la véritable attitude du croyant : plus il croit fermement une chose, plus il s’en étonne et plus il est joyeux ».

Alors à l’Ascension, récit merveilleux et message étonnant, soyons joyeux.

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