Lecture Biblique : Marc 9, 2-10
Prédication
Sommes-nous condamnés à n’être, comme Pierre, Jacques et Jean, que des spectateurs médusés, effrayés (pas vraiment, tant c’est loin) et, finalement, ne comprenant rien à ce qui se passe… ? Il faut dire que pour nous ces phénomènes de blancheur éclatante, de compagnons vénérables apparaissant pour cette rencontre au sommet, et plus encore de voix venant du ciel sont totalement étranges sinon étrangers. Alors que cela n’a pas l’air d’étonner outre mesure les trois témoins ; ils proposent de dresser des tentes, même si le récit concède qu’ils disent n’importe quoi.
Mais nous avons un avantage sur eux, celui d’avoir non seulement le récit de cette journée – et donc d’en connaître la fin en même temps que le début – mais aussi d’avoir à disposition tout l’évangile de Marc. Et cela change en profondeur notre compréhension.
Je m’explique sur ce dernier point : un évangile, c’est une construction littéraire, il vaudrait mieux dire un projet littéraire. C’est particulièrement sensible avec l’évangile de Marc, plus ramassé et dont la construction est plus claire que celle de ses « collègues ». Avec Marc on ne s’attarde pas sur les origines de Jésus, et d’emblée dès sa première phrase il annonce la couleur ; il s’agit de faire entendre la bonne nouvelle de Jésus, Christ (ou Messie), Fils de Dieu ; il s’agit donc de la venue du règne de Dieu à la quelle vont être associés les disciples ; et cette venue est faite d’enseignement – avec autorité – et de vie nouvelle ; de paraboles et de guérisons ; d’appels et de conversions. Avec en contrepoint, touche par touche, une résistance se transformant en opposition de la part des spécialistes des écritures et des pharisiens. Ainsi le décor est planté, et plus que le décor, la profondeur du changement, le projet de Dieu pour l’humanité, et le combat qui devra être mené contre tout conservatisme, toute rente de situation, tout aveuglement.
Reste à caractériser, peut-être faut-il dire ‘visualiser’ ce combat. C’est très précisément ce que l’évangéliste va expliquer entre le le verset 31 du chapitre 8 et le verset 31 du chapitre 9. Si nous avions deux heures devant nous, nous les prendrions pour lire et commenter ligne par ligne ce tournant de l’évangile. Prenez le temps chez vous de le relire. Cela vaut vraiment la peine ! Je résume donc :
- Jésus annonce sa mort et sa résurrection. (il connaît l’issue du combat !)
- Jésus appelle à le suivre en prenant sa croix. (et ce ne sera pas toujours une promenade de plaisir !)
- Jésus indique le chemin de la communion, notamment par la prière, pour faire advenir la vie nouvelle
Mais il faudra aller jusqu’au bout de l’évangile pour que tout cela devienne compréhensible pour les disciples.
C’est au cœur de ce chapitre essentiel que le récit de la transfiguration concentre toute la force de cette révélation.
C’est d’abord un événement symbolique ; on dirait aujourd’hui ‘virtuel’, comme en visio-conférence dont seuls Pierre, Jacques et Jean auraient eu le lien. D’où le côté fantasque de vouloir dresser trois tentes… Mais ne nous trompons pas, le symbolique est aussi important que le matériel, ce qui se voit et s’entend aussi important que la réalité présente. Notre principale difficulté devant ce texte est d’en saisir tous les codes : la date, la montagne, les participants, la nuée…
La date : six jours après. Dresser trois tentes. Cela évoque cette grande fête dite « fête de Yahweh » ou « fête des tentes », retour pour le peuple vers le temps de l’alliance au désert, autour de Moïse ; fête nationaliste au temps de Jésus et d’attente de la manifestation de la Royauté de Dieu qui dominerait un jour sur toutes les nations.
La montagne : Ici, très probablement un moment de retraite de Jésus, précisément pour être loin de l’effervescence nationaliste de cette fête. Mais c’est le lieu de la rencontre entre le ciel et la terre, le lieu du don de la Loi pour Moïse au Sinaï, de la rencontre avec le Dieu de la brise légère pour Elie, le lieu du rendez-vous après la résurrection, le lieu de la nouvelle Alliance. Promesse de l’Ancien Testament et commencement d’une ère nouvelle.
Les participants : je les ai déjà évoqués ; Moïse ou la Loi ; Elie ou la prophétie. Tout deux enlevés mystérieusement. Moïse enterré par Dieu « dans une vallée de Moab… et personne ne sait où se trouve sa tombe » après qu’Il lui ait montré la terre promise où entrera sa descendance. Elie, « enlevé dans les cieux dans un tourbillon de vent ». Mais aussi les trois disciples intimes, comme un noyau dur , d’abord obligés au secret, mais affermis dans leur foi et leur espérance, foi et espérance qui porteront leur fruit au lendemain de la résurrection.
Et la nuée, comme une manifestation éphémère de la gloire du Fils, signe de sa gloire à venir, révélée dans la parole qui l’accompagne « Celui-ci est mon fils bien aimé, écoutez le ! ».
Et vous et moi, par la grâce de l’évangile de Marc, spectateurs et auditeurs de ce moment d’exception. Qu’en ferons-nous ?
Je vous propose trois pistes de réflexion, trois interrogations.
La première vient de la construction de l’évangile de Marc autour du « fils bien aimé ». Suivons, en effet, ce fil rouge qui traverse tout l’évangile de Marc. Dès les premiers versets lors du baptême de Jésus lorque les cieux se déchirent pour laisser descendre l’Esprit saint comme une colombe, une voix se fait entendre des cieux : « Tu es mon fils bien aimé ; en toi je trouve toute ma joie ». Et le texte de la transfiguration reprend : « Celui-ci est mon fils bien aimé ; écoutez-le ! »
Mais vous souvenez-vous quel écho sera donné à cette double proclamation venue des cieux ? Qui répondra parmi les hommes ? Qui dira : « Cet homme était vraiment Fis de Dieu ! » …. Cela vous revient… ? C’est le centurion qui constate la mort de Jésus sur la croix.
Celui qui descend se faire baptiser d’eau au milieu des pécheurs que Jean le Baptiste appelle à changer de vie, et sera demain mis au rang des malfaiteurs…
Celui qui est transfiguré sur une montagne et sera demain élevé en croix au sommet d’une autre montagne…
Qui reconnaitra que ce serviteur souffrant qui s’abaisse au rang des pécheurs, qui est traité comme un malfaiteur est celui-la même dont la voix céleste dit l’amour du Père et dont la nuée dit la gloire, la gloire ultime dans l’abandon de la croix, gloire qui sera scellée le troisième jour par le oui de Dieu, oui de la résurrection ?
Qui reconnaitra cela ? Marc nous dit : le centurion… le païen, l’occupant romain, le mauvais par nature.
Faut-il donc que nous redevenions cela, ou plutôt que nous reconnaissions que nous sommes cela, si éloignés du projet de Dieu que nous n’acceptons pas que ce chemin de l’abandon, du don de soi, puisse être la volonté de Dieu ? Faut-il nous entendre dire, comme Pierre, « Va-t’en, passe derrière moi Satan ! car tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des êtres humains. » pour, comme Pierre, nous entendre dire : « Il vous précède en Galilée ». Tel est me semble-t’il la première interrogation que nous laisse ce moment si particulier de la transfiguration. L’humilité, la repentance comme clés pour suivre Jésus.
J’en entends une autre, lorsque Jésus sort de la nuée ou plus précisément lorsque les disciples ne voit plus que Jésus seul avec eux. Je pourrais dire : Que sont devenus Moïse ou Elie ? Ou plutôt pourquoi étaient-ils là ?
A mon sens, ils sont comme les deux visages de Jésus.
Il y a Moïse, le père de la « Loi ». Celui qui souligne par sa présence la dimension enseignante de Jésus. C’est peut-être celle qui nous est le plus facile à recevoir. Au milieu des philosophies, des idéologies humaines, tiraillés entre des opinions et des morales les plus diverses, nous recevons à travers la parole et l’enseignement du Christ, à travers sa vie qui est la mise en pratique de sa parole, nous recevons comme une boussole, un vrai guide qui nous aide à faire nos choix. Nous pouvons les justifier comme venant de lui. Et l’une des dimensions essentielle de la vie des Eglises est d’avoir été et de rester des lieux d’élaboration d’un fidélité à l’enseignement du Christ, à sa loi nouvelle. Jésus-Moïse! C’est lui que nous reconnaissons le plus facilement et c’est en lui que se forge une grande part de notre identité de femmes et d’hommes chrétiens. « Ecoutez-le » dit la voix divine.
Mais il y a Elie! Jésus-Elie. A côté de la Loi, la prophétie. C’est à dire la marche dans l’inconnu de la confiance. La capacité qui nous est offerte de nous appuyer sur Dieu sans savoir où cela nous conduira, et pourtant sans inquiétude pour notre avenir qui est pleinement en lui. Comme Elie. Ce n’est pas sans risque, y compris celui de nous égarer. Ce n’est sans peines, y compris celle de nous heurter aux puissants de ce monde. Mais dans la confiance. C’est ce que nous appelons vivre dans l’esprit de Dieu. Qui est tout le contraire de l’improvisation, mais bien la mise à disposition de nos capacités, de notre intelligence, pour discerner la volonté de Dieu pour nous et pour notre monde. Jésus-Elie. « Ecoutez-le » dit la voix divine.
Et il nous faut tenir les deux solidement attachés. La prophétie et l’institution. Ainsi en est-il de notre foi qui ne peut être vécue dans la solitude et doit être vérifiée, confrontée, à celle des frères et sœurs que Dieu nous donne. Ainsi en est-il de la vie de nos Eglises qui ne peuvent se contenter de répéter le passé mais doivent être ouvertes aux chemins nouveaux que Dieu inspire à leurs fidèles et aux appels qui leur viennent de cette Eglise invisible que Dieu se constitue dans le cœur des hommes.
« Ecoutez-le ». Il me semble que retentit pour nous l’appel de la résurrection qui est tout à la fois renouvellement de notre intelligence par sa parole de vie, et promesse de vie nouvelle. Ainsi recevons-nous un peu de la brillante lumière qui entourait Jésus lors de sa transfiguration.
Je veux conclure sur une dernière interrogation qui me vient de l’incompréhension des disciples. Resterons-nous des disciples incapables de comprendre, ou sommes-nous disposés à écouter et devenir clairvoyants?
Ils se demandaient entre eux : « Que veut-il dire par ressusciter d’entre les morts ? »
Cette phrase peut être entendue comme pur procédé littéraire… Attendez la fin de l’évangile pour comprendre. Mais la fin de l’évangile de Marc vous la connaissez comme moi. Les femmes, témoins de la résurrection, porteuses du message que leur a laissé dans le tombeau ce jeune homme, qui portait un vêtement blanc,… (ces) femmes ne dirent rien car elles avaient peur.
Ainsi se terminait l’évangile de Marc, avant qu’on ne lui ajoute quelques versets pour atténuer la force de cette interrogation. Allait-on rester dans la peur ?
C’est ma question pour nous aujourd’hui, car nous sommes, de fait, du côté des disciples. Ferons-nous l’effort d’écouter et de comprendre ? Non seulement pour nous qui avons besoin de comprendre combien notre vie est transformée dès lors que le Christ a ouvert pour nous le chemin d’une vie nouvelle. Mais cela est pour tous les centurions d’aujourd’hui. La bonne nouvelle que nous devons proclamer, c’est que nous n’avons aucune crainte à avoir pour affronter les périls contemporains qu’ils soient sanitaires, économiques ou écologiques. Cet homme, Jésus, était vraiment le Fils de Dieu . Le règne de Dieu est en route avec nous pour associés. Non pour que nous l’enfermions dans des tentes ou des sanctuaires, mais pour que nous sachions en faire une force de transformation , un modèle de bienveillance, d’attention aux plus petits, de justice et d’amour. Le monde d’après dont on nous rabat les oreilles ne sera différent du monde d’avant qu’à ce prix, celui du service de tous qui ne se fera que dans la communion avec celui qui a été le serviteur de tous.
Pas spectateurs de la transfiguration ; mais unis à celui dont la transfiguration annonçait la mort et la résurrection et appelait les disciples à vivre en communion avec lui, dans l’écoute, la prière et le vent de l’Esprit!
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